Entre promos de la semaine, tête de gondoles et carte de fidélité, Caro, la caissière du supermarché, se fait Oracle afin de tresser la fable et de conter, avec ses collègues, l’histoire de Céline la chanteuse, d’entremêler les destins de l’idole et de l’une de ses admiratrices, les deux faces du « soleil noir » de la félicité.
Céliiiiiine ! Côté scène, paillettes, projecteurs. Céline qui chante en pleurant, qui dit « merci du fond du coeur ». Céline en jeans et chandail, tellement simple pour la conférence de presse. Céline dans son jet privé. Céline et René. Céline enceinte. Céline et le photographe, Céline et le médecin. Céline et son accouchement. Céline et son drame.
Et soudain, on tourne la page du magazine, papier glacé, papier crasseux, et Caro l’Oracle de nous emporter côté fan, côté douleurs… Isabelle et sa maladie. Isabelle et son père. Isabelle et son frère. Faits d'hiver sordide avec loupe et voyeur. Mais Isabelle et son idole.
À grands coups de papiers gras, de mots crus, une stéréophonie de la société du spectacle, de la société de consommation, de la consommation du spectacle, du spectacle de la consommation imaginée par Olivier Choinière, iconocaste " chef de rayons " de la scène québécoise…
Quatre comédiens et un récit par les mots pour que chacun trouve ses images. Une Céline peut en cacher une autre. Céline… jusqu’au bout de la nuit.
« L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont pas à lui, mais à un autre qui les lui représente. C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. » Guy Debord, La Société du spectacle
Découverte il y a quelques années lors d’une lecture en public du Bain des raines (une de ses précédentes pièces), j’avais été frappé par l’écriture d’Olivier Choinière, libre, affranchie des codes de la représentation théâtrale, mixant sans gêne plusieurs genres littéraires, jouant de l’ellipse, de la suggestion de l’action, elle met toujours en avant l’oralité et la place de l’écoute du spectateur au centre de sa construction. J’ai depuis, de loin en loin, suivi le déploiement de son écriture et le même sentiment m’a à chaque fois envahi : celui d’un voyage immobile.
Dans Félicité, il y a d’un côté des employés d'un Wal-Mart fascinés par Céline Dion, de l'autre, une jeune femme alitée, qui a littéralement servi d'esclave sexuelle aux mâles de sa famille et qui se réfugie dans son imagination obnubilée par le royaume merveilleux de Céline. Tous inventent en creux une fresque sur l’idolâtrie et l’aliénation au milieu d’un décor de catalogue. Félicité met en voix des gens « qui ne vivent pas leur vie ». Les quatre employés de la grande firme internationale font avancer l’histoire, la racontent ou plutôt l’évoquent par bribes, par fragments, l’inventent et la revivent en direct, dans un entertainment joyeux, ludique et provocateur.
Un théâtre de la parole qui, enjambant allègrement les époques et les groupes sociaux, tresse le réel et le fantastique, et provoque un voyage de l’imagination jouissif et salutaire. L’écriture d’Olivier Choinière devrait être une écriture à fréquenter dans les années à venir. Avec intensité.
Frédéric Maragnani
« Félicité est une belle pièce, portée à la scène tel un beau bijou sans reflets tocs. » Le Nouvel Observateur
« La mise en scène de Véronique Vellard est d’une belle sobriété. La comédienne Caroline Stella évolue dans une forêt de ballons de baudruches accrochés à des chaussures de femmes. Elle est à l’aise dans cette langue particulière et nous touche tout au long du spectacle. » France Inter
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