Résumé
A propos de George Dandin par Catherine Hiegel
Pour en savoir plus sur George Dandin par Georges-Arthur Goldschmidt
Quelques extraits de presse
George Dandin, riche paysan voulant s'élever au-dessus de sa condition, épouse Angélique, fille des Sotenville, nobliaux ruinés de province. En rachetant leurs dettes, il gagne le droit de transformer son nom en " George de la Dandinière ", mais sa belle-famille ne cesse de lui faire âprement sentir que la différence de condition n'en est pas pour autant abolie.
Surpris par Dandin alors qu'il sort de chez lui, Lubin, paysan journalier qui ne le connaît pas, lui révèle que Clitandre, vicomte du voisinage, courtise sa femme. Si Lubin, qui fait la cour à Claudine, la servante d'Angélique, reconnaît à une femme la liberté de rencontrer qui lui plaît, George Dandin, lui, pense que le mariage est une " chaîne " qu'il faut respecter. Mais pour Angélique, être mariée ne signifie pas " renoncer aux plaisirs du monde ".
À trois reprises, George Dandin tente de prouver aux parents de sa femme l'inconduite de leur fille : Clitandre nie être l'amant d'Angélique. La parole d'un noble suffit aux yeux des Sotenville, et c'est Dandin qui doit présenter ses excuses. Les deux amants se retrouvent dans la maison : George Dandin croit la partie gagnée, mais sa femme l'aperçoit, repousse Clitandre, et il échoue encore à prouver son déshonneur.
La nuit tombée, Angélique sort retrouver son amant. Le triomphe de Dandin paraît assuré : il ferme la porte et reste insensible aux suppliques de sa femme. Une manœuvre habile d'Angélique renverse de nouveau la situation en humiliation pour son mari. George Dandin, anéanti, renonce et parle d'aller se jeter à l'eau.
A propos de George Dandin par Catherine Hiegel
" ...comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. " Madame Bovary, Gustave Flaubert
" Le silence est le milieu de l'être humain. [...] Le mot est au bord du silence. " Le Monde du silence, Max Picard
Curieux rendez-vous du destin de me retrouver aujourd'hui face à cette œuvre. George Dandin correspond pour moi à un grand tournant dans ma carrière : avant de jouer la pièce sous la direction de Jean-Paul Roussillon, en 1970, j'étais une actrice inconsciente. Avec le personnage d'Angélique, ce fut la première fois que je participai à une grande création, que j'interprétai un rôle aussi beau, avec un partenaire éblouissant, Robert Hirsch, mais aussi avec Denise Gence, Catherine Samie, Michel Etcheverry, Jean-Paul Roussillon lui-même et Michel Aumont. Tout ce qui jusque-là était inconscient chez moi s'est éveillé à la faveur de cette pièce, grâce à la force de la direction de Jean-Paul Roussillon et à la force de sa lecture, que je trouve toujours aussi évidente, plus de vingt-cinq ans après. Depuis, je ne lis plus une pièce de la même façon, qu'elle soit de Molière ou d'un autre auteur. C'est dans ce contexte que j'ai commencé à naître à moi-même et au théâtre.
Aussi, lorsque Jean-Pierre Miquel m'a proposé de mettre en scène George Dandin, ma première réaction a été de lui demander un temps de réflexion : j'avais l'impression que j'aurais du mal à faire autre chose que ce qu'avait fait Jean-Paul. L'un des éléments décisifs dans cette aventure a alors été la distribution dont j'ai appris si souvent l'importance dans une mise en scène. Aussi ai-je tout de suite pensé à Bruno Putzulu. George Dandin n'est pas l'École des femmes : Dandin est un jeune paysan riche. Il est très important que le couple Dandin-Angélique soit un couple possible. C'est donc à partir de Bruno Putzulu que j'ai composé ce qui me semble être la distribution idéale.
Dans George Dandin, les personnages viennent de milieux différents dont ils portent les signes, se débattent à l'intérieur de leur monde (opposition entre hobereau de province, gentilhomme de cour, paysan riche, paysan pauvre, jeune fille de la petite noblesse de province) : ce sont leurs milieux qui construisent les personnages et qui les séparent. Plus qu'à une comédie, c'est à une farce tragique que nous assistons. On passe entre les mains de Dieu et du diable, entre la nuit et le jour, entre le rire et la tragédie. C'est une pièce fondée sur les quiproquos que Lubin provoque, par sa naïveté, sa bêtise, son étourderie, sa lourdeur. Il y a aussi des coups de bâton, et les Sotenville ne portent pas leur nom innocemment. Tous les signes de la farce sont présents, mais chaque fois qu'ils surviennent, ils entraînent Dandin un peu plus vers la tragédie. Le rire de la farce est certes un exutoire, mais quand il avoue ses fautes, quand il vient nous dire " je ne dis mot... ", on ne rit plus.
Si chez Molière les personnages sont tout entiers dans ce qu'ils disent (ils ne sont pas cachés, ils ne se dissimulent pas, et même s'ils mentent, c'est avec une effronterie telle que le spectateur est toujours conscient du mensonge : ils le font en partage avec le public), George Dandin a un parcours atypique dans l'œuvre de Molière. Dès le début de la pièce, Dandin nous apparaît parfaitement lucide, et il s'efforce toujours de dire sa vérité, il souhaite par-dessus tout que cette vérité soit connue, reconnue. Il se défait, au fur-et-à-mesure, de la parole, au point même de devoir répéter celle des autres, jusqu'à ne plus trouver que le silence et disparaître, se faire disparaître lui-même. Victime mais aussi bourreau, il a " acheté " en mariage une femme dont il pensait qu'elle lui serait utile, comme outil de travail mais aussi comme outil de reproduction. Or dès la première scène avec les Sotenville, il apprend que ses enfants ne porteront même pas son nom. En voulant s'élever au-dessus de sa condition, il avait dû renoncer à son identité en se faisant appeler " de la Dandinière " ; il perd désormais son avenir. " Si son entourage a décidé d'annuler Dandin, aucune preuve n'y changera rien. Dandin, nous le trouvons donc, à la lettre, dépouillé. [...] Il est peu de situations littéraires plongeant aussi avant dans l'horreur de la conscience enfermée dans le silence de l'incommunicable. [...] Dandin, dans le jardin, est condamné à la suffocation pure et simple. [...] Mais le spectateur, lui, sait à qui s'en tenir : il reconnaît sa propre identité dans celle de Dandin, pantelante et muette, triomphante et silencieuse, vaincue et irréductible ", selon Georges-Arthur Glodschmidt.
Comme son époux, bien qu'il s'agisse de deux parcours opposés, Angélique est à la fois victime et bourreau ; une victime à l'origine, une femme que ses parents ont vendue. Seule face à Dandin, elle essaiera de revendiquer son espace de liberté. Comme lui, elle est obsédée par l'idée de sa propre identité, elle ne veut pas mourir si jeune, elle ne veut pas " être enterrée vive avec un mari ". Mais le terrible malentendu de leur union les rend sourds l'un à l'autre ; de victime, elle deviendra alors son bourreau.
Pour en savoir plus sur George Dandin par Georges-Arthur Goldschmidt
Suprême moyen de communication, la comédie réussit à donner au spectateur l'exacte perception de ce qui se déroule pour le personnage principal, tel qu'il subit sa situation. Nous retrouvons là la signification profonde du masochisme : il révèle l'existence dans son irréductibilité, la fait apparaître avec une netteté et une force qu'aucune autre situation ne saurait lui conférer. Le masochisme – situation de fond de la comédie – est une comédie asociale, et c'est par là que la comédie de Molière est si importante. Ce qu'elle révèle, c'est le niveau des individus – la comédie est toujours individuelle – où ils sont inassimilables au milieu social qui les entoure. Ils sont tels qu'ils ne se reconnaissent pas en autrui, mais tels aussi que le spectateur se reconnaisse en eux et communique avec eux : c'est très exactement une localisation de l'âme, de ce qu'il y a au fond de l'existence – et qui est constitutif – d'inassimilable à ce qui n'est pas elle. La comédie est individualiste parce qu'elle montre l'opiniâtreté muette de la conscience de l'identité.
Le masochisme, qu'est-il d'autre sinon l'absolu de soi, de celui qu'on bat ; il n'a de moi que lui-même et la souffrance ne fait qu'exacerber ce moi : telle est la situation de la comédie en général et de George Dandin en particulier. Tout se passe chez Molière comme si la comédie n'était qu'une exploration des contenus possibles du sentiment de l'existence. […]
Dès les toutes premières paroles que Dandin prononce, il dit l'essentiel : " … une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition ". Si l'on veut bien considérer que la critique sociale est évidente, qu'elle a été maintes fois relevée et avec la plus grande netteté par la plupart des analyses de Molière, on peut considérer ce point comme acquis et aller plus loin. Ce que l'on décèle, dès l'abord chez Dandin, c'est une insatisfaction d'être qui l'a fait épouser une fille de petite noblesse, il a pris une femme qui se tient au-dessus de lui, comme il le dit lui-même. C'est d'emblée au niveau de la façon de se sentir dans l'être, de l'emplacement d'existence que se situe le problème de Dandin. […]
Ce que l'on retrouvera tout au long de la pièce, c'est la suffocation déjà décelée pour l'Arnolphe de l'École des femmes. Dandin est nié – mais le mariage c'est bien lui qui l'a choisi – […], il ne cessera de contribuer à sa propre négation, de l'alimenter.
Extraits de Molière ou la Liberté mise à nu
de Georges-Arthur Goldschmidt,
éd. Julliard, 1973 et Circé/poche, 1997
AFP, le 12 janvier 1999 — Yves Bourgade
Le personnage central qui donne son nom à la pièce de Molière George Dandin se couche au final sur un sol boueux, face contre terre, les bras en croix, pour rappeler sa situation tragique. Ce détail dit l'esprit dans lequel Catherine Hiegel a mis en scène ce texte qui est, pour elle, davantage farce tragique que franche comédie. Il n'y a pas d'issue pour Dandin le paysan riche, puni d'avoir épousé une fille de nobliaux provinciaux, sinon celle de se jeter à l'eau, comme il le dit dans sa dernière réplique. Le décorateur Goury a reconstitué une cour de maison paysanne à étage, en briques rouges, avec une cour dans laquelle on doit disposer des planches pour circuler au sec. Ce cadre, volontairement peu attrayant, correspond à l'absence de bonheur dans ce foyer de convenance. La distribution réunit de jeunes comédiens, en tête Bruno Putzulu qui est un Dandin lucide sur son erreur, mais pathétique dans son impossibilité à prouver que sa femme est coquette. Anne Kessler est elle aussi touchante, car, la jeune Angélique, bien que diabolique avec son mari, a bel et bien été mariée de force par ses parents que campent, avec le ridicule souhaitable, enveloppés dans leurs médiocres fourrures, Martine Chevallier et Alain Lenglet.
Le Parisien, le 18 janvier 1999 — André Lafargue
[...] Catherine Hiegel, à qui nous devons cette nouvelle présentation de George Dandin au Vieux-Colombier, a choisi la carte du réalisme : décor de ferme et costumes en rapport avec les situations de chacun, personnages bien typés. Bruno Putzulu est remarquable de vérité en beau gars de la campagne souffrant de son infortune et conscient de l'erreur qu'il a commise en " achetant " une femme qui n'est pas de son milieu. Anne Kessler est très exactement cette femme-là. Jérôme Pouly et Claudie Guillot sont très bien. [...].
Le Figaro, le 26 janvier 1999 — Frédéric Ferney
[...] Catherine Hiegel, en tant que metteur en scène, accentue encore la rage, la stupeur, la cruauté de ce fabliau noir. La pièce acquiert, dans cette nouvelle vision, d'une belle authenticité, une frénésie de soumission atroce et sans remède, un supplément d'âpreté, qu'on soupçonnait et qu'elle exploite avec sa sensibilité. Nous sommes dans une cour de ferme — un véritable cloaque où l'on patauge sous l'offense de la boue. Ce n'est pas une surenchère gratuite. Au contraire, tout prend un sens, au plus près de ce que veut dire Molière de l'abaissement, transposé dans une esthétique contemporaire. [...] Hiegel introduit dans les dialogues des silences, des gênes, des tensions, qui ne font que durcir encore les rapports humain. [...] Hiegel n'est pas loin d'avoir réuni une distribution idéale : Bruno Putzulu (Dandin) et l'exquise Anne Kessler (Angélique) sont poignants, acérés, pathétiques. Martine Chevallier et Alain Lenglet (les Sotenville) ont des allures de spectres effarés et fourbus dans leurs fières guenilles du temps de Louis XIII. Bravo à Claudie Guillot, singulière Claudine, rébarbative jusqu'à l'effroi, à Alexandre Pavloff, qui, dans Clitandre, compose un extravagant gourgandin moscovite, répugnant de morgue poudrée et de sotte malice. Jérôme Pouly, enfin, risiblement humain et servile, dans Lubin, se montre radieux dans l'imbécillité. Tout cela est rondement mené, diablement intelligent, vrai, féministe, social, audacieux sans vaine provocation, sans inutile prouesse. Rien de plus suggestif que le décor de Goury et les costumes de Dominique Borg. On se croirait parfois dans un conte de Gogol, comme si Catherine Hiegel était capable de sublimer la laideur la plus bestiale en obstenant tout ce qu'elle veut des comédiens — l'invention, le sérieux, la joie.
Télérama, le 27 janvier 1999 — Joshka Schidlow
[...] Refusant avec raison le ton souvent utilisé de la farce, Catherine Hiegel a choisi pour décor une cour de ferme transformée en bourbier dans lequel les personnages s'enfoncent comme Dandin dans son absurce malheur. Acteur d'une souriante fraîcheur, Bruno Putzulu est le héros roulé dans la farine de cette intrigue d'une inhabituelle noirceur.
Place Colette 75001 Paris