Dans Après coups (Projet un-femme), la metteure en scène Séverine Chavrier convoque quatre interprètes issues du théâtre, de la danse, du cirque, quatre femmes. Son enjeu : restituer leurs paroles, nous faire entendre ce qu’elles ont à dire sur leurs trajets d’artistes, de femmes, de personnes, ce qu’elles ont retenu de leurs enfances, leurs souvenirs, les chansons qu’elles chantaient, leurs corps, comment ils poussaient, ce qu’elles souhaitaient devenir.
Quatre femmes donc, mais aussi trois continents, des histoires singulières, l’Histoire avec un grand H, l’Argentine, la Russie, le Japon, Tchernobyl, Fukushima… Tout cela rassemblé sur un plateau aux allures de ring de boxe ou de catch ; un lieu de contact, de partage, de mise à nu, de combat ; un espace de confession, de paroles, de chants aussi. Accompagnés au piano, les soli se succèdent, dans un rapport de correspondances entre eux, comme des « variations sur un même thème ». Quand il est question de savoir comment chacun fait, se débat, avec ses héritages, son histoire, ses désirs…
Quelle est l’origine de ce projet ?
J'aime travailler avec des artistes d'horizons géographiques et artistiques différents, avec le plateau et la musique en partage. Dans mon spectacle précédent, où il y avait deux danseurs, deux comédiens, un acrobate et un enfant, l’un de mes enjeux était précisément de parvenir à les rassembler autour d’un jeu théâtral commun. Collaborer avec des personnes qui viennent d'autres disciplines m’intéresse. Elles ont un rapport singulier au plateau, à la dramaturgie, sans psychologisme réducteur, avec aussi, la force d'engagement que le geste nécessite...
Avec Natacha Kouznetsova, nous avons mené plusieurs projets ensemble. Je suis très touchée par sa pureté, sa foi, son engagement, ce qu’elle porte en elle de l’exil. Natacha Kouznetsova est russe. En tant que musicienne, je suis aussi sensible à cette culture que je connais bien, la musique russe, mais aussi la littérature. Les textes de guerre de Müller et de Lidell mais aussi La Fin de l’homme rouge ou La Supplication de Svetlana Alexievitch avec ces interviews de personnes de différentes générations sur Tchernobyl, l’URSS, cette période historique, la confrontation de la grande et des petites histoires, tout cela a nourri, mon propos, mon envie aussi de poursuivre avec Natacha qui a son histoire, son parcours, un trajet, le sien, à raconter.
Nous avons donc commencé à travailler à partir de ce matériau : l’histoire de Natacha, sa tante morte d’un cancer de la thyroïde, sa formation de danseuse classique, les « danses caractères » qu’on lui a enseignées…
Et, ce travail de recueil de paroles, de confessions, que j’ai mené avec Natacha, je vais le poursuivre avec les trois autres interprètes : Victoria Martinez qui est acrobate-danseuse et vient d’Argentine, Kaori Ito qui est japonaise et danseuse-chorégraphe, et Bérangère Bodin, danseuse-comédienne. J’ai envie de travailler à partir de ces quatre " journaux intimes " , qu’elles me racontent leur exil, leur formation artistique, leur inscription dans le contexte historique qui a été le leur, comment elles se sont débattues avec leurs questions, leurs désirs, leur devenir-artiste.
Ces enregistrements, cette voix off, constituent pour moi une matière théâtrale riche : l’adresse y est spécifique, la matière aussi puisqu’il est question de l’enfance, de comment l’on grandit, avec quels repères, quels souvenirs, quelles chansons…
Quelle forme pensez-vous donner à cette pièce ?
Au niveau de la mise en scène, je suis pour l’instant (je me réserve la possibilité de changer, de bouger) sur quelque chose qui aurait à voir avec un ring de boxe ou de catch. La boxe : un lieu de combat, avec son ring, ses gradins, ses temps chronométrés, ses rounds, ses lumières, ses temps-morts, ses paris, ses K.O. aussi. Le catch avec ses mascarades, son spectacle, ses masques. J’ai assez envie d’explorer cette place – les gradins – cet endroit que tout interprète pratique, parce que c’est la place du travail. On y passe, quand on est interprète, beaucoup de temps, à attendre, regarder, observer, échanger. Un ring dans lequel il sera question d’enfances, de trajets individuels, de combats singuliers, d’identité féminine, d’identité artistique, d’engagement, de politique, de Fukushima, de Tchernobyl, de mensonges d’État… autant de questions, sujets, histoires qui animent et traversent ces quatre femmes.
Un ring où il s'agira d'aller au contact, au contact de soi-même, de cette inquiétante étrangeté.
Pour ce qui concerne les voix enregistrées, c’est un matériau que j’aime utiliser dans mes spectacles. Je suis sensible à l' « aveu » que véhiculent ces voix off, comme si elles disaient plus que ce qu’elles contenaient strictement en terme de sens. Je voudrais que l’on perçoive aussi combien chacune se débat avec sa voix, ce qu’elle dit mais qui, désolidarisée de son corps (voix off), lui demeure plus extérieure, un « soi » mais posé au-dehors.
Il y aura également une partition musicale – je serai au piano – et des passages chantés, bribes, tentatives avortées. Avec tout ce que le chant, les chants peuvent brasser de mémoire. Le ring sera un lieu de parole, de cri, de chant, parfois avec un esprit cabaret, dans sa dimension musicale et politique.
Les soli vont se succéder dans un rapport de correspondances entre eux comme des « variations sur un même thème ». Le piano, qui portera une certaine unité de la dramaturgie, assurera notamment le lien entre eux. Il y aura également des échanges entre les interprètes, chacune portera un regard sur les autres. Il y aura donc de multiples allers-retours possibles.
Vous dites vouloir donner voix à une bataille. Quelle est cette bataille, ce point d’achoppement que vous pointez ?
J’ai envie de dire ces combats de femmes, combat avec son art, combat avec sa féminité. Et comment chacune, avec sa physicalité, se débat avec la grande Histoire, la petite histoire, sa langue, sa culture, tout ces héritages non-choisis qui caractérisent une génération.
Je suis intéressée par l’idée de mettre sur scène ma génération, ses enjeux, de quoi nous sommes les héritiers. Et comment nous nous débattons avec cela, quels trajets individuels nous dessinons.
Je ne sais pas encore avec certitude quels enjeux seront les plus saillants dans ces interviews, ces paroles individuelles, si nous traiterons de la question du mensonge d’État avec Tchernobyl et Fukushima et/ou d’un questionnement sur la femme, la place de la femme dans ces trois continents. Mais au cœur du projet et de ces paroles, il y a cette idée de parcours à mener, à construire et comment le faire, comment y parvenir ? Avec aussi, sans doute, cette énergie folle qui est faite pour brûler sur le ring.
Un spectacle fort qui réussit un bel exercice de style autour d'une scénographie, création lumières et sonore puissante ainsi qu'une magnifique interprétation entre cirque et de danse.
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Un spectacle fort qui réussit un bel exercice de style autour d'une scénographie, création lumières et sonore puissante ainsi qu'une magnifique interprétation entre cirque et de danse.
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