Après le chaleureux accueil de notre approche des Bonnes de Genet, pendant trois mois au Théâtre des Trois Bornes, je songeais à un texte de "même famille", un classique-moderne pour approfondir notre recherche sur le répertoire du vingtième siècle et poursuivre notre collaboration avec cette petite salle, poumon de la vie théâtrale parisienne.
Huis-clos de Sartre s'imposa très vite. Ce "loft-story" existentialiste pouvait encore captiver. Mais soyons plus sérieux. Cette pièce créée au Vieux-colombier en 1944, par des acteurs prestigieux, trouva un écho immédiat et personne n'ignore aujourd'hui la fameuse et définitive sentence : "l'enfer, c'est les autres".
En effet, Inès, lesbienne assassinée par son amante, Garcin le lâche et Estelle l'infanticide, sont morts et projetés en enfer. Un mystérieux garçon leur donnera le mode d'emploi minimum, la règle étant qu'il faut vivre à trois. Le trio se jauge, la valse funèbre a des allures de tango. En piste. Un temps, avec rage ou stupéfaction, ils voient la vie des vivants se dérouler sans eux. Tout ce beau monde essaie de porter beau, mais très vite, la parole s'en mêle et le regard de chacun hurle et dénonce l'imposture, le mensonge de l'autre.
En effet, tous les personnages, en leur conscience, savent que leur vie fut moins glorieuse que ce qu'ils peuvent en dire et ce huis-clos n'est pas un salon mondain mais le lieu même où les masques sociaux ou marginaux virent au grotesque. Après avoir essayé le silence, ils comprendront que dans cet au-delà sartrien et sans sommeil, le verdict est terrible : non pas l'éternité, mais... la perpétuité ! Pas besoin de salle de torture, de flammes et de diable, chacun sera le bourreau de l'autre par la parole et par le sexe.
J'aime la violence de ce texte, mais aussi son humour impitoyable et sa construction en mouvements et en impasses. Et aussi l'énergie noire de ces trois êtres en souffrance inventés par Sartre.
Antoine Campo
32, rue des Trois bornes 75011 Paris