Le roman de Dostoïevski, qui met en scène l’errance et les erreurs d’un jeune homme a priori privilégié, occupe l’esprit de Vincent Macaigne. Déjà en 2009, avec son équipe, il donne vie au prince Mychkine, aux amours condamnées de ce personnage hors norme, naïf, inadapté à la sauvagerie d’une société « aux valeurs floues… installée et aristocratique, aux prises avec des changements idéologiques qu’elle ne maîtrise pas », écrit-il alors.
C’est toujours ainsi qu’aujourd’hui, dans la rage et la douleur, dans l’ironie et la fureur, il retrouve le prince et son univers. On n’a jamais fini d’explorer le monde dostoïevskien. Et puisque la reconstitution historique s’avère inutile, le théâtre étant là pour faire vivre spectacle et spectateurs dans un même temps, un même présent, on peut se fier à Vincent Macaigne pour tout simplement nous plonger au cœur du désordre et de la passion, dans l’énormité de la folie humaine. Chez lui, qu’il s’agisse de violence, de complicité, de beauté, de rires ou de larmes, le summum est une loi.
Colette Godard
« Mais dans ce théâtre qui relève de la performance permanente, il se passe indéniablement quelque chose. Notamment grâce aux acteurs (...) Plus encore que par sa prise de parole directe, c'est par la démonstration éclatante, sur le plateau, que l'on peut rester vivant au milieu du désastre, que le théâtre de Vincent Macaigne agit. » Fabienne Darge, Le Monde, 3 octobre 2014
Auteur de théâtre qui croit à la puissance de la scène, Vincent Macaigne s’approprie très librement les grands de la littérature. Shakespeare, Dostoïevski. Avec sa bande de comédiens dévorants, il fait du plateau le lieu d’une lecture du texte investie et décomplexée. Ce que Macaigne cherche à faire advenir, c’est l’expression des énergies, des rages, des illuminations et des noirceurs qui sont au travail dans l’œuvre. Il y a quelque chose du théâtre allemand dans la liberté que le metteur en scène français donne au plateau. Un flux scénique qui prend la littérature comme matériau. Une désacralisation du livre, qui transforme le théâtre en une carrière à ciel ouvert où le travail se fait.
Vincent Macaigne est attaché à la figure de l’Idiot. Il a déjà monté une adaptation du roman monstre de Dostoïevski en 2009. Un grand chaos organisé – avalanches de mousse, litres de peinture, déferlantes de décibels – qui a marqué les esprits par ses excès et surtout par sa justesse.
Il revient aujourd’hui au prince Mychkine du grand auteur russe et à son incroyable naïveté pour crée r : Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer. Macaigne explique : « Ce qui se passe, c’est que l’acteur doit défendre à la fois la parole de l’auteur, celle du metteur en scène et la sienne. Il y a de quoi crier. Le rapport au jeu que je cherche est comme un accélérateur d’énergie. Le cri vient par urgence à dire. Donc ce n’est pas hystérique. Ce qui m’intéresse ? La naïveté, la bonté du prince, mais aussi le monde féroce, cynique, dans lequel il évolue, où se mêlent sans hiérarchie le beau et le laid, le mesquin et le sublime, le sperme et les larmes, le sang et le rire. Un rapport idiot au monde est-il possible aujourd’hui ? »
Il y a une certaine signature dans les spectacles de Vincent Macaigne au théâtre, ce sont les décibels, la vitesse et le débordement. Ses spectacles laissent généralement acteurs et spectateurs essorés, à bout de souffle, face à un plateau dévasté. Le metteur en scène cherche de cette manière une parole vivante, politique, contemporaine.
Que raconte L’Idiot, le roman de Dostoïevski que vous avez librement adapté sur scène en 2009 et que vous adaptez à nouveau aujourd’hui ?
Vincent Macaigne : Dostoïevski avait résumé L’Idiot en disant que c’est l’histoire d’un personnage sur lequel on pourrait pisser sans s’en rendre compte. Et c’est un très ,bon résumé. Concernant la pièce, elle est structurée en deux parties. Le sujet de la première partie, c’est l’espoir. Celui du prince Mychkine, l’Idiot, qui arrive dans une société qu’il ne connait pas encore, avec les idéaux d’un jeune homme de vingt ans qui se dit qu’il est possible de réussir à s’aimer et de croire les uns en les autres. La deuxième partie se déroule vingt ou trente ans plus tard, au moment où tous ces espoirs se sont fracassés. Il y a un moment de l’histoire où les choses commencent à dégénérer et où l’Idiot décide de partir, laissant ce mondelà
se détruire et s’effriter. Quelques années après, il revient auréolé de sa réussite, il reprend la parole et se fait écraser, écrabouiller, piétiner par l’aigreur des autres. Il revient comme une proie. C’est une sorte de suicide.
C’est aussi une oeuvre qui traite de l’idéal de naïveté…
Vincent Macaigne : En tout cas, c’est une oeuvre qui dit : attention, si on est cynique, on coule. Ce qui est superbe, c’est que le prince Mychkine n’admet pas le désespoir, même s’il rate. Il rate totalement l’amour, il se prend le mur dans la gueule, mais jamais il ne renonce à son idéal d’honnêteté. Dostoïevski n’est jamais dans le renoncement. D’ailleurs, on retrouve la même puissance chez Tchekhov et chez Strindberg. Strindberg a quand même écrit à Bismarck “je vous sauverai d’un éclat de rire”. C’est naïf, c’est beau, comme combat.
Notre époque est souvent dénoncée comme étant particulièrement cynique…Vous avez la sensation que la naïveté est encore plus difficile à défendre aujourd’hui ?
Vincent Macaigne : Non, je ne crois pas que ce soit un problème contemporain du tout. Je crois que c’est une lutte archaïque, un combat récurrent. Si Dostoïevski écrit L’Idiot, c’est qu’on était déjà cynique à son époque. Et puis, de toute façon, je n’aime pas l’idée de dénoncer quelque chose de contemporain. Je n’y crois absolument pas. Je n’aime pas l’idée d’accuser puisqu’en moi-même coexistent une part complètement souillée et une autre complètement pure. Et parfois, mon endroit de pureté me pousse à abimer les choses au lieu de les embellir. Donc, c’est nécessairement compliqué.
Le texte traite avec ambiguïté du combat pour des idéaux. C’est un thème qui est récurent dans vos pièces...
Vincent Macaigne : Je crois, oui. Au début de L’Idiot, le prince Mychkine est beau mais sa beauté va s’avérer destructrice pour les autres. À force de vouloir défendre un idéal d’honnêteté, de naïveté face au monde, il devient presque monstrueux. Il y a l’idée qu’il faut se battre mais que dans le principe même du combat réside une sorte de poison.
Pourquoi le combat est-il nécessaire, alors ?
Vincent Macaigne : Le Prince dit : “Je vous embête parce que je parle trop, mais si je parle pas maintenant, ça aura voulu dire que nous, notre génération, on aura vraiment vécu pour rien.” En Amérique du Sud, les gens ont l’espoir que leurs enfants soient plus heureux qu’eux-mêmes. En France, non. Les jeunes pensent qu’ils vont être plus malheureux. Ça s’appelle la crise. C’est pas un problème d’argent, c’est un problème d’espoir dans l’avenir. C’est pour ça, aussi, que je remonte L’Idiot.
L’Idiot s’ancre dans une société en plein bouleversement idéologique. Quel regard porte le prince sur la modernité en train de s’inventer ?
Vincent Macaigne : Il se bat pour préserver ce qui a été construit de beau auparavant. Il regarde le monde qui chavire, tente de stopper le naufrage mais n’y parvient pas du tout. Il y a, de la part du prince, le refus de voir advenir un monde nouveau. Donc L’Idiot, d’une certaine manière, traite du fanatisme. Dostoïevski décrit l’avènement de la société moderne, avec l’arrivée du crédit, du capitalisme, de la machine à vapeur et cette nouveauté suscite une sorte d’effroi. L’Idiot est, quelque part, le chant du cygne d’une époque. En cela, c’est proche de ce que nous vivons actuellement. Il y a l’idée que ce que l’on a construit est en train de couler, la sensation que ce pour quoi on s’est battu est en train d’être détruit. Je pense à la sécurité sociale. Je pense à l’idée de “gratuité”, à celle de “théâtre public” qu’on a tenté de mettre en place après la Seconde Guerre Mondiale.
L’idiot de Dostoïevski est un roman titanesque, avec une foule de personnages. Comment s’est déroulée l’adaptation ?
Vincent Macaigne : Dans un premier temps, j’ai écrit une adaptation assez littéraire du bouquin. Nous avons retravaillé cette version au plateau, en improvisant avec les acteurs. Certains acteurs parviennent parfois à un endroit qui excède l’improvisation et relève pleinement de l’acte d’écriture. Je leur ai aussi demandé de lire le livre en s’amusant à respecter les didascalies : chuchoter quand on devait chuchoter et hurler quand ils devaient hurlaient. Du coup, on hurlait beaucoup parce qu’ils hurlent beaucoup dans le livre. Ensuite, j’ai librement écrit une pièce à partir des souvenirs des impros et du bouquin. Au final, ça a donné un texte assez précis en écriture. Mais je vais peut-être tout réécrire. Je ne sais pas encore.
Vous êtes susceptible de tout changer au dernier moment ?
Vincent Macaigne : C’est ce qui s’est passé sur ma précédente pièce Au moins j’aurais laissé un beau cadavre… J’avais dicté à Laure Calamy son monologue de fin deux jours avant la première. On avait répété trois mois sur un texte que l’on n’a finalement pas gardé, alors on pourrait se dire que c’est du gâchis, que ça n’a servi à rien. Mais au contraire, ces trois mois avaient servi à avoir l’idée de tout couper ! Mais je n’ai pas vraiment de méthode ou de théorie. J’écris souvent en direct du plateau, dans un échange avec les comédiens. Je “sur-répète” et “sur-écrit”. J’aime aussi retravailler les spectacles entre la première représentation et la dernière. Ça dépend...
Une des spécificités du jeu des acteurs, dans la première version de L’Idiot, c’était le hurlement quasi-continuel. Mais un hurlement qui ménageait divers registres d’émotions…
Vincent Macaigne : Moi, je ne considère pas qu’ils hurlent. Ils parlent pour être entendus. Si on est très sincère dans sa parole, ça nous pousse à lever la voix. Non, ils n’hurlent pas tant que ça… En fait, c’est très réaliste. Si les gens vivaient les mêmes choses que les personnages de L’Idiot, je ne suis même pas sûr qu’ils ne deviennent pas plus fous. Imaginez, par exemple, que vous soyez dans une maison qui brûle : c’est impossible de rester calme. Leur cri, c’est de la survie. C’est parce qu’ils ont encore l’espoir d’être entendus. La sur-énergie sur laquelle on a travaillé, ce n’est pas pour faire un spectacle un peu “jeune”, ou “à la mode” (d’ailleurs je n’ai aucun problème avec la mode), c’est pour qu’on entende un dixième ou même dix secondes de notre pensée. C’est pour dire qu’on a été vivant, qu’on a existé ici et maintenant, à cette époque-là. Pour que l’on sache que l’on a pris la parole. Mon spectacle n’arrive pas à la cheville de la violence du roman de Dostoïevski. C’est un roman d’une violence inouïe.
Pour quelle raison reprenez vous cette pièce ?
Vincent Macaigne : La création de L’Idiot, en 2009, a été un moment fondamental dans notre parcours. La reprendre aujourd’hui, avec ce que je pense de la France, ça me plaît beaucoup parce que c’est une oeuvre qui parle de démesure, d’espoir, de persévérance. J’avais aussi l’envie de réentendre le jeune homme que j’ai pu être en montant L’Idiot. On crée des oeuvres en partie pour se parler à soi-même, pour se mouvoir intimement. Reprendre cette pièce aujourd’hui, c’est se remémorer où on en était, les acteurs et moi même il y a six ans, ce pour quoi on s’est battu. C’est une manière de se réécouter donc c’est un projet très intime. Et je considère que c’est plus dangereux de le reprendre que de partir sur une nouvelle création. Je tiens énormément à ce texte, j’ai convaincu tout le monde, au forceps, de le reprendre ! Pour moi, c’est une sorte de manifeste.
Vous avez déjà pensé l’adapter au cinéma ?
Oui, j’aimerais bien le faire. C’est un beau texte pour le cinéma.
Propos recueillis par Eve Beauvallet
Réduire le monde Dostoïevskien à un énorme bordel sans nom et sans sens? Le personnage de Mychkine, plus idiot que possible, prouve une lecture au pied de la lettre de cette immense oeuvre! Macaigne affronterait-il une triste traversée du désert créatif? Quel dommage et quel gâchis!!
Vu le spectacle hier soir aux Amandiers dans une salle comble et électrique (électrifiée ?). Suis sorti épuisé à l'entracte pour me replonger dans le magnifique et dérangeant roman de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, bien plus dérangeant que l'hystérique plateau de Vincent Macaigne.
personnes sensibles aux bruits et a la brutalité s'abstenir
MAGNIFIQUE !
Pour 5 Notes
Réduire le monde Dostoïevskien à un énorme bordel sans nom et sans sens? Le personnage de Mychkine, plus idiot que possible, prouve une lecture au pied de la lettre de cette immense oeuvre! Macaigne affronterait-il une triste traversée du désert créatif? Quel dommage et quel gâchis!!
Vu le spectacle hier soir aux Amandiers dans une salle comble et électrique (électrifiée ?). Suis sorti épuisé à l'entracte pour me replonger dans le magnifique et dérangeant roman de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, bien plus dérangeant que l'hystérique plateau de Vincent Macaigne.
personnes sensibles aux bruits et a la brutalité s'abstenir
MAGNIFIQUE !
MAGNIFIQUE !
Il est vrai que j'étais prévenue : les descriptions et critiques ne mentaient pas vraiment sur les intentions du metteur en scène. Mais j'ai voulu voir, par curiosité. J'ai vu. L'excès de tout, y compris, en effet, d'une immense vulgarité et d'une absence totale d'intérêt, dans la mesure où la narration est incompréhensible, les hurlements insupportables et l'intention manifestement restreinte au seul besoin de provoquer à tout prix, m'a saturée rapidement. Je me suis libérée à l'entracte et suis rentrée chez moi assez soulagée, je dois dire .... Vous voila prévenus !
impossible de reconnaître l'Idiot dans ce déferlement de bruits, de hurlements, de gesticulations, de vulgarités sans queue (ah si ..! ) ni texte, ce qui est un comble ! ce mode de représentation est très ringard et illustre un total manque de créativité et de sens artistique confondus avec une provocation aussi débile qu'inutile ; et pourtant il y avait de la matière ..., une œuvre littéraire et aussi de très bons précédents de mise en scène ; quelle tristesse ce spectacle du théâtre de la ville ; quel manque de respect pour l'écrivain russe ; j'aimerais voir et entendre les réactions les spectateurs de Saint Pétersbourg s'ils voyaient cette œuvre de leur patrimoine présentée comme ça , avec autant de suffisance et d'inculture ; je suggère à l'auteur de théâtre, puisque c'est comme ça qu'il est nommé , de faire une tournée en Russie avec son spectacle .. il s'y fera applaudir sans aucun doute p.dhaultfoeuille , abonné piégé ,
2, place du Châtelet 75004 Paris