Une robe, une cuvette, un lampadaire, trois objets communs et familiers choisis parmi tant d’autres par Angèle, Jacqueline et Barbara. Les trois femmes se révèlent par des récits qui illustrent une des caractéristiques des relations humaines, souvent vécues, rarement perçues : l’absence de dialogue. Elles revivent quelques-unes de leurs expériences, évoquent avec une certaine volupté et vivacité des souvenirs à un spectateur facultatif. L’écoute n’est ici que prétexte ou justification. À qui s’adressent-elles ?
Ces femmes nous livrent l’inventaire de leurs mémoires. Des vies de femmes, ni jeunes, ni vieilles, pour lesquelles l’anticipation devient difficile et le présent modeste. Elles n’ont compté ni sur la bonne fortune, ni sur la mauvaise. Elles se sont laissé porter par le vent de la vie et rêvent sans étonnement sur leur passé. Humble et gai tableau de la condition humaine.
Claire Berner Leenhardt, Extrait de l’éditorial du n° 809 de L’avant-scène théâtre, mai 1987
Vingt-six ans après la création nous décidons, ensemble, de reprendre le spectacle. Nous avons fait un collectif et une écriture de plateau sans le savoir, sans la nommer. Effectivement, même si notre duo avec Minyana était déjà en germe et créait des appels d’air du côté de nouveaux modes de représentation, Inventaires en 1987 a vu le jour avec la rencontre des actrices. Notre groupe était hétéroclite, désordonné, c’est-à-dire n’obéissant pas à une origine commune ou à un mouvement artistique identifié. Ce collectif a rapidement pris la mesure d’une façon de travailler à plusieurs. En effet, notre communauté provisoire constituée de trois actrices s’estimant réciproquement et sans expérience commune, d’un auteur et d’un metteur en scène dans l’entame de leur parcours, ce groupe donc a inventé son mode de répétition. Chacun à sa place et tout le monde à la place de l’autre. Pour le dire autrement en collectivisant les décisions, en cherchant à plusieurs, en identifiant si peu l’origine des idées, nous avons construit notre spectacle à partir de notre « milieu ». Comme un rêve de théâtre, en bousculant les hiérarchies ou les ordonnances des métiers. Bref en réalisant une écriture issue du plateau grâce à une rencontre improbable contractuellement décidée, avec un pacte d’amitié sous le coude.
Bien entendu le texte est plutôt de Minyana, le jeu plutôt de Giorgetti, Magre et Scob et la mise en scène plutôt de moi-même, c’est avec l’énergie de notre ensemble que nous avons formé le spectacle, j’aurais envie de dire avec nos inconciliables.
L’aventure était pour nous d’autant plus remarquable que rien n’avait anticipé cette participation commune à la recherche. Nous admirions ces actrices, nous leur avions demandé de jouer le jeu à venir. Avec Philippe nous voulions un travail fait de peu, construit à partir de minuscules déplacements techniques, nous souhaitions brouiller les frontières, les bords, que l’on ne parvienne pas à déterminer exactement le genre du spectacle en y assistant, nous espérions un théâtre manifeste à sa façon. Nous n’avions jamais anticipé le fait que l’ensemble de nous cinq deviendrait le ferment du travail, au point aujourd’hui de se remettre à l’ouvrage à la condition de reconstituer notre collectif.
À l’époque de la création quelques personnes ont misé sur ce « théâtre manifeste ». Ce fut François Le Pillouër, jeune programmateur de festival à Dijon, puis Jean-Claude Fall au Théâtre de la Bastille qui devant un projet aussi ambitieux mais pauvre ont permis qu’il se réalise.
Vingt-six ans plus tard, le texte a vécu sa vie en solitaire ; il est devenu un classique contemporain, joué un peu partout dans le monde, au programme du baccalauréat et interprété par des actrices de tous âges et de toutes origines. Nous avons voulu revenir à l’agencement du début et vérifier la pertinence de ce travail, rétrospectivement. Nous avions à notre répertoire ce travail de scène, nous étions tous vivants, et en plus joyeux de se remettre à l’ouvrage. Le texte écrit pour et avec ces comédiennes, parle toujours et encore de « vies minuscules », nous pouvions reformer notre collectif pour reprendre la pièce de théâtre représentée là où nous l’avions laissée dans des conditions quasiment équivalentes en terme de production et de désir.
L’actualité brûlante de cette parole, dite par trois femmes, projetée au devant d’un public sans frontière précise de jeu et de non-jeu, reste pour nous une forme manifeste et par conséquent nécessaire. Voilà pourquoi nous sommes de nouveau ensemble sur un plateau de théâtre pour Inventaires en 2013.
Robert Cantarella, metteur en scène, décembre 2012
Toujours chercher dans la forme, la réponse artistique aux commotions qui nous viennent du monde extérieur. La porosité, la disponibilité face à ces champs d’exploration (les formes artistiques) m’ont fait transformer au cours des années les matériaux dont je dispose.
En 1987, il y a eu Inventaires : interviews, performance ; un jeu dans le jeu. Et puis la construction de partitions brèves, des drames, a remplacé le monologue actif, exubérant.
Aujourd’hui me voilà aux contrées des fables, des contes. La construction, l’organisation de « ma toile » s’est infiniment transformée, précisée. Reprendre Inventaires permettra de mesurer presque trente ans plus tard, le parcours d’une écriture ; de dénombrer trois « périodes » ; d’établir des liens entre elles.
Cette aventure artistique c’est toujours faite en connivence avec des acteurs, des metteurs en scène. Certains accompagnements ont été durables. Robert Cantarella m’accompagne toujours. Qu’il ait envie de refaire entendre ce qui en premier lieu nous a unis, est un honneur, un enchantement, une bonne idée.
Pas de nostalgie, mais sans doute un geste vigoureux, roboratif, qui précisera que « la chose théâtrale » ne s’accomplit pas sans un groupe, une idée, un rêve, une utopie. Dans l’espace du théâtre, on ne se répétera pas, on construira à nouveau.
Philippe Minyana, avril 2011
« Elles sont grandes et même disons le grandioses " ... " Elles ont choisi un objet qui emblématise leur vie. Elles se racontent du grand art. C'est aussi drole que déchirant. » Armelle Heliot, Figaroscope le 6 février 2013
« Ces grandes actrices, drôles, malicieuses, rendent sensible le temps qui passe. Elles s'en donnent à coeur joie et nous aussi ! » Sylvie Bernard-Gresh, Télérama, le 6 février 2013
« Judith Magre, Edith Scob et Florence Giorgetti sont toutes les trois de retour pour participer à l'émission de télé Le marathon de la parole. L'idée reste.. : raconter sa vie au travers d'un objet fétiche. Découvrir ces comédiennes si naturelles et élégantes... est un régal. » Igor-Hansen Love, L'Express Styles, le 3 avril 2013
« La forme du jeu divertit,les récits interrompus intriguent. Dans cette course aux mots, la virtuosité des interprètes éclate, étayée par leur complicité sur scène. Elles revendiquent la liberté, l'audace de leurs personnages et la drôlerie, la fantaisie d'un texte qui n'a pas pris une ride. » Journal du dimanche, le 31 janvier 2013
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