Bone, le jeune homme enfermé dans une des tours du World Trade Center au moment où le premier avion percute l’une d’entre elles est une sorte "d'attrape-cœur" contemporain qui doit une partie de sa mélancolie à sa mort prématurée lors de cet événement. Selon un principe heuristique, il prend la mesure de sa vie et effectue une sorte d'archéologie intime qui le mènera de réminiscences familiales et personnelles vers une sorte de voyage initiatique, un lavement, une purification, et qui sait : pourquoi pas une sorte de "renaissance" ou une vraie naissance à la conscience de la vie.
Comme ces corps qui tombent, qui n’en finissent pas de tomber, la pièce donne à voir cette chute de notre civilisation que nous nous obstinons à ne pas vouloir regarder. Et ici, un homme, au lieu de chuter, est en train de voler dans le vide, clown triste suspendu sur un fil d'argent tendu en direction du sommet de l'une de ces deux tours, une sorte de Buster Keaton entre ciel et terre. Grâce de l'imagination, face à l'impitoyable pesanteur des corps, réversibilité des destins quand l'écriture s'en empare. Voix d'un chœur sacrifié, coryphée de tous ceux et celles qui ont disparu à cet instant.
Cet événement tragique devient salutaire dans ce qu'il permet à Bone de se comprendre, dans une sorte d'introspection clinique et décharnée. C'est avant tout une voix dans le vide. Fabrice Melquiot nous invite à aller à la rencontre et à l'écoute de nos 11 septembre personnels, de nos catastrophes intimes. Nous ne sommes pas loin du Marlow d'Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad qui remonte le fleuve à la découverte de l'horreur.
La forme monologuée invite chaque spectateur à devenir le dépositaire privilégié de la parole de Bone, qui survit pour témoigner et qui devient dans la tragédie notre propre porte-parole. Il cherche à s'abandonner à quelqu'un, cet autre lui-même, cet alter ego que devient le spectateur ! L'œil est lavé par le poème. C'est une cantate à une voix, solo musical proche de la litanie, à laquelle nous sommes conviés. Il faut suivre le mouvement du texte, non seulement sa syntaxe et sa rhétorique, mais sa facture rythmique et musicale.
Jean-Pierre Garnier
Je rien Te deum est paru à L’Arche éditeur, Paris, 2005.
Bone
Je m’appelle Bone, je dis ça pour pas oublier, pas qu’il m’échappe, mon nom, c’est une idée que j’ai à l’instant où.
Souviens-toi de ton nom, et tire-toi.
Cours, tant que tu sens ton pouls, cours jouer avec la taille de tes veines, cours !
Je veux me sauver.
Tout le monde prend l’escalier.
On, mais pas moi.
L’ascenseur.
Non plus.
La belle horreur,on se la colle au bide et c’est les uns contre les autres, les joues des uns dans la poitrine des autres, c’est prêt à s’étouffer dans une boîte, c’est prêt à mourir pour pas mourir, pas des amis, des visages et je leur ai souri.
Je veux me sauver.
Je cherche le fil.
Il doit y avoir un fil pour sortir de là, autrement.
Etre sûr d’en sortir seul et sur un fil, dernière cartouche, un don de soi à soi, une tenue de funambule plutôt qu’un torse inconnu dans un ascenseur, contre lequel prier.
J’ai besoin du ciel.
Je veux être cool.
Garder mon cool.
Dans la douleur.
Je rien.
Te deum.
Sujet extrêmement tentant et incroyablement périlleux que d'évoquer au théâtre le 11 septembre 2001. Mais n'est-ce pas une des raisons majeures d'exister du théâtre que de témoigner de notre société et d'évoquer nos contemporains sur le plateau. Les Grecs n'ont pas fait autre chose.
Bone, le jeune homme enfermé dans une des tours du World Trade Center au moment où le premier avion percute une des deux tours est une sorte « d'attrape-cœur » contemporain qui doit une partie de sa mélancolie à sa mort prématurée lors de cet événement. Selon un principe heuristique, il prend la mesure de sa vie et effectue une sorte d'archéologie intime qui le mènera de réminiscences familiales et personnelles vers une sorte de voyage initiatique, un lavement, une purification, et — qui sait — pourquoi pas une sorte de « renaissance », ou une vraie naissance à la conscience de la vie.
Comme ces corps qui tombent, qui tombent, la pièce donne à voir cette chute de notre civilisation que nous nous obstinons à ne pas vouloir regarder.
Et ici, un homme, au lieu de chuter, est en train de voler dans le vide, clown triste suspendu sur un fil d'argent tendu en direction du sommet de l'une des deux tours du World Trade Center, une sorte de Buster Keaton entre ciel et terre. Grâce de l'imagination, face à l'impitoyable pesanteur des corps, réversibilité des destins quand l'écriture s'en empare. Voix d'un chœur sacrifié, coryphée de tous ceux et celles qui ont disparu à cet instant.
Cet événement tragique devient salutaire dans ce qu'il permet à Bone de se comprendre dans une sorte d'introspection clinique et décharnée. C'est avant tout une voix dans le vide. Fabrice Melquiot nous invite à aller à la rencontre et à l'écoute de nos 11 septembre personnels, de nos catastrophes intimes. Nous ne sommes pas loin du Marlow d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad qui remonte le fleuve à la découverte de l’horreur.
La forme monologuée invite le spectateur à devenir le dépositaire privilégié de la parole de Bone. Ce nom signifie littéralement « Arête de l'os », ces éléments durs et calcifiés servant à soutenir les parties du corps entre elles, ou ces ossements qui constituent les restes de l'être après sa mort.
Bone survit pour témoigner et devient notre propre porte-parole de cette tragédie. Le personnage est à une étape charnière de sa vie et doit en passer par une expérience en quelque sorte initiatique pour grandir. Bone, par cet événement, cherche à s'abandonner à quelqu'un, cet autre lui-même, cet alter ego que devient le spectateur ! L'œil est lavé par le poème.
C'est une cantate à une voix, solo musical proche de la litanie, à laquelle nous sommes conviés. Il faut suivre le mouvement du texte, non seulement sa syntaxe et sa rhétorique, mais sa facture rythmique et musicale.
Jean-Pierre Garnier
Passage Molière - 157, rue Saint Martin 75003 Paris