Résumé de l'Ecole des maris
À propos de l'École des maris, par Thierry Hancisse
Molière et le mariage : visions cornues, par Jean-Loup Rivière
Quelques extraits de presse
Deux frères aiment deux sœurs dont ils ont la tutelle. Si Ariste autorise Léonor à jouir des plaisirs de son âge, Sganarelle, le plus jeune, tourmenté, fragile, isole Isabelle du monde et espère ainsi la protéger des vices du temps. Mais la jeune fille, éprise de liberté, répond aux assiduités d'un jeune amant, Valère, et, trompant Sganarelle, le réduit à son insu à devenir l'ouvrier de son propre malheur.
À propos de l'École des maris, par Thierry Hancisse
Bien sûr, il s'agit d'une farce. Il y a la vitalité, la férocité, le désespoir. Bien sûr, il y a l'énergie, le ridicule, le grotesque et la naïveté.
Bien sûr, il y a le barbon, la jeune fille, le mensonge, l'amour trompé. Mais il y a Molière, donc il y a questionnement, parce qu'il y a vérité. La vérité des sentiments, des souffrances. En bref, les vérités humaines.
Très vite la lecture et les questions plongent les racines de la farce dans un terreau qui n'est ni social, ni réaliste, mais existentiel et poétique. Le canevas simple de l'intrigue et le classicisme de la construction enfermée dans la règle des unités s'ouvrent sur un vertige d'interrogations, de lignes offertes par Molière à nos émotions, à nos contradictions.
Il y a l'histoire d'un homme qui aime une femme qui ne l'aime pas.
Il y a l'histoire d'un homme qui abhorre une société, sa frivolité et son mensonge, un homme qui veut protéger la femme qu'il aime de ce mensonge et qui désire illusoirement qu'elle le protège de lui-même, le guérisse de son mal de vivre.
Il y a l'histoire d'une enfant qui apprend trop vite le mensonge, le trouble, le désir et la haine.
Il y a l'histoire d'une orpheline élevée par un homme trop jeune, l'histoire d'enfances pas vécues, de pudeurs violentes, de tendresses obligées par l'habitude.
La tendresse, l'amour, la souffrance et le mensonge deviennent la seule règle d'unité, car l'auteur est un poète ricanant sur lui-même. Notre travail s'offre à recueillir les vibrations de ce ricanement.
Sganarelle, souvent considéré comme celui à qui on doit ouvrir les yeux, est peut-être celui qui en définitive offre ce qu'il y a à voir à l'intérieur.
Molière et le mariage : visions cornues, par Jean-Loup Rivière
Tout artiste répète, se répète. Il se définit par là, par là devient artiste. L'élection d'un objet ne suffit pas, il faut l'obstination à le reproduire, à en creuser l'évidence, à mettre en doute son apparence, à en varier les formes. Ce qui donne son sens au motif, c'est sa répétition, car c'est par elle qu'il devient autre chose : une madone, chez Bellini, est autre chose qu'une Vierge à l'enfant, et la Sainte-Victoire, chez Cézanne, autre chose qu'une montagne. Pourquoi cette figure biblique ? Pourquoi ce coin de nature ? Difficile à dire… mais c'est néanmoins par sa relation répétée à l'objet choisi que l'artiste s'adresse à nous, tente de transmettre une expérience qui lui est propre. Dans l'œuvre de Molière, les motifs sont peu nombreux, et parmi eux, il en est un particulièrement récurrent : le cocu. S'il peut être légitime de rire ou de se moquer d'un dévot ou d'un pédant, car ils affectent la croyance ou le savoir, pourquoi le faire d'un malade, d'un vieillard ou d'un cocu, puisqu'ils sont, eux, affectés par la maladie, l'âge ou la trahison ? Il faut prendre acte de cette particularité de notre espèce : la souffrance des autres fait rire.
L'École des maris et le Mariage forcé font partie d'un cycle du mariage, qui est aussi un cycle du " cocuage " . Il commence avec Sganarelle ou le Cocu imaginaire (1660), et se termine avec George Dandin (1668). Qu'y a-t-il donc chez le cocu qui en fasse un bon motif ? Pour Molière au moins. Il faut d'abord distinguer le Jaloux du Cocu, car le jaloux n'est pas forcément cocu, et, quand il est complaisant, le cocu n'est pas jaloux. En outre, la jalousie est un sentiment, et le cocuage est un état. Il faut ensuite ne pas s'arrêter aux explications historiques ou biographiques. Elles comptent, bien sûr, mais ce n'est pas seulement parce que la tradition de la farce accorde une place de choix au Cocu que Molière fait de même. Et ce n'est pas non plus seulement pour traduire les événements et les inquiétudes de sa vie personnelle (L'École des maris est écrite juste avant son mariage, et celle des femmes juste après). Non, il y a beaucoup plus que cela, le Cocu est à Molière sa madone et sa Sainte-Victoire.
Le cocu peut être imaginaire, il croit l'être quand il ne l'est pas : c'est par exemple le Sganarelle du Cocu imaginaire, première pièce du cycle, pièce programmatique et fondatrice, au point que Molière la jouera au moins une fois l'an jusqu'à sa mort. Il peut être aussi cocu potentiel, c'est par exemple Arnolphe dans l'École des femmes (1662). Il peut être enfin quasi cocu comme Dandin. Dans tous les cas, le thème développé par Molière à travers la figure du cocu est celui de la responsabilité personnelle. Le malheur du premier Sganarelle ne provient que de ses " visions cornues " . Comme le malade, il est cocu " imaginaire " . Le Sganarelle de l'École des maris est l'artisan méticuleux de son propre malheur. Cette structure est l'essentiel ressort comique de la pièce. Et il faut le dernier avatar du Cocu pour que cette vérité devienne ritournelle : " Vous l'avez voulu, vous l'avez voulu, George Dandin, vous l'avez voulu… " . Au fond, Molière ne croit pas un mot des arguments de Chrysalde qui, dans l'École des femmes, voit dans le cocuage l'effet nécessaire d'une fatalité de nature. Être cocu est selon lui peu de chose, car c'est un pur accident, un coup inévitable du sort : " Et qu'une âme bien née ait à se reprocher / L'injustice d'un mal qu'on ne peut empêcher. " , ou bien : " Cet accident de soi doit être indifférent " . Le point de vue de Molière est à l'opposé, et bien avant que l'on ait entrepris de démêler les ruses de l'inconscient, il cherche à mettre à jour la responsabilité de celui qui reçoit une tuile sur la tête, la part qu'il prend à ce qui lui échoit.
Comme le Malade, le Cocu est confronté à sa propre mortalité : cet accident de la vie lève le spectre de la mort. Il est frappant de voir que, dès la première scène de la première pièce du cycle, cette image est présente. Une femme s'est évanouie, Sganarelle la croit morte, il la prend dans ses bras, et sa femme, le surprenant dans cette posture, est convaincue qu'elle est trompée et décide de lui rendre la pareille… Le Cocu doit se débrouiller avec la mort dans les bras. Et Dandin le sait bien que la mort est au bout du chemin, puisque c'est son dernier mot. C'est d'ailleurs un lieu commun du sujet : le cocu est en effet en instance de vengeance, il lui faut éventuellement tuer et donc risquer d'être tué. Le Barbouillé répugne à tuer sa femme, car il serait pendu, et le premier Sganarelle renonce à se venger car " il vaut mieux être encor cocu que trépassé " . Comme le Malade, le Cocu inscrit la mort dans la perspective de sa vie. Ce héros ridicule a du cœur.
Sans être complaisant et se réjouir de son infortune, le Cocu a cependant besoin de quelque publicité : ce n'est pas un malheur strictement privé. Il a besoin soit d'un témoin, soit d'un tiers à qui adresser une demande. Le témoin dilue la peine en la partageant, soutient et légitime la colère, reconnaît et juge la faute, ou non – et dans la farce c'est généralement non. Le tiers est invoqué pour prévenir le mal, qu'il soit déjà commis ou pas. Tout le Mariage forcé est constitué d'une série de questions qui restent sans réponses. Le Cocu adresse une prière au monde qui reste muet ou incompréhensible. Avant Molière, Rabelais a longuement développé cette situation : trente des cinquante-deux chapitres du Tiers-Livre y sont consacrés. Quelle que soit la forme que donnent Panurge, Sganarelle ou un autre à sa question – Fais-je bien de me marier ? –, et quelle que soit la forme de la réponse, elle était déjà inscrite et certaine : " Vous serez coqu, vous serez batu, vous serez desrobbé " . Il y a donc quelque chose de religieux dans le cocuage, on parle d'ailleurs de la " confrérie " . Loin de se soumettre à une loi qui le dépasse, le Cocu cherche un complice pour supporter sa rigueur, se répand en prières, et invoque une rédemption. On comprend alors mieux pourquoi, dès avant Tartuffe, Molière avait réuni les dévots contre lui avec l'École des femmes où Arnolphe fait un " sermon " à Agnès, et parodie les commandements divins.
La figure du Cocu prend sa plus haute et troublante expression dans une des pièces ultimes du cycle, Amphitryon. Jupiter et Mercure ont pris la place et les traits d'Amphitryon et Sosie. Le mari est trompé par un autre lui-même, et cet autre est un dieu. Rien n'est reprochable aux dieux – ils peuvent tout –, pas plus qu'aux épouses abusées par la ressemblance : " Un partage avec Jupiter / N'a rien du tout qui déshonore " . Il est d'ailleurs frappant de constater que le mot de cocu, qui pourrait trouver place légitime et sens positif dans cette pièce, ne s'y trouve pas. Par une feinte, l'autre est devenu le même, ce qui définit très exactement le théâtre, l'entrée de l'acteur dans son personnage. Le Cocu aurait-il à voir avec l'Acteur ? C'est ce que relève une remarque de la comédie malveillante écrite contre Molière, Élomire hypocondre, publiée sous le nom de le Boulanger de Chalussay : " Homme fit-il jamais votre profession / Qui femme eut pour lui seul ? " . La question est une sottise sociologique – tous les acteurs sont des débauchés –, et une pique cruelle – vous étiez cocu –, mais elle pointe ce trouble de l'identité que le jeu théâtral a pour principe – je viens à la place d'un autre, un autre est venu à ma place. Ce jeu est d'illusion sans illusions : je sais que je joue, je sais qu'ils jouent. Le dernier vers prononcé par Sganarelle dans le Cocu imaginaire pourrait s'adresser aussi bien à la " confrérie " qu'au spectateurs : " Et, quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien " , thème qui trouve peut-être sa plus forte expression dans Tartuffe. Le Cocu est une figure grotesque dans les traits de laquelle sont dissimulées deux inquiétudes : un autre est-il à ma place ? Cela est-il bien sûr ? Voilà pourquoi, sans doute, Molière donna si souvent ce visage à la noce problématique du semblant et de la vérité que tout artiste a pour fonction de réfléchir.
Le Figaro, le 22 octobre 1999 — Frédéric Ferney
[...] Thierry Hancisse (qui signe la mise en scène et les costumes de l'École des maris) renonce aux rubans et à la guipure du Grand Siècle : il préfère marier la fraise et la redingote, le marcel et le chapeau melon ; il promène Molière dans les paysages de l'impressionnisme : papillons, ombrelles, capelines, avec une touche de gouache abstraite. Nous voici dans un climat de clownerie féerique, dans un temps indéterminé de fantaisie shakespearienne. [...] Jérôme Pouly – furieux, dépenaillé, rougeaud, grognant comme un animal blessé – se montre très convaincant. Auprès de lui, Coraly Zahonero (mi-ingénue, mi-Dom Juane dans Isabelle), Alexandre Pavloff (un Valère délicieusement tendre et risible), et Jacques Poix-Terrier (Ergaste) sont excellents. Le Mariage forcé, en seconde partie de soirée, s'ouvre sur une scène de rêverie, si dépouillée qu'il faudrait un rien pour qu'on bascule dans le fantastique. Andrzej Seweryn, avec son âme polonaise – avec de la bizarrerie et de la force grisée de songes – explore les progrès de la peur dans une zone intermédiaire entre le jour et la nuit. [...] Très beau travail, en tout cas, et fermement conduit : dès la première scène, nous sommes dans une cadence – coupée de fugues, d'exploits, de virtuosités – qui se fait chant, qui se fait danse, sans jamais renier la finalité de la farce. Gérard Giroudon (Sganarelle), Éric Génovèse et Nicolas Lormeau (les deux pédants) se donnent chaud aux joues pour dérider le public : avec succès. Quant à Florence Viala, elle est époustouflante de verve dans le récitatif de la jeune coquette. [...]
L'Express, le 27 octobre 1999 — Laurence Liban
[...] Thierry Hancisse met en scène l'École des maris avec un souci poétique qui n'exclut pas l'humour noir ; il allie la délicatesse à la charge et fait planer le désir sur les ailes des papillons. C'est joli, fin, joué comme il faut quand on a 20 ans. Avec le Mariage forcé, Andrzej Seweryn montre le cauchemar d'un homme qui va chercher chez les philosophes des raisons pour épouser ou ne pas épouser et pousse le rire à fond la caisse. Ça marche fort ; Florence Viala et Gérard Giroudon n'y sont pas pour rien. De quoi passer un bon moment. Ce qui s'appelle une soirée à double détente.
Le Parisien, le 28 octobre 1999 — André Lafargue
[...] On saluera, avec plaisir, l'audace de Thierry Hancisse, qui a imprimé son style et son rythme à l'École des maris. On est certes un peu inquiet de prime abord en découvrant Sganarelle sous les traits de Jérôme Pouly. C'est l'homme de Cromagnon ! Mais, bien vite, on comprend ce parti pris de rudesse et le retournement des situations nous rend son personnage attachant. Les traits s'affinent, l'émotion perce sous le rire et l'on sourit en découvrant des touches surréalistes dans les scènes de farce. Et puis Coraly Zahonero est une si charmante Isabelle ! Mais une bonne surprise peut en cacher une autre, et, après l'entracte, Andrzej Seweryn nous entraîne dans un univers bien différent avec le Mariage forcé. Place ici à la poésie et à l'humour, voire au fantastique onirique. Sganarelle quinquagénaire s'interrogeant sur le bien-fondé de son projet de mariage avec Dorimène nous émeut et nous amuse. Gérard Giroudon s'y montre subtil et ses partenaires sont parfaits. La palme revenant sans doute au petit Emmanuel Burgun, dont la voix pure est un ravissement. Une excellente soirée vraiment.
Le Figaro Magazine, le 29 octobre 1999 — Philippe Tesson
[...] Une soirée farcesque, joviale, rabelaisienne, qui nous permet de voir deux Molière trop rarement joués et intelligemment accouplés à l'affiche : l'École des maris et le Mariage forcé [...] Il y a dans l'École des maris un reste de farce. C'est d'ailleurs ce qui en fait le charme. Thierry Hancisse l'a bien compris, et il nous livre la pièce dans toute sa vérité, on allait dire sa brutalité. Il a eu la bonne idée de forcer les traits de ce fou de Sganarelle, une sorte de fondamentaliste du mariage, un Arnolphe hystérique, et le jeu de Jérôme Pouly répond parfaitement à cette définition excessive. En face de lui, Coraly Zahonero fait une touchante Isabelle, cette garce au visage d'ange. Il y a dans cette comédie un parfum de bouffonnerie qu'on adore. À cet égard, on va être comblé avec le Mariage forcé. C'est un merveilleux délire que nous offre Andrzej Seweryn. Que l'on sache, c'est la première mise en scène de cet excellent comédien. Un coup de maître très inspiré. Exactement la folie qu'il faut à cette farce burlesque et désordonnée, où Rabelais est si présent. [...] Les comédiens s'amusent follement. Ils sont formidables. Tous : Gérard Giroudon en barbon calamiteux, Florence Viala, désopilante Dorimène, Jean-Claude Drouot en vieux sage. La célèbre scène des deux philosophes, trésor du répertoire, est épatante. Tout cela coule avec allégresse et extravagance. Et l'on entend pourtant la voix rave et douloureuse de Molière. Bravo !
Place Colette 75001 Paris