L'Orestie

Aubervilliers (93)
du 28 novembre au 21 décembre 2007
2h30 environ

L'Orestie

A travers l'histoire de la famille des Atrides, Eschyle interroge la justice primitive des Grecs fondée sur la loi du talion, celle de la vengeance immédiate et individuelle, avant d'appeler à la démocratie. David Géry, après sa très belle adaptation de Bartleby, réunit de jeunes acteurs et des comédiens plus confirmés, pour s'approprier une œuvre fondatrice du théâtre.

Une œuvre fondatrice du théâtre
Entretien avec David Géry
Repères
Extrait
La presse

  • Une œuvre fondatrice du théâtre

David Géry, après sa très belle adaptation de Bartleby (2005), réunit cette fois de jeunes acteurs rencontrés lors de formations et des comédiens plus confirmés, pour s'approprier une œuvre fondatrice du théâtre. Une occasion de retrouver Yann Collette, inoubliable Bartleby.

Dans la trilogie de L'Orestie, à travers l'histoire de la famille des Atrides, Eschyle interroge la justice primitive des Grecs fondée sur la loi du talion, celle de la vengeance immédiate et individuelle. Au fil du récit, par une nécessité rigoureuse, le crime appelle le crime : Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie pour prendre Troie. Revenu victorieux à Argos, sa femme Clytemnestre le tue au nom de leur fille sacrifiée. Par là elle se condamne à mourir à son tour. C'est par la main de son fils Oreste, poussé au meurtre en mémoire de son père Agamemnon, que sa mort vient. Les Érinyes, déesses vengeresses attachées à poursuivre le crime, réclament le sang d'Oreste pour son matricide. Alors où s'arrêter ? Comment finir ? Dans la dernière pièce, Les Euménides, Eschyle lance un appel à la sagesse et à la justice, où triompheraient la concorde - par le débat et par la procédure du vote majoritaire - et finalement la démocratie.

Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides d'après Eschyle, traduction Daniel Loayza, adaptation et mise en scène David Géry.

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  • Entretien avec David Géry

Si « le théâtre n’est plus au centre de la vie civique, c’est peut-être que le civisme n’est plus au centre de la cité ». Régis Debray

Quelles sont les raisons qui me poussent à mettre en scène L’Orestie d’Eschyle ?
Il devrait être reconnu d’utilité publique de revisiter ce chef-d’oeuvre, de le monter au nom de la civilisation, au nom de la démocratie, au nom de notre humanité. En -458 de notreère, au temps de l’âge d’or d’Athènes, Eschyle, citoyen de la démocratie naissante, écrit L’Orestie, qui ne se jouera qu’une seule et unique fois… Ce chef-d’oeuvre absolu du génie humain a traversé les siècles en demeurant d’une brûlante actualité et il reste aujourd’hui la seule trilogie antique sauvegardée. Il y a plusieurs années, j’ai proposé aux élèves du Théâtre École du Phénix de travailler sur L’Orestie d’Eschyle. Je peux dire aujourd’hui, avec le recul, que l’envie de m’attaquer à ce monument fondateur de notre théâtre occidental représentait un défi que je me lançais à moi-même. Ce projet me paraissait être un pari quelque peu ambitieux pour un travail d’école, mais comme tout projet a priori impossible ou fou, il nous a fait pousser des ailes. Nous nous y sommes attelés avec enthousiasme et nous avons plongé durant toute une année dans cette histoire qui reste, 2500 ans après, d’une incroyable modernité, d’une effroyable actualité. Nous avions construit un spectacle de deux heures, avec une vingtaine de comédiens. Depuis, l’idée de reprendre et de poursuivre ce travail n’a pas cessé de me hanter…

Que raconte L’Orestie ?
Au sein de nos démocraties, que nous tenons à montrer comme modèle de civilisation, au sein même de nos villes et de nos banlieues, à deux pas de chez nous, surgissent des actes de barbarie qui jettent l’effroi et nous rappellent que la démocratie n’est pas un acquis et qu’elle sera toujours à conquérir et à reconquérir, de génération en génération. Elle se gagne quotidiennement au prix d’une vigilance et le moindre relâchement la fait chanceler. Quelle est la limite entre une société dite civilisée et la barbarie ? L’humanité en renonçantà la loi du talion, au désir de vengeance immédiate et individuelle, en se battant pour inventer une justice et ses lois, est passée d’un état de barbarie à celui d’une civilisation plus équitable et plus démocratique. Mais la démocratie n’existe pas en soi, l’homme résiste à ses instincts et se fait violence pour être à la hauteur de cette utopie.

La leçon d’Eschyle est une leçon d’humanité ; briser le cercle infernal de la vengeance, de la loi du talion, par la création d’une justice faite par les hommes pour les hommes. La civilisation, c’est le civisme. Pour détourner la violence, l’homme doit se faire violence. Il doit utiliser la parole, la partager, la faire circuler, utiliser le débat et la confrontation, transformer la parole en acte, en un mot faire du théâtre. Aujourd’hui les hommes politiques font de la politique un spectacle, au risque de perdre tout crédit auprès des citoyens. Dans la Grèce Antique, la fonction du théâtre était de mettre en lumière le politique, rendons-lui cette fonction. C’est pourquoi je veux monter L’Orestie.

Quel est mon point de vue de metteur en scène ?
Eschyle raconte l’invention, la naissance de la démocratie. Il nous la raconte en trois temps : dans Agamemnon, celui du passage du pouvoir légitime, temps de la liesse, de la fête populaire, du retour de la guerre d’Agamemnon, à celui du pouvoir usurpé par un coup d’état, de la vengeance, des meurtres, des libertés bafouées, temps de la censure et de l’oppression. Vient ensuite, avec Les Choéphores, le temps de la résistance et de nouveau celui de la vengeance. Enfin avec Les Euménides, celui d’une nouvelle proposition pour briser le cercle infernal de la vengeance par l’invention d’une justice différée, par l’invention de la démocratie et de la parole partagée.

Ce que je veux mettre en exergue dans ma mise en scène c’est, à travers les trois volets de la trilogie, la trajectoire du choeur, c’est-à-dire du peuple qui - spectateur des affrontements de la famille des Atrides au pouvoir, spectateur muselé dans sa parole et donc interdit d’action, exclu et manipulé - entre en résistance et devient l’acteur principal. Il invente alors, au prix d’un difficile combat intérieur, la démocratie. L’Orestie nous raconte l’histoire des Atrides pour mieux nous raconter, un chemin initiatique, la prise de conscience qui mène à la liberté, qui permettra au choeur de s’affranchir d’un pouvoir qui ne lui laisse aucune place. Le véritable héros de cette trilogie, c’est le peuple ou le choeur.

Vues sous cet angle, les trois pièces prennent une toute autre dimension. Choisir le point de vue du choeur, c’est éclairer les deux premières pièces d’une autre vision. Tous les Athéniens connaissaient l’histoire des Atrides, ce qui a été fondamentalement nouveau pour eux c’est qu’Eschyle ait mis en scène le tribunal de l’Aréopage, ait représenté les débats dans la cité et mis en lumière leurs sens. La trajectoire du choeur, son implication, sa participation à l’action, le récit de son évolution est pour moi le centre même de cette trilogie. L’Orestie raconte une « affaire » d’État où se mêlent des affaires privées. Quand sera démêlé le privé du public alors l’humanité naîtra à elle-même. Dans l’affaire Agamemnon-Clytemnestre, les grands, les héros s’agitent en excluant le peuple à qui ils concèdent des bribes d’informations, on dirait aujourd’hui, quelques images, triées et choisies. Agamemnon et Clytemnestre, inoubliables noms propres, ne sont là qu’exemplairement. D’autres pourraient les remplacer. Ce qui, en revanche, est irremplaçable, c’est le surgissement dans Les Euménides du débat. Ce sera mon axe de réflexion.

Si nous prenons l’exemple du premier volet de la trilogie, Agamemnon, le point de vue que nous prendrons ne sera jamais psychologique, ni de l’ordre de l’intimiste. Nous travaillerons à dévoiler le principe de la langue de bois, tous les discours se feront à la tribune, face au public qui sera acteur-spectateur. La retransmission des discours et des interventions du choeur, interviewé par le Coryphée, effectuant des micros trottoirs, s’effectuera, en direct, sur grand écran. La fonction du Coryphée est d’être entre les héros : la famille des Atrides et le choeur. Qui aujourd’hui remplit ce rôle, sinon les journalistes, la télévision et les médias. Agamemnon commencera par un grand show médiatique et politique. Le Coryphée sera un journaliste, tantôt grand reporter, tantôt animateur du JT ou de shows télévisés. Toute la première partie d’Agamemnon nous racontera la relation trouble qu’entretiennent le pouvoir, les médias et le peuple, avec l’actualité. Nous verrons comment l’Histoire se raconte, comment l’Histoire se fabrique.

Je réunis pour ce projet un collectif d’une quinzaine d’acteurs parmi lesquels des anciens de mes élèves du Lycée Lamartine (Paris) où j’enseigne depuis une dizaine d’années et qui est en partenariat avec le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, ou du Phénix à Valenciennes. Ils ont tous après ces ateliers suivi une formation supérieure dans de grandes écoles de théâtre ; ce sont aujourd’hui des comédiens professionnels.

Le théâtre se fera à vue et par tous. Un théâtre au présent, militant, plein de jus, mettant l’accent sur la force du jeu des acteurs. Peu de décors, des éléments simplement, des barrières qui servent à maintenir les foules, des praticables, des pupitres pour des discours… Et aussi de la vidéo, plusieurs caméras qui retransmettront en direct ce qui se passe sur le plateau. Elles seront manipulées par les acteurs.

Entretien avec David Géry, mai 2007

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  • Repères

Eschyle, Sophocle, Euripide
Eschyle est, par ordre chronologique, le premier des trois grands tragiques grecs du Ve siècle avant J.-C. Il est considéré comme le créateur de la tragédie. « Eschyle est un géant du théâtre. Il faudra attendre Shakespeare pour trouver un poète de cette dimension. C'est un homme de son temps, préoccupé avant tout des problèmes de la Cité. Sophocle est à son époque l'auteur le plus admiré. Sa génération n'a plus à instaurer la démocratie. Elle s'intéresse encore aux problèmes de la violence, des rapports avec le pouvoir… mais surtout aux conflits entre l'homme et les dieux. Bref, au destin individuel. Euripide reste le grand classique de ce siècle. C'est lui qu'on imite jusqu'à nos jours. Euripide, c'est déjà du théâtre moderne, réaliste, voulant " rendre " la complexité de la vie. » André Degaine, Histoire du théâtre dessinée , Éd. Nizet, 1992

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  • Extrait

(Une fois encore, du sommet de l’escalier de marbre entièrement revêtu d’un tapis pourpre, le général en chef salue la foule en liesse d’un geste où perce l’impatience. Dans la lumière cristalline de l’hiver, on entend les tambours en bas sur la place, le bruit des sabots des chevaux, le claquement des drapeaux et les voix des esclaves qui déchargent le butin des charrettes. Seuls les gardes restent sans bouger sous les propylées comme s’ils appartenaient à un autre monde. Il flotte dans l’air un âpre parfum de lauriers écrasés. Entre les acclamations, dans le brouhaha général, on distingue par moments les grands cris fatidiques d’une folle qui gît recroquevillée aux pieds de l’escalier - des cris inexplicables, dans une langue étrangère. Le général s’est retiré, suivi de sa femme. Ils ont emprunté le long couloir. Ils pénètrent dans une salle où la table est mise pour le déjeuner. Il quitte son uniforme de guerre. Son grand casque orné d’une queue de cheval, il le pose sur la console, devant le miroir. Le miroir reflète le casque, comme si s’accouplaient deux casques métalliques vides, déformés. Il s’allonge sur un divan. Ferme les yeux. Dehors on entend toujours les acclamations de la foule et les cris de l’étrangère. Il couvre ses oreilles de ses paumes. Sa femme, belle, sévère, imposante, se baisse avec une humilité qui contredit son allure pour lui dénouer ses sandales. Il pose sa main gauche sur ses cheveux, en faisant attention de ne pas lui abîmer sa belle coiffure. Elle se recule. Elle reste droite, un peu plus loin. Il sourit de manière lointaine, comme par fatigue. Il lui parle. On ne sait pas si elle entend.)

Je t’en supplie, donne-leur l’ordre de se taire. Qu’est-ce qu’ils ont à crier ?
Qui applaudissent-ils ? Pourquoi ces vivats ? Est-ce leurs bourreaux qu’ils acclament ? est-ce leurs morts ?
ou est-ce pour s’assurer qu’ils ont des mains et qu’ils peuvent encore frapper,
ou qu’ils ont encore de la voix pour pouvoir s’entendre crier ?
Fais-les taire. Regarde, la fourmi qui descend du mur –
quelle sûreté et quelle simplicité, elle qui marche à la verticale,
elle n’a même pas le sentiment d’exécuter un exploit –
peut-être parce qu’elle est seule,
peut-être parce qu’elle n’a aucune importance, qu’elle n’a pas de poids, presque pas d’existence ; – je suis jaloux d’elle.
Laisse-la ; ne la chasse pas ; elle monte sur la table ; elle a pris une miette de pain ;
son fardeau plus grand qu’elle, – tu la vois, – c’est la même chose pour nous tous,
nous soulevons toujours un poids plus grand que nous-mêmes.
Ils n’ont pas l’air de vouloir se taire. Et les feux sur les autels – cette fumée
et l’odeur des rôtis ; – une nausée, – non, ce n’est pas à cause de la tempête –
quelque chose d’acerbe dans la bouche, de la peur
dans les doigts, dans la peau ; – comme alors, une nuit, c’était l’été,
et je me réveillai en sursaut – quelque chose de gluant, de visqueux sur tout le corps ;
je ne trouvai pas les allumettes ; je me cognai ; j’allumai la lanterne :
sur la toile de la tente, sur le sol, sur les draps, sur le bouclier, sur le casque,
des milliers de limaces ; je marchai dessus les pieds nus pour sortir – il y avait un peu de lune,
des soldats nus se battaient en riant, s’amusant avec ces reptiles répugnants – répugnants eux-mêmes ;
leurs sexes
remuaient comme des limaces. Je plongeai dans la mer ; l’eau ne put me laver ;
sur ma joue gauche traînait la lune, gluante elle aussi,
jaune, jaune, un épais liquide. Et ces acclamations maintenant…

Agamemnon - extraits - de Yannis Ritsos, In Le mur dans le miroir et autres poèmes,
Traduction Dominique Grandmont, Éditions Gallimard, Collection « Poésie », Paris, 2001.

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  • La presse

"La saveur enthousiasmante d'un spectacle total, en forme de coup de poing. Vérité du jeu de jeunes gens (dont Véronique Sacri, flamboyante entre tous en Cassandre) à la générosité formidable. Intemporalité d'une fable bien plus humaine qu'antique." La Terrasse

"David Géry adapte habilement cette trilogie antique. Un travail qui mérite d'être vu !" L'Humanité

"Le ton est lancé, le rythme est assuré par une bande de jeunes comédiens enthousiastes face à l'expérience d'acteurs confirmés (Maurice Bénichou, Caroline Chaniolleau, Yann Collette)." Le Monde

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Théâtre de la Commune
2, rue Edouard Poisson 93304 Aubervilliers
Spectacle terminé depuis le vendredi 21 décembre 2007

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