Gorge Mastromas est un salaud et l’assume. Il peut. Il a l’argent et le pouvoir. Enfant, sa gentillesse le confinait aux seconds rôles, subissant plus qu’il ne choisissait sa vie. Adulte, il se métamorphose. Quitte l’innocence pour l’abjection, devint le maître d’un monde capitaliste où il règne, quels que soient les moyens employés.
Avec un humour corrosif, Dennis Kelly crée avec ce personnage le prototype du héros libéral : un être sans scrupule, le genre de manipulateur que sacralise aujourd’hui notre société.
Gorge Mastromas hésite entre bonté et lâcheté jusqu’au jour où il découvre que l’on peut tout avoir par le mensonge. Il commence à mentir, à entrer dans une logique du système qui l’entoure et à tout avoir. Le pouvoir, l’argent tout sauf une femme, sa collègue Louisa qu’il aime et qui lui résiste. Pour la conquérir, il fait semblant de se ruiner volontairement parce qu’au fond de lui il y aurait une faille . Pourtant rien ne semble le perturber, sauf la visite de son frère qui se sent trahi par la publication des mensonges sur le passé familial.
Animé par l’obsession de sauvegarder son statut et sa réputation, Gorge ne voit pas d'autre moyen que de l’assassiner.
Dans l’abattage rituel, Dennis Kelly nous rappelle que nos choix ne sont bons ou mauvais qu’au regard de l’histoire ; il nous livre, avec sa toute dernière pièce, une mythologie monstrueuse formidablement moderne. Il s’agit d’une pièce clairement à charge contre l’ultralibéralisme, qui tue méthodiquement l’humanité en chacun de nous. Une oeuvre drôle et terriblement cruelle.
L’écriture de Dennis Kelly est extrêmement irrévérencieuse, concise, compacte, sans artifice, elle restitue de façon implacable une certaine idée de la société dans laquelle nous évoluons.
L’auteur porte un regard chirurgical, froid sur l’humain. Dégagé de toutes formes d’apitoiement il nous livre en deux heures la vie d’un homme de sa conception à ses 60 ans. Kelly, a digéré et Beckett et Pinter et Tchekhov. Il s’est affranchi de toute influence dramaturgique et propose une dramaturgie radicalement contemporaine, ancrée dans son époque ; Il n’hésite pas à laisser sur le carreau le lecteur, le forçant à plonger en lui-même, sans fard.
Il y a de la tragédie contemporaine, de la dérision, de l’absurde et de la drôlerie. C’est un théâtre musclé, ténu et effroyablement efficace. A travers le personnage de Mastromas, se reflète tous les abus, toutes les perversions, toutes les dérives humaines et politiques et d’une certaine façon toutes les pathologies comportementales propre à l’époque dans laquelle nous nous trouvons.
Cette pièce est une machine de guerre, qui avance avec une force constante, écrasant tout sur son passage.
La pièce interroge les actes posés par les hommes. Avec une grande acuité, la question posée serait : Fabriquons nous notre propre destinée ou est ce que notre destinée est régie par des lois envers lesquelles nous n’avons aucun pouvoir ?
Franck Berthier
78 bis, boulevard des Batignolles 75017 Paris