Une comédie dramatique écossaise
Route après Route…
La pièce vue par l’auteur
La Chaise de Paille se situe sur St Kilda, une île perdue à l’ouest des Hébrides, un été entre 1735 et 1740. Aneas Seton, pasteur d’une soixantaine d’années, est envoyé là afin d’évangéliser les âmes. Il vient d’épouser Isabel, jeune fille qu’il connaît depuis qu’elle est enfant. Sur cette terre éloignée vit Lady Rachel, une femme étrange, qui prétend être retenue contre son gré. Elle est accompagnée par Oona, native de l’île.
A travers ces personnages, l’auteur nous raconte une histoire où se heurtent les cultures : celle de l’Edimbourg du XVIIIe siècle, la civilisée, et celle de cette communauté gaélique éloignée, à la simplicité primitive. Isabel sortira profondément changée de sa rencontre avec Rachel : de son ignorance des choses de la vie naîtront des doutes et des questionnements, une idée de liberté et une révolte.
Sue Glover écrit les plus beaux rôles de femmes du théâtre contemporain européen. Au pays des gens de lettres, elle a pour voisins Tchekhov, Synge, Harrower, Burns ou Stevenson. Sue Glover habite en Ecosse, au milieu des légendes, des contes et des histoires vraies.
Texte édité à L'Avant-Scène théâtre - n° 1133. Texte français Guy Pierre Couleau (avec le concours de l’auteur).
Je rentre de ma journée de répétition et je tiens entre mes mains La Chaise de Paille de Sue Glover. Dans ma tête, un archipel, des visages, une lampe à huile, l’océan, des oiseaux de mer, des mots de gaélique, un coffre et une lettre. Tout cela est à présent d’un autre âge. L’image d’un monde qui n’est plus.
Mais derrière ces herbes couchées par le vent et ces attitudes discrètes, il y a bien plus que cela. Il existe la poésie douce et secrète d’une femme vivante. Elle regarde la mer chaque jour, quelque part en Ecosse. Et je crois la reconnaître dans chaque personnage des histoires qu’elle écrit.
Je trace ces mots à même mon exemplaire de travail, au cœur du texte de cette Chaise de Paille que je mets en scène ces jours-ci, comme pour mieux ne pas le quitter. Il me hante presque constamment.
L’inspiration d’un auteur est l’endroit le plus secret qui soit, sur cette planète mystérieuse qu’est l’écriture. Nous autres, gens de théâtre, passons notre temps, j’allais dire notre vie, à en arpenter les chemins, sans boussole, sans autre carte que les mots tracés devant nous, ailleurs, autrefois, par d’autres que nous ne connaissons pas. Mais nous nous guidons sur des étoiles, invisibles aux yeux de ceux qui ne croient pas en l’être humain. Si nous nous perdons quelquefois, nous regardons en arrière et pensons à ceux d’avant qui ont tracé la route. Une route mouvante, semée de pièges et de difficultés, mais dont nous savons qu’elle avance et qu’elle construit nos pensées. Et lorsque nous faisons halte quelque part, c’est afin de nous costumer pour paraître en lumière, faisant croire à des vies que nous ne connaîtrons jamais, donnant à voir, à d’autres yeux avides, tous les visages du monde. Puis, ainsi qu’il est dit dans la pièce, nous venons sur la scène « changer les marques noires sur le papier en mots ».
Là réside notre pouvoir, tout notre art, dans cette simple alchimie, violente et compliquée, qui veut que d’un esprit la pensée devienne parole, souffle de vie, puis fragment d’une autre pensée qui la comprend et la change à son tour en une autre pensée. Ainsi route après route, chemin après chemin, continuellement, universellement.
Guy Pierre Couleau
(février 2003)
Très jeune, Rachel a été mariée à Lord Erskine de Grange, seigneur ayant pouvoir de justice, à Edinburgh. Il était connu pour son caractère ombrageux. Elle-même était « colérique, violente ». Après 20 années d’un mariage tumultueux avec cette « épouse peu accommodante », Lord Grange arrangea secrètement l’enlèvement puis la détention de Rachel sur l’île éloignée de Saint Kilda. Là, elle fut cruellement isolée, et de nombreuses façons : les paysans gaéliques ne parlaient pas l’anglais ; Rachel ne parlait pas le gaélique. Lorsqu’un Pasteur-missionnaire, (accompagné de sa jeune femme, récemment épousée), arriva d’Edinburgh, afin « d’instruire les insulaires », elle espéra jusqu’au désespoir qu’il l’aiderait à retourner dans la capitale.
Au sein de cette histoire se heurtent les cultures : l’Edinburgh du 18° siècle, la « civilisée » (et néanmoins licencieuse), avec cette communauté gaélique éloignée, à la simplicité quasi barbare. Coincée entre ces deux mondes, (représentée par le Pasteur), l’Eglise écossaise et son conformisme étroit d’esprit.
Il s’agit également d’une pièce sur le mariage : le mariage du Pasteur, arrangé par l’oncle de la jeune mariée, est une union bancale : une jeune fille de dix-sept ans avec un homme entre deux âges. La relation violente et noire de Rachel avec Lord Grange, - quoique techniquement ineffective -, continue pourtant de la hanter à chaque heure du jour (et de la nuit).
La jeune fille, à la fois effrayée et fascinée, éprouve de la sympathie pour Rachel. Ses efforts pour secourir son aînée la conduisent (elle et son mari, le Pasteur), à la disgrâce. Mais à mesure que se développe l’histoire, un sentiment profond se fait jour à l’intérieur du couple marié. St Kilda et ses habitants leur ont appris à ouvrir leurs cœurs et leurs esprits. Leur amour grandira.
Pour Lady Rachel, le futur ne recèle rien. Son ultime lien à Edinburgh, au monde de langue anglaise, ses dernières espérances de secours, se sont envolées. Sans plus aucun espoir à présent, elle écrit encore une autre lettre à Edinburgh. Mais c’est une lettre sans papier - écrite dans sa tête ; qu’elle récite, jour après jour, à voix haute, seule, sur St Kilda.
Sue Glover
(traduction Guy Pierre Couleau, 29 mai 2002)
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