La Chinoise, 2013

Bobigny (93)
du 10 au 21 janvier 2014

La Chinoise, 2013

Dans ce nouveau monde, violemment « mondialisé », Michel Deutsch sonde cette jeunesse intellectuelle d'aujourd'hui qui s'interroge sur la possibilité de nouvelles utopies, sur un « autre mode de sociabilité », mais aussi, comme la jeunesse de 68, sur les méandres des relations amoureuses.
  • Il était une fois…

2013.

L’action se passe à Genève. Cinq jeunes gens passent leurs vacances dans l’appartement qu’on leur a prêté. Ils étudient pour essayer de comprendre l’état du monde, pour expérimenter un autre mode de sociabilité. Le temps des livres, le temps de l’étude, le temps de l’amour. Le marxisme-léninisme a fait son temps.

« Que faire » lorsque la société libérale du moindre mal est devenue la société totalitaire du Meilleur des mondes ? Imaginer un monde alternatif sans attendre ? Condamné au présentisme, que peut encore nous apprendre l’Histoire ? Que sont devenues les utopies de Mai 68 ? L’utopie d’un monde plus fraternel, plus juste, est-elle encore possible ? Peut-on encore rêver de Révolution ?

Guillaume et Camille sont amoureux de Véronique, qui propose à ses camarades d’assassiner son oncle banquier. Le malheur du monde n’est-il pas organisé par la financiarisation de l’économie ? L’amour, les armes, la mort – comme dans un film.

1967.

Jean-Luc Godard réalise La Chinoise, film qui raconte l’histoire de jeunes gens installés le temps d’un été dans l’appartement bourgeois des parents d’un des membres du groupe. Ils forment une cellule maoïste et jouent à la « révolution culturelle ». Entre Dazibao, petits livres rouges et meubles bourgeois, on assiste aux « timides premiers pas d’une très longue marche, tout le contraire d’un grand bond en avant ». Éveiller les masses, faire la révolution. Les maos fomentent un procès politique et excluent de la cellule le révisionniste et l’anarchiste de service, brûlent symboliquement des livres (à l’exception de ceux de Brecht, qui n’en demandait pas tant), et assassinent un membre de l’Ambassade de l’Union soviétique.

On sait aujourd’hui que le « Grand bond en avant » et la « Grande Révolution culturelle prolétarienne » voulus par Mao Tse Dong étaient des entreprises criminelles inouïes. 36 millions de morts si l’on additionne le nombre des victimes. Mieux que Hitler et Staline !

La Chinoise est un film sur la jeunesse intellectuelle européenne des années 1960, sur ses espoirs, ses illusions, son intransigeance. Une jeunesse, née après la Deuxième Guerre Mondiale, qui n’a pas connu la guerre d’Algérie, qui rejette l’université sclérosée incapable de répondre aux exigences du temps ; une jeunesse qui, abhorran la « société de consommation », est impatiente d’en découdre avec la société paternaliste autoritaire.

Godard a su rendre compte avec une acuité extraordinaire de l’air du temps. On n’a évidemment pas manqué de dire, en l’occurrence à juste titre, que La Chinoise annonçait Mai 68.

  • Note d'intention

Le théâtre, aujourd’hui

Le théâtre s’est toujours souvenu des grands crimes et des catastrophes sociales telles qu’elles se répercutaient sur les individus et les familles. À moins que ce ne soit les histoires de famille qui provoquent les déflagrations sociales – OEdipe, Richard III... Le théâtre a toujours eu à faire aux revenants pour les questionner et les empêcher de nuire. Songeons, en effet, à la tragédie athénienne, à Shakespeare...

La pièce et le spectacle La Chinoise 2013 veulent interroger le meurtre politique de masse perpétré par les régimes soviétiques et nazis : entre 1933 et 1945, 14 millions de civils – principalement des femmes, des enfants, des vieillards - ont été assassinés au nom de l’avenir radieux ou de la race.

La violence étatique s’enrobait dans le voile de l’idéologie. Retrancher les individus de leur propre histoire, briser leur volonté, les détacher des attaches qui les liaient à leurs familles, à leurs proches, à leurs voisins, à leurs collègues de travail, ruiner le sens de leurs actes, dérober les repères de la réalité, de la vérité, de la loi, en un mot détruire la vie de millions d’individus toujours au nom de l’avenir radieux ou de la race. Les États totalitaires au vingtième siècle ont mis en oeuvre leurs polices, leurs appareils bureaucratiques pour y parvenir. Et malgré cela l’homme ordinaire a su se dérober aux consignes, refuser les normes, résister.

Aujourd’hui une autre forme d’oppression, certes soft et moins sanglante, qui n’est plus de l’ordre de la violence exercée par l’État mais de celle exercée par le marché, la finance et les médias, nous contraint à la répétition du même. Ainsi le passé et l’avenir sont en quelque sorte disqualifiés. Nous sommes condamnés au présent. Le monde ne nécessite plus d’être appris puisqu’il suffit d’un clic sur Google pour obtenir une réponse à la question posée. La dépendance à l’égard des prothèses technologiques paraît désormais fatale et le prêt à penser fabriqué par les « prescripteurs d’opinions » ne tolère aucune « déviance », aucune critique.

Comment imaginer encore une société à la fois juste, libre et fraternelle ? Le théâtre aujourd’hui, du fait de son archaïsme, semble particulièrement approprié pour interroger – toujours la question, les enfants posent toujours des questions quitte à embarrasser les adultes ! – le monde pour autant qu’il ne soit pas encore inconcevable. Il doit nous aider à imaginer un ailleurs à partir d’une tentative de compréhension de ce qui arrive, de ce qui se joue, aujourd’hui. Il doit aussi, je l’ai dit, nous aider à nous souvenir. Il ne s’agit pas, évidemment, d’être nostalgique du « terrible » XXe siècle mais de ne pas oublier un passé criminel pour éviter qu’il ne se reproduise. Réinscrire le passé et le futur dans le mouvement de la dispute de jeunes intellectuels qui tentent d’expérimenter une vie en communauté comme dans le film de Jean-Luc Godard. Le projet est ambitieux, mais que serait un projet qui n’aurait pas d’ambition ?

Depuis que je fais du théâtre mon travail, mes pièces et mes spectacles ont toujours questionné l’Histoire et la politique – du «Théâtre du Quotidien» (avec Michèle Foucher et Jean-Paul Wenzel), à la Tragédie grecque (avec Philippe Lacoue-Labarthe), au cabaret politique (avec André Wilms et Angela Winkler), aux pièces de Heiner Müller.

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Spectacle terminé depuis le mardi 21 janvier 2014

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