En italien et palermitain surtitré.
Trois pièces courtes, indissociables mais autonomes ; La Trilogia degli occhiali, ou La Trilogie des lunettes, décline en trois volets les visions fantasmagoriques sur l’humain dépossédé.
Acquasanta présente un homme isolé, démuni comme Job, recraché là, sur la terre ferme par l’océan. Pauvre, il est l’abandonné sans attache et sans lieu, privé des siens et de sa terre : la mer.
Il Castello della Zisa est le pays imaginaire d’un enfant à jamais attardé, Nicola, privé de l’usage de la vue et de ses jambes, état catatonique. Autour de sa chaise, deux infirmières jouent, prient, le lavent, saintes femmes qui lui feront connaître l’extase, peut-être.
Ballarini, duo pour vieillards, s’impose comme un hymne à l’amour conté à rebours. Deux vieux s’étreignent, s’embrassent, et vivent jour après jour en reculant vers le passé, s’ébattent dans un amour charnel qui les rend jeunes et libres. Chemin de croix en trois temps pour dresser les portraits d’aveugles éclairés : La Trilogie des lunettes illumine les marges des poètes de la mélancolie.
Née en 1967, figure primordiale de la scène internationale, Emma Dante fondait à Palerme, en 1999, sa compagnie Sud Costa Occidentale. Mondes peuplés de créatures sublimes et abominables, cauchemars tendres ou musées de la torture, les spectacles-manifestes d’Emma Dante choquent, cognent, cassent les idées reçues. Récompensée par les plus grands prix internationaux lors des festivals de théâtre européens, l’actrice, metteur en scène et auteur dirigeait récemment Carmen de Bizet à la Scala de Milan. Acquasanta, Il Castello della Zisa et Ballarini : trois chapitres, trois oeuvres, marquent le retour en force d’Emma Dante, fidèle au Rond-Point (mPalermu, Le Pulle, Vita mia…) et de sa poésie flamboyante.
Pourquoi fallait-il organiser une trilogie : s’agit-il de trois sujets opposés mais complémentaires ? De trois formes si différentes qu’elles ne pouvaient pas s’associer dans une seule et même proposition ? J’ai pensé à une trilogie parce que je voulais raconter trois éclats de vies, il ne s’agit pas d’histoires abouties mais de trois conditions humaines, la pauvreté, la maladie, la vieillesse avec un unique dénominateur commun : l’amour.
Les chapitres de cette trilogie parlent d’un rêve d’amour, les personnages voient à travers les lunettes un autre monde, différent de la réalité, peut-être plus accueillant pour eux et plus possible. Au départ, j’avais imaginer jouer ces trois chapitres séparément, mais en les mettant en scène les uns à côté des autres j’ai compris qu’ils étaient très dépendants les uns des autres. Une musique mécanique les accompagne comme le refrain de la vie.
Dans La Trilogie des lunettes, il est question d’états d’âme, de sentiments forts, enracinés en soi et qui attendent d’être débloqués, libérés. La lumière de la trilogie est onirique, plus proche du songe que de la réalité, et elle raconte l’impossible : la mer niée au marin, le mouvement nié au jeune Nicola catatonique, et la jeunesse perdue à jamais pour la vieillesse. Dans La Trilogie des lunettes chacun se rachète et trouve un soulagement passager (de quelques minutes) : le marin reprend la mer, Nicola tend les muscles et se lance dans des sauts brusques, et la vieille enlève le masque de son dernier âge pour rajeunir sans vergogne.
La poésie peut changer le monde, oui bien sûr, elle peut le raffiner, l’inviter à écouter les autres et à les regarder, surtout ceux qu’on peine à voir, ceux dont l’âme est douloureuse. La trilogie est dédiée à nos grands-parents et à leurs souvenirs qui les aident à se sentir moins seuls, aux personnes malades qui se sentent un poids pour les autres et aux mendiants que nous rencontrons tous les jours dans la rue et que nous n’avons pas le temps d’écouter.
Propos recueillis par Pierre Notte
« J’ai vu la barrière de corail... Le soleil devant la lune qui lançait ses rayons, il les nouait et les faisait descendre dans la mer… J’ai vu la mer qui se coloriait... Et un espadon qui avait deux épées... J’ai vu une méduse gigantesque qui s’entortillait dans les rayons du soleil et de la lune... Et un poisson qui portait en lui le futur et le passé… J’ai vu le poulpe arlequin avec ses tentacules de toutes les couleurs et il y avait les poissons tropicaux qui dansaient au-dessus et au-dessous… Et le Christ de Rio, je l’ai vu, il plongeait du Corcovado, les bras grand ouverts… J’ai vu l’autre coté du monde, le Japon, où il y a les poissons avec les yeux en amande… J’ai vu un galion vieux de trois siècles… Plein de gens qui dansaient... Et qui chantaient les chansons d’autrefois... Et un iceberg… Énorme… Qui fondait en larmes de cristal… Dans l’abysse de la mer… »
« Le nouveau spectacle de l’italienne Emma Dante est d’une très belle poésie. (…) Trois chapitres d’un spectacle d’une extrême sensibilité dans lesquels les personnages rêvent d’une vie différente, d’une vié oubliée, ou d’une vie espérée. » Scene Web
« Ce bal macabre, grotesque et fantomatique, que mènent de manière très émouvante deux acteurs historiques de la compagnie, Manuela Lo Sicco et Sabino Civilleri, permet à Emma Dante une superbe variation sur le baroque palermitain. Palerme, cette ville où la mort se met indéfiniment en scène, comme en ces catacombes capucines où s'alignent dans leurs cercueils de verre, ou simplement dressés crâne contre crâne, des morts embaumés dans leurs plus beaux atours. » Fabienne Darge, Le Monde
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