Après des décennies d’absence, Claire Zahanassian revient à Güllen, la petite ville de son enfance, pour y fêter ses noces avec un huitième mari. Toute la communauté espère que la richissime vieille dame relancera l’activité de la ville plongée depuis longtemps dans la misère. Mais si elle accepte de céder des sommes colossales, c’est à une seule condition : que l’on tue Alfred Ill, son amour de jeunesse qui l’a reniée après l’avoir mise enceinte.
Bannie par une morale hypocrite, elle a vécu hantée par son désir de vengeance, qu’elle est aujourd’hui décidée à accomplir. Tout au long de cette épopée, l’amoralité de la vieille dame va contaminer la ville entière. Comme dans un conte moderne, suivant sa propre idée de la justice, elle va déclencher une véritable chasse à l’homme.
« La soirée s'annonçait intéressante. Elle l'a été. » Philipp Chevilley, Les Echos, le 24 février 2014
Lorsque l'on travaille à la Comédie-Française, on a le plaisir de se trouver en face d'une troupe et de pouvoir créer avec elle, de profiter de sa complicité et de son savoir-faire. Pour cette mise en scène, douze acteurs m'accompagnent. Je connais certains d'entre eux depuis longtemps. Ils ont mûri et moi aussi, c’est donc un atout pour raconter toute une ville. Car La Visite de la vieille dame est une pièce de troupe dont la force vient de ce principe de choeur. L'un des enjeux consiste à faire exister, à rendre présente cette population de Güllen, cette ville-lisier, cette ville-fumier...
Il faut pour cela se concentrer sur ce qu’a fait Dürrenmatt : mettre en avant les représentants de la ville, ses notables, tous gardiens d'une morale bien-pensante, représentants des arcanes du pouvoir – la politique avec le maire, le savoir avec le professeur, l'ordre avec le commissaire, la spiritualité avec le pasteur et le bien-être avec le médecin. À elles cinq, ces figures incarnent la manière dont les décisions collectives sont initiées. Elles représentent aussi ceux qui ont pris, il y a quelques décennies, les décisions qui ont déclenché le projet de vengeance de Claire Zahanassian, la vieille dame. Danièle Lebrun, qui joue le rôle de Claire, est une comédienne avec laquelle je partage un long parcours de créations. C’est une actrice qui aime profondément le travail de troupe, tout comme Samuel Labarthe qui joue Alfred Ill et qu'elle accompagne sur le chemin de l'acceptation de sa « faute », de la prise de conscience qui va le conduire au sacrifice. La Visite de la vieille dame est une partition d'orchestre, où chaque soliste a son moment, chacun dévoilant à sa manière la face sombre et médiocre de l'humain.
Dürrenmatt représente une société où l'on dit qu'on veut être juste sans se demander si on l’est vraiment ou non. Comme si la justice n'était qu'une question de règles à appliquer... On ne s'interroge pas sur la légitimité de ces règles. Et voici qu'une femme revient dans sa ville natale pour se venger de ce qu’on lui a fait quand elle avait dix-sept ans. Ce qui est étonnant – elle le dit elle-même – c'est qu’à partir du moment où l'idée de vengeance a germé dans sa tête, c'est-à-dire quasiment au moment des faits, elle s'est enkystée : Claire n’a alors plus vécu que pour la mettre en oeuvre. C’est pratiquement la jeune fille dans le corps de cette dame qui vient régler ses comptes. Au fil des années, elle a trouvé le moyen et les armes de cette vengeance.
Dürrenmatt nous raconte l’histoire d’une noce funèbre. Après neuf mariages – comme autant de répétitions – elle vient enfin épouser dans la mort le seul homme qu’elle a vraiment aimé, un homme qui l’a blessée, qui l’a trompée et qu’elle retrouvera après sa mort, telle une statue de pierre veillant sur son tombeau. La Visite de la vieille dame, le titre l'indique, parle de quelqu’un qui arrive, mais aussi de quelqu’un que l’on reçoit.
Recevoir, c'est avant tout organiser. Il y a donc, d'une part, le projet de vengeance de Claire et, d'autre part, les tentatives pitoyables de manipulation de cette prestigieuse invitée par les habitants de Güllen, pour se sortir de la misère. Ceux-ci ne se rendent pas compte qu’ils sont eux-mêmes manipulés depuis bien longtemps. Ce qui est drôle et tragique à la fois, c’est que les notables de cette petite ville commettent la même erreur que par le passé. Ils sous-estiment leur adversaire, ils pensent la berner en lui faisant « cracher ses millions », ils veulent l’exploiter, mais c'est elle qui est profondément blessée et donc plus efficace. Ils en payeront le prix fort.
Dürrenmatt décrit sa pièce comme une tragi-comédie. Comment affronter cette contradiction, effectuer ce grand écart dans un travail de mise en scène ? Quel registre emprunter, et à quel moment ? Peut-on aller jusqu’à la comédie, ou bien le grotesque et le burlesque suffisent-ils ? La tragédie doit-elle forcément prendre les habits du drame ? Je veux traduire avant tout le fait que la dimension tragique est absolument présente dans la mesure où le destin s’accomplira malgré les humains, malgré le suspense – très important pour la pièce, il doit tenir les spectateurs en haleine. Iront-ils jusqu'au bout ? Vont-ils se parjurer ? Il faut garder cet élastique tendu, tout en faisant comprendre que l'issue de la pièce est inéluctable. C’est peut-être à cet endroit que se cache la comédie, une comédie humaine qui montre que, quelles que soient l’absolue bêtise et la veulerie qui à certains moments caractérisent l'action ou les propos de certains personnages, rien ne changera, et on rira quand même de ces gens qui, une fois de plus, se sont fait rouler dans la farine. La pièce se termine sur une sorte d'ode dite par le choeur et son coryphée, qui lui confère une note sombre. Le message de Dürrenmatt, l'image qu'il nous renvoie de nous-mêmes, est fondamentalement pessimiste.
Dans le travail de mise en scène, j’ai choisi de me diriger vers le conte, un conte expressionniste, pour éviter de me trouver sur le terrain de la fable, et donc de la morale. Le conte a l'avantage, d’une certaine façon, d'être commun à toutes les cultures, même si le contexte est ici bien sûr le monde germanique. Il m'a paru intéressant de mettre en avant la présence oppressante de la forêt sombre dans laquelle se déroule une partie de l’action, un lieu propice à l'introspection et à l'isolement. Je voulais que l'esthétique de la mise en scène nous plonge dans une mémoire collective, celle du danger qui rôde et de la menace qui plane. J'ai souhaité aussi que dans La Visite de la vieille dame, certaines scènes revêtent un caractère onirique, comme autant de souvenirs surgissant du passé. C'est pourquoi, avec Catherine Bluwal, nous avons imaginé un lieu reprenant certains codes de l'expressionnisme allemand, fait de trouées étroites et de perspectives géométriques accentuées par la lumière de Marie-Hélène Pinon et par les images projetées de Léonard. Un lieu où va s'accomplir la vengeance de Clara, capable de « laisser voir » et de « dissimuler ». En travaillant sur la pièce, j'ai eu l’intuition que le personnage de Claire Zahanassian s'amuse à exploiter les codes si connus de Sarah Bernhardt, avec sa panthère, sa jambe de bois, son cercueil…
Claire est venue avec sa panthère pour la sacrifier, et lorsqu’elle la libère, elle déclenche une chasse au fauve pouvant occasionner un accident de chasse, et donc légitimer le fait que n’importe quel habitant de Güllen pourrait avoir « malencontreusement » tué Alfred Ill. Voilà une bonne raison pour les habitants de tirer dans le noir, de tirer sur ce qu'il faut tuer. Mais La Visite de la vieille dame recèle aussi une part de tendresse : Claire Zahanassian redevient Clara lorsque les souvenirs remontent et que son nom de jeune fille est à nouveau tendrement utilisé.
J'ai souhaité que la présence puissante de l'univers sonore guide le spectateur vers le sacrifice annoncé et accompagne l'avancée inéluctable de cette histoire. La Manufacture Sonore a travaillé sur une bande-son qui passe parfois à rebours, comme pour signifier que l'on remonte le temps. Le spectateur peut ainsi savoir intuitivement quand Claire Zahanassian est dans l'action et quand elle est rattrapée par ses souvenirs. Nous rejoignons en cela la dimension du conte.
L'évolution graduelle des costumes vient également relayer la narration : j'ai demandé à Chouchane Abello, la créatrice des costumes, de montrer comment les personnages de la pièce, tout d'abord malades d'une pauvreté lépreuse, vont peu à peu être physiquement contaminés par la richesse que leur promet Claire Zahanassian. Les traces de cette contamination apparaissent sur eux comme le feraient celles d'une maladie de peau minérale et métallique. Une maladie propagée par la vieille dame qui connaît les ravages de la cupidité sur les hommes et leur capacité à renier leur moralité et leur conception de la justice sous l'effet de l'appât du gain. Elle laisse face à elles-mêmes les âmes des habitants de Güllen occupées à tenter de recomposer leur bonne conscience.
Christophe Lidon, janvier 2014
comment un groupe sait se reconstruire une bonne conscience quand son propre intérêt est directement en jeu ... mise en scène brillantissime d'un texte qui reste d'actualité Lebrun et surtout Labarthe sont impeccables.
C'est un belle pièce que voilà. Avec une magnifique Danièle Lebrun mais une distribution vraiment trop inégale. Des pointes d'ennui au fil du spectacle. Étonnant au Français !
Evidemment les comédiens sont excellents comme toujours à la CF. Mais qu'Est-ce qu'on s'ennuie. Cette pièce est complètement datée et démodée. On sait exactement ce qui va se passer car tout est téléphoné. Et en plus c'est long comme un jour sans pain. D'ailleurs à la fin, dans la salle qui est comble, le public complètement plombé applaudit très mollement.
une question j'ai lu dans le magazine "rappel" que le rôle était tenu par Didier SANDER. Qu'en est-il ??? MERCI DE VOTRE REPONSE.
Pour 3 Notes
comment un groupe sait se reconstruire une bonne conscience quand son propre intérêt est directement en jeu ... mise en scène brillantissime d'un texte qui reste d'actualité Lebrun et surtout Labarthe sont impeccables.
C'est un belle pièce que voilà. Avec une magnifique Danièle Lebrun mais une distribution vraiment trop inégale. Des pointes d'ennui au fil du spectacle. Étonnant au Français !
Evidemment les comédiens sont excellents comme toujours à la CF. Mais qu'Est-ce qu'on s'ennuie. Cette pièce est complètement datée et démodée. On sait exactement ce qui va se passer car tout est téléphoné. Et en plus c'est long comme un jour sans pain. D'ailleurs à la fin, dans la salle qui est comble, le public complètement plombé applaudit très mollement.
une question j'ai lu dans le magazine "rappel" que le rôle était tenu par Didier SANDER. Qu'en est-il ??? MERCI DE VOTRE REPONSE.
je pensais que c'était didier Sandre ????
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