Le travail, où se mêlent enjeux de rentabilité, de dignité, de vie, de servitude volontaire, de pétages de plomb, de valeurs de mérite martelées à coups de campagnes électorales, de compétition, de chantage, de standardisation du langage et autres plateformes téléphoniques, de licenciements brutaux et de musiques d’attente.
La question n’est pas d’informer ou de rendre compte d’une réalité sociologique. Ce qui nous intéresse, c’est de passer par les histoires personnelles de gens que nous rencontrons, car nous pensons que l’intime est une clef puissante grâce à laquelle le politique redevient audible.
Après leur rencontre évidente sous les auspices libres et provocantes du Tg Stan et leur joli mois de mai, le collectif L’Avantage du doute reprend ses chemins de campagne à la poursuite du travail, ce graal des temps modernes qui nous fait tant courir… mais à quelles fins ?
Mai 68 nous avait promis le droit de ne plus perdre notre vie à la gagner ; aujourd’hui, valeur entre les valeurs, seul le travail ou son absence semble définir l’individu et sa place dans le groupe. Le collectif a choisi d’aborder ce thème en mêlant l’intime et le politique. Comme ils l’avaient fait pour leur premier spectacle, ils ont interrogé travailleurs, retraités, étudiants, chômeurs… Mêlant le vrai et le faux, le spectacle se nourrit de tous ces témoignages ainsi que des expériences des comédiens.
Par le collectif L'Avantage du doute.
« C’est précisément cette ambivalence à tous crins qui fait la valeur du collectif l’Avantage du doute, à l’origine de ces spectacles. Ni seria, ni buffa, mais les deux en même temps dans des zones frontalières où la tragédie et le burlesque varient d’un siège à l’autre. » Guillaume Tion, Libération, 28 mars 2019
« Ils sont cinq sur la plateau qui nous mènent en bateau de la plus intelligente façon. Entre rires et coups de gueule. Et s'ils pointent la banalité d'un quotidien de labeur, c'est en poussant la pression jusqu'à l'explosion des sentiments. (…) Il y a de la rage derrière le rire. Du besoin de résister. » Rue du Théâtre
« On ne change pas une équipe qui gagne. […] C'est passionnant. » Rue89
« Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon, […] un régal que prolonge La Légende de Bornéo. Ce que dit chacun renvoie à soi-même, ce qui est la fonction même du théâtre, mais elle prend ici une forme à part, véritablement touchante, au meilleur sens du terme. » Le Monde
« Le Collectif semble détenir le secret du traitement par le rire des problèmes les plus graves. Les comédiens frappent juste à chaque réplique, sachant embarquer le spectateur sur des sentiers escarpés, sans démagogie, où le rire maintient une distance salutaire et bienvenue. Un quintette détonant. Jubilatoire. » L'Humanité
« C'est parfois savoureux, grave ou cocasse. De vraies trouvailles dans ce spectacle fait de bric et de broc, souvent drôle (...) » Sylviane Bernard-Gresh, Télérama sortir
Article du Monde paru le 17 janvier 2012
Le théâtre ne lâche pas le monde du travail et ses répercussions sociales. Deux nouveaux spectacles en témoignent : Cassé, de Rémi De Vos, mis en scène par Christophe Rauck au Théâtre Gérard-Philipe de St-Denis, et La Légende de Bornéo, présenté par un collectif, L'Avantage du doute, au Théâtre de la Bastille, à Paris.
Passer de l'un à l'autre revient à faire un grand écart, mental et artistique, tant les deux spectacles sont différents, à la fois dans leur ton et dans leur facture. A Saint-Denis, vous entendez d'énormes éclats de rire. A la Bastille, vous voyez des gens sourire. Et pourtant, c'est bien la même question qui est abordée : la relation que chacun entretien avec le travail, dans un contexte où les crises se conjuguent au pluriel : crise économique du monde globalisé, crise idéologique de la société française.
Ce qui est intéressant, c'est de voir comment des gens proches de la quarantaine perçoivent la situation. Il leur suffit de quelques phrases, ou d'une anecdote, pour faire sentir à quel point l'époque de leurs parents, marquée par les événements de mai 1968, appartient à un monde englouti, aussi loin d'eux qu'un temps antique, et pas nécessairement mythique. C'est d'ailleurs en partant de là que le collectif L'Avantage du doute en est venu à La Légende de Bornéo. Il y a deux ans, ces cinq acteurs - qui se sont rencontrés lors d'un stage avec les Flamands du tg STAN - ont créé leur premier spectacle, Tout ce qui nous reste de la révolution, c'est Simon, en commençant par le commencement, en somme : d'où venons-nous ? quelle fut la vie de la génération qui nous a précédés ? Le résultat était un régal, que prolonge La Légende de Bornéo.
Pourquoi ce titre ? « Parce qu'il y a une légende à Bornéo qui dit que les orangs-outans savent parler, mais qu'ils se taisent pour ne pas avoir à » Le collectif L'Avantage du doute, lui, ne se tait pas. Et il travaille, beaucoup, à partir d'entretiens, de lectures, de films, qui nourrissent son propos, et surtout son angle de vue : parler du travail sans lourdeur mais loin en profondeur, en partant d'histoires de la vie quotidienne.
Le spectateur a le sentiment d'être convié à une conversation, comme il le serait à une soirée entre amis où l'on discute, et parfois s'emballe, en sachant que l'on est entendu. Ce que dit chacun renvoie à soi-même, ce qui est la fonction même du théâtre, mais elle prend ici une forme à part, véritablement simple et touchante, au meilleur sens du terme.
Cette délicatesse qui met du baume au coeur est absente du spectacle du Théâtre Gérard-Philipe, qui navigue sur de tout autres terres : celles du vaudeville social. Si l'on voulait résumer quelque peu abruptement, on pourrait dire que Cassé, c'est Feydeau chez les prolos.
Au centre de sa pièce, il y a un couple : elle, Christine, vient d'être licenciée de l'usine dans laquelle elle a travaillé dix-huit ans. Lui, Frédéric, est en train d'être poussé dehors par son entreprise qui lui demande de ramasser les poubelles, alors qu'il est technicien en informatique. Mais il ne veut pas voir le désastre qui s'annonce : il se dit heureux d'aller au travail. Pendant ce temps, Christine se morfond chez elle, gavée de Lexomil : sans emploi, elle se sent privée de dignité.
Jusque-là, tout va bien, si l'on peut dire : Rémi De Vos sait poser des enjeux et faire vivre des personnages. Mais il ne sait pas maîtriser son récit, qui s'emballe quand le couple décide de mettre au point une arnaque à l'assurance, en faisant croire que Frédéric s'est suicidé à cause de sa souffrance au travail. Alors Cassé se met à tourner comme un manège, virant à la folie des quiproquos et des portes qui claquent (Frédéric est caché dans un placard).
La mécanique est si bien huilée, et les comédiens si bien déchaînés, que l'hilarité gagne la salle. Mais le propos perd de sa substance : en surfant sur le Grand-Guignol social, il est « cassé » , comme le dit la jeunesse d'aujourd'hui... et le titre de la pièce.
Chacun d’entre nous s’est approprié le thème du travail à sa façon, et a développé son intuition jusqu’à en proposer une traduction théâtrale. La pièce repose sur le montage de nos différentes séquences. Ce qui nous intéresse est la façon dont le frottement de nos différents partis pris, leurs accords ou leurs désaccords créent la discussion interne de la pièce. Notre pari est que les questionnements qui nous animent puissent ainsi contaminer le public. C’est en défendant cette réhabilitation du dissensus et du débat au coeur même de l’écriture de la pièce que nous définissons l’aspect politique de notre théâtre.
Pour nous, faire partie d’un groupe de théâtre revient à se poser la question de la signification, aujourd’hui, de la prise de parole publique. La question de l’engagement politique est donc centrale et fondatrice. Ainsi le thème de Tout ce qui nous reste de la révolution, c’est Simon était l’engagement politique aujourd’hui à la lumière de mai 68.
Il est possible de décrire La Légende de Bornéo comme une suite de Tout ce qu’il nous reste de la révolution, c’est Simon : l’engagement politique est toujours central, et la pièce répond au même impératif de partir du monde d’aujourd’hui pour en faire du théâtre. Mais cette fois, le prisme choisi est cet endroit de nos vies de plus en plus tendu : le travail.
Cette compagnie punchy et bienveillante a trouvé le moyen de nous parler des désordres que le monde du travail génère dans la vie de chacun avec énergie et de subtilité. Beaucoup de second degré, un poil caricatural, drôle, touchant. Chacun s'y retrouve, on ne s'ennuie pas une minute.
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Cette compagnie punchy et bienveillante a trouvé le moyen de nous parler des désordres que le monde du travail génère dans la vie de chacun avec énergie et de subtilité. Beaucoup de second degré, un poil caricatural, drôle, touchant. Chacun s'y retrouve, on ne s'ennuie pas une minute.
1, place Charles Dullin 75018 Paris