Printemps 1934. Andreas, ancien mineur polonais, vit désormais sous les ponts de Paris quand soudain plusieurs miracles s’offrent à lui et réapparaissent les figures les plus troublantes de son passé.
Quand j'ai découvert il y a quelques années La Légende du saint buveur, j'ai tout de suite été saisi par sa grâce et sa féerie. Cette longue nouvelle m'accompagne depuis comme une sorte de talisman.
Ce qui m'a ému d'emblée, c'est la simplicité de l'écriture de Joseph Roth, son élégance et son humour... la douceur avec laquelle il raconte l'histoire d'un effondrement et le profond humanisme qui s'en dégage. Une tendresse fraternelle lie bien sûr l'auteur au personnage Andreas, et cette fraternité s'éclaire naturellement lorsqu'on se penche sur sa vie.
Joseph Roth a tout juste le temps d'écrire cette œuvre avant de mourir en 1939, en exil à Paris, alors qu'il y vivait comme dans un abri temporaire depuis l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne, dans une grande pauvreté et un réel tourment. Là, face à l'extrême cruauté du monde, l'homme se réfugie encore davantage dans l'alcool tandis que l'auteur semble choisir l'univers du conte, comme s'il pouvait lui rendre plus douce une insoutenable réalité.
On en savoure ici la grande symbolique, l'intervention du merveilleux qui rend les miracles possibles, la presque rassurante répétition du cycle des journées - qui en même temps précipite le personnage vers sa fin inexorable - l'atmosphère pleine de naïveté, de bienveillance, presque de sentimentalité qui entoure le héros et le fait aussi courir à sa perte.
Joseph Roth accompagne ce naufragé avec toute l'affection et tout l'humour de ceux qui sont eux-mêmes désespérés et ont renoncé à se débattre, conscients qu'il ne sert à rien de s'opposer ni aux miracles, ni à la destinée, ni même à l'alcoolisme.
Il nous offre, à nous lecteurs, la distance qui permet de suivre le cheminement heurté du saint buveur, d'observer son déclin avec lucidité et ironie, et, le plus souvent, avec une grande tendresse.
Car le héros Andreas partage aussi avec Roth la blessure liée à l'exil, la perte de la patrie (la Pologne pour l'un, la Galicie pour l'autre) alors que l'auteur est lui déjà hanté par l'absence d'un père qui a sombré dans la folie. Ils s'en trouvent livrés à une errance jumelle, où l'incapacité de vivre dans un présent hanté par la perspective de la catastrophe les maintient dans un entre-deux : un passé idéalisé et une absence d'avenir qui pousse à un naufrage résigné.
Pourtant ce que le merveilleux permet aussi c'est que, touché par la grâce, le saint buveur trouve dans la mort, à l'abri d'une sacristie, à la fois une délivrance et un retour au pays.
Dans cette issue quasi mystique, alors qu'Andreas gagne, un peu malgré lui, sa rédemption, Joseph Roth adresse un hommage à tous les buveurs...
Que Dieu nous accorde à nous tous, à nous autres buveurs, une mort aussi douce et aussi belle !
... avant de mourir à son tour, dans des circonstances étrangement proches.
À une époque où certaines hantises sont loin de s'être éclipsées, j'ai eu envie de partager la clairvoyance de ce texte et ce qu'il dit de la force de la fiction sur la cruauté du réel.
Arnaud Simon
« Beau texte que le comédien, qui a du métier et le prouve, porte avec foi chaque seconde. » Joëlle Gayot - Télérama Sortir TTTT
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