D’Eschyle à Shakespeare, Maeterlinck ou Jon Fosse, le répertoire théâtral rend sensible et manifeste que l’esprit des morts ou la figure de l’Autre hante les vivants. Freud citait Hamlet : « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre que n’en rêve notre philosophie » et il ajoutait : « Ces histoires occultes ne me plaisent guère, mais il y a quelques vérités là-dedans ».
La Lettre se situe dans cette lignée : les personnages y vivent sous le regard et le contrôle d’un absent. À la limite de la terre, au bord de l’océan, un homme au terme de sa vie réunit les personnes qui lui sont chères. Arrivent alors, par d’énigmatiques voies, des lettres écrites dans une langue que nul aujourd’hui ne déchiffre : c’est sous cette forme que le passé familial fait retour. Une force invisible s’insinue en chaque esprit, générant crainte et désordre. Mais qui est donc ce William, le frère disparu ou mort, pour susciter tant de mouvements passionnels ? fantôme ou fantasme ? Le “coudoiement naturel des forces qui composent le monde” ne laisse personne indemne. L’inconnu cerne et traverse la réalité.
Il y a un tragique quotidien qui est bien plus réel, bien plus profond et plus conforme à notre être véritable que le tragique des grandes aventures. Il est facile de le sentir mais il n’est pas aisé de le montrer parce que ce tragique essentiel n’est pas simplement matériel ou psychologique. Il ne s’agit plus ici de la lutte déterminée d’un être contre un être, de la lutte d’un désir contre un autre désir ou de l’éternel combat de la passion et du devoir. Il s’agirait plutôt de faire voir ce qu’il y a d’étonnant dans le seul fait de vivre. Il s’agirait plutôt de faire voir l’existence d’une âme en elle-même, au milieu d’une immensité qui n’est jamais inactive. Il s’agirait plutôt de faire entendre par-dessus les dialogues ordinaires de la raison et des sentiments, le dialogue plus solennel et ininterrompu de l’être et de sa destinée.
Le fantastique surgit tout à coup dans le monde familier et connu, dans la vie quotidienne et banale, et renverse l’ordonnance des choses. Le « mystère », l’inexplicable, l’inadmissible demeurent intacts lorsqu’ils se révèlent dans l’impossibilité de trancher entre l’illusion et la réalité, le surnaturel et le naturel. Le fantastique occupe le temps de cette incertitude : dès que l’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique pour rentrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux. « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement en apparence surnaturel. » Alors seulement surgissent la peur insidieuse, le doute angoissé !
Nombre d’oeuvres récentes déplacent le fantastique de l’extérieur vers l’intérieur : ce qui trouble, c’est moins le surnaturel possible que l’intrusion du rêve, le triomphe de la folie, les débordements de l’inconscient, tout ce contre quoi aucun être humain n’est prémuni, tous ces fantômes, tous ces monstres qu’il crée lui-même et dont il peut être la plus sûre victime, tous ces états incertains et ambigus dans lesquels l’homme adulte voit des menaces parce qu’il s’y pressent dépossédé de sa vigilante maturité, de sa rassurante permanence, de son identité sociale. Cette « inquiétante étrangeté » forge les nouvelles « merveilles »de la modernité.
Claude Puzin, Le Fantastique, éd. Nathan.
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