Dans La Résistible ascension d’Arturo Ui, Brecht met en scène le procès de Fish, incendiaire de l’entrepôt du gang des choux-fleurs, pour en faire un débile manipulé. C’est ainsi que l’on a longtemps présenté Marinus Van der Lubbe, l’incendiaire du Reichstag. En fait, ce jeune maçon hollandais au chômage, idéaliste, révolutionnaire - qui, parcourant toute l’Europe à pied, vient d’arriver à Berlin en février 1933, alors qu’Hitler est déjà chancelier -, n’est ni un pantin ni un idiot. C’est un jeune homme révolté par la passivité des communistes et le défaitisme des sociaux-démocrates. Il voudrait réveiller les consciences par « un acte symbolique ». Le 27 février, il pénètre dans le Reichstag et y met le feu. Le jour suivant, Hitler fait arrêter 4000 communistes et obtient les pleins pouvoirs. Marinus, lui, sera jugé, condamné et décapité.
L’année dernière, les carnets de route de Lubbe et le procès-verbal de son interrogatoire ont été publiés. S’appuyant sur ces documents, Yves Pagès et François Wastiaux, son complice en théâtre de longue date, ont imaginé un théâtre d’un genre nouveau, un « théâtre documentaire poétique » qui réhabilite Lubbe, cet antihéros d’hier et d’aujourd’hui.
Va-et-vient entre la pièce de Brecht et le destin marginal de Lubbe, leur spectacle met en lumière celui qui fut le larron, celui qui n’a jamais eu la parole et dont l’histoire personnelle s’est mêlée à la grande Histoire des hommes. Ils en font un spectacle ludique et lucide.
2 mars 1933
(…) D’avance, je tiens à dire que mes actes se fondent sur des motivations politiques. J’ai appris aux Pays-Bas que le Parti national-socialiste était arrivé au pouvoir en Allemagne. J’ai toujours suivi la politique allemande avec beaucoup d’intérêt et j’ai lu dans les journaux ce qu’on disait de Brüning, Papen et Schleicher. Lorsque Hitler est arrivé au pouvoir, j’ai pensé qu’il y aurait un grand élan en sa faveur mais aussi de grandes tensions. J’ai acheté tous les journaux qui publiaient des articles là-dessus et j’ai aussi beaucoup discuté avec des camarades qui pensaient comme moi.
Je suis moi-même de gauche et j’ai été membre du Parti communiste des Pays-Bas jusqu’en 1929. Mais je n’acceptais pas que ce parti joue un rôle dominant parmi les travailleurs et qu’il ne les laisse pas prendre eux-mêmes les décisions. Je suis solidaire du prolétariat dans la lutte de classes. Ses dirigeants doivent être à l’avant-garde. Les masses doivent décider elles-mêmes ce qu’elles font ou ne font pas. Il existe actuellement en Allemagne une coalition nationale et je considère que deux dangers menacent : 1) les travailleurs sont opprimés ; 2) la coalition nationale n’acceptera jamais de céder devant les autres pays, ce qui conduira à la guerre.
Comme les travailleurs ne voulaient rien entendre, j’ai voulu faire quelque chose moi-même. Provoquer un incendie me paraissait être un bon moyen. Je ne voulais pas m’en prendre à des individus mais à quelque chose qui appartienne au système. Les bâtiments publics convenaient donc pour cela, comme par exemple le Bureau d’aide des chômeurs parce que c’est un bâtiment où se retrouvent des travailleurs. Ensuite, l’Hôtel de Ville, qui est un bâtiment qui fait partie du système, et puis le Slot. Ce dernier parce qu’il est situé dans le centre et qu’en cas d’incendie les flammes auraient été visibles de loin. Comme aucun des ces trois incendies n’a pris et que mon geste de contestation n’avait rien donné, j’ai choisis le Reichstag, car c’est le point central du système.
Marinus Van Der Lubbe - Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag, éd. Verticales / Le Seuil
17, boulevard Jourdan 75014 Paris