« … Au bout du compte, le seul point commun entre Napoléon et ta carrière d’acteur, c’est la bataille de Waterloo. »
En 2001, je montais Débrayage, premier texte de Rémi De Vos abordant à travers le monde du travail les contradictions entre l’espace intime de l’individu et son espace social, l’écartèlement entre les pulsions de vie de chacun et le contrôle de “l’ordre”, qu'il soit social, familial ou professionnel. Ce texte foisonnant portait déjà en lui tous les germes de l’univers de Rémi, et révélait un style singulier alliant précision de l’écriture, drôlerie, cruauté des situations, comique des personnages victimes et efficacité des dialogues.
L’idée de poursuivre notre collaboration s’est rapidement imposée. J’ai donc proposé à Rémi De Vos une résidence d'écriture au Salmanazar au cours de laquelle nous avons choisi d’explorer une voie complémentaire à son écriture, plus intime et peut-être plus personnelle.
Laisse-moi te dire une chose, fruit de cette démarche, met au théâtre la “détestation” du théâtre. Une mère, condamnée par une maladie incurable, est couchée dans un lit d'hôpital. Son fils, comédien en difficulté et auteur apprenti, lui rend visite. Leurs échanges prennent souvent le ton du procès instruit par la mère contre son fils. On y évoque leur vie de famille, le rôle que le goût de son fils pour le théâtre y a joué, comment la destruction et la trahison familiale ont profondément distendu des liens affectifs pourtant encore noués. Les rapports sont empreints de haine et d’affection ; ces deux êtres demeurent malgré tout, malgré le théâtre et la carrière avortée du fils, une mère et un fils face à face, à quelques jours ou heures de la mort. Le frère et l’ami de la mère lui rendent visite tandis que plane encore la présence du père parti.
De leurs dialogues rompus par de terribles silences émerge la vision d'un monde où chacun serait passé à côté de l’autre, où chacun a rêvé d’une vie qu’il n’a pas construite, une dislocation de l’intime entre les certitudes sociales, les liens du sang et ceux de l’habitude familiale. L’écartèlement entre les pulsions de vie du fils, qui aspire à s’affirmer comme acteur - mais aussi comme écrivain - et l’ordre social et familial revendiqué par la mère, provoquera des échanges inattendus. Chez De Vos, la cruauté des choses laisse toujours place au rire.
Laisse-moi te dire une chose est une pièce sur la famille, sur le théâtre, sur le rapport d’étrangeté entre le monde du théâtre et celui de ceux qui n'y vont jamais… Le fameux “vous êtes comédien, ah, et vous faites quoi d’autre ?”…
Stéphane Fiévet
73, rue Mouffetard 75005 Paris