Les petits ruisseaux font les grandes rivières et tous les fleuves se jettent dans la mer... Mais la belle mécanique des fluides vire au cauchemar quand on sait qu’elle charrie avec elle l’écume honteuse de nos déchets quotidiens. Agglutinés par les courants marins, tous ces rebus rejoignent bientôt, au beau milieu de l’océan Pacifique, une immense décharge flottante qui a d’ores et déjà les dimensions d’un continent.
Partant du fait écologique pour dénoncer l’existence de ce 6° Continent témoignant de notre scandaleuse inconséquence, la metteuse en scène suisse, Lilo Baur, use de la métaphore d’un homme qui se voit dépouillé de tous ses attributs sociaux, l’un après l’autre, pour finir en singe nu régnant sur le chaos d’un monde transformé en un monceau d’ordures.
Ponctué avec humour par un texte de Daniel Pennac qui épingle avec une ironie tranchante notre coupable incapacité à respecter la planète, le spectacle de Lilo Baur transforme cette grande histoire de la migration de nos déchets en un joyeux opéra bouffe servi par une troupe sans frontières de comédiens qui sont aussi danseurs et chanteurs.
La première idée que j’ai eu, esquissant ce projet, était l’idée d’un corps nettoyé. Je me suis ensuite posée la question suivante : une fois ce corps bien lavé et bien nettoyé, où allait la crasse ?
Le thème du propre et du sale me fascine depuis longtemps. Quelle est la perception humaine du propre et du sale ? Quand est-ce qu’un objet commence à être considéré comme sale ? Au moment où il devient inutile ? Où il rejoint les déchets ? Et quand estce qu’une personne ou une idée cesse d’être propre ?
Depuis des décennies, nous ne cessons d’accumuler et de jeter tout ce qui ne nous sert plus. Tous ces déchets constituent des poubelles dont les matériaux non bio dégradables envahissent nos fleuves, nos terres et même nos océans créant le 6° Continent.
Au milieu du pacifique, ce vortex, formé de morceaux de plastique imputrescibles représente aujourd’hui deux fois la taille de la France. Cette espèce de grande soupe de particules étouffe tortues, poissons et oiseaux qui en meurent, rassasiés, le ventre vide. En janvier 2008, j’ai crée Fish Love, adaptée de plusieurs nouvelles de Tchekhov. Daniel Pennac, après avoir vu cette création, m'a fait la lecture de son livre Ancien malade des hôpitaux de Paris. La poésie, l’ironie et l'humour de ces histoires m’ont beaucoup touchée et je lui ai proposé de travailler ensemble.
Il y a deux ans, nous avons commencé par faire un stage de recherche avec toute l’équipe artistique. Daniel participait aux échauffements physiques de la compagnie, ainsi qu’aux improvisations avec les comédiens, il se glissait dans la peau d'un acteur. Après ce stage, Daniel Pennac a proposé des idées, des pensées et des interrogations qui ont donné naissance à un début d’histoire se cristallisant autour du propre et du sale. Travailler avec lui, c’est un va et vient permanent, un jeu de question-réponse qui pourrait s’apparenter au ping-pong. Il renvoie constamment la balle pour que l’argument se renforce ou pour partir à la recherche d'autres chemins pour attaquer le thème.
Toute mon équipe artistique est composée de personnes avec lesquelles j’ai déjà travaillé par le passé et avec lesquelles la Compagnie Rima a organisé des sessions de recherche. Je tiens à préciser que ce passé commun renforce la complicité, l’entente et développe une créativité spontanée au sein de l’équipe. C’est une équipe d’artistes qui s’est lancée dans le vide pour se confronter à une recherche sur le thème de la propreté et la saleté.
Il est important pour moi de décrire en quoi consiste notre connivence. Hélène Patarot, comédienne : nous avons joué ensemble dans la Compagnie Complicité à Londres et elle a travaillé à maintes reprises avec Peter Brook. Hélène Patarot a aussi adapté des nouvelles de Tchekhov pour la création de Fish Love. Claudia De Serpa Soares, danseuse au sein de la Compagnie Sasha Walz : elle a participé comme comédienne à la création Fish Love et comme assistante et chorégraphe pour l’opéra Didon et Enée que j’ai mis en scène à l’Opéra de Dijon. Kostas Philippoglu, comédien et metteur en scène : nous avons collaboré ensemble au sein de la Compagnie Complicité et dans plusieurs spectacles en Grèce. Il a également participé comme comédien à la création de Fish Love et du Conte d’hiver crée à Vidy-Lausanne en 2010. Mich Ochowiak, comédien et musicien : il faisait partie du groupe de Rock alternatif français Les Négresses vertes. Il a joué dans Fish Love et Le Conte d’hiver. Il a par ailleurs composé la musique de Le Mariage de Gogol, que j’ai mis en scène à la comédie Française en 2011. Ximo Solano, comédien et metteur en scène d’opéra : notamment avec le chef d’orchestre Gustavo Dudamel. Nous avons travaillé ensemble à Valence (Espagne) et il était comédien dans Le Conte d’hiver. Ludovic Chazaud, comédien et metteur en scène : j’ai travaillé avec lui à la Manufacture de Lausanne et depuis, on a eu plusieurs occasions de collaborer ensemble. Il était comédien dans Le Conte d’hiver. William Purefoy, chanteur d’opéra : j’ai travaillé avec lui pour Didon et Enée à l’Opéra de Dijon. Clara Bauer, collaboratrice artistique : je collabore avec elle depuis 7 ans. On s’est rencontré au théâtre des Bouffes du Nord, où elle a travaillé en tant que chargée de production pour Peter Brook. Elle était mon assistante sur Fish Love, Le Conte d’hiver et Le Mariage de Gogol. Agnès Falque, costumière : j’ai travaillé avec elle sur des pièces de théâtre et des opéras en Espagne et en France. Philippe Vialatte, créateur lumière : nous avons travaillé ensemble sur 3 spectacles au Théâtre des Bouffes du Nord. Il prépare actuellement les lumières de l’opéra Resurrezione de Haendel, créé pour l’Opéra Bastille en 2012. Tous ces artistes, constituent une troupe en qui j’ai complètement confiance avec qui le travail est une constante recherche. Comme sur un site archéologique, pour trouver il faut tailler et creuser.
Lilo Baur
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris