Le Chagrin

Caroline Guiela Nguyen et sa compagnie poursuivent à la Colline leur travail sur l’intimité familiale. Unique et virtuose !
Cette nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen explore le thème du deuil avec sincérité et simplicité. Bribes de discussions, fragments de disputes, les acteurs portent l’histoire avec une grande justesse. La fascinante scénographie, faite de poupées accumulées telles des statuettes primitives, plonge la pièce dans un univers vacillant entre enfance et rite funéraire. Un moment de théâtre unique.

« – Pourquoi tu es partie quand tu as su qu’il était malade ? »
« – Ce n’était pas trop dur de lui faire prendre sa douche, de le voir nu ? »

  • Un voyage vers l'origine

Après Elle brûle, présenté la saison dernière, Caroline Guiela Nguyen et sa compagnie les Hommes Approximatifs poursuivent leur travail sur l’intimité familiale. Un frère et une soeur se retrouvent quelques jours après le décès de leur père. Elle a fait sa vie à Paris ; il est resté dans leur village natal. Au rendez-vous du deuil, ils rencontrent les kilomètres de différence qu’ils ont mis entre eux, et les non-dits que rouvre cette mort.

Pour les combler, la parole est pauvre, difficile ; reste le terrain de jeu de l’enfance... Et si la régression était parfois un chemin pour accéder aux secrets qui fondent nos vies ? Et notamment au poids de l’Histoire, transmis silencieusement d’une génération à l’autre : ici un passé français, colonial peut-être, dont l’ombre familière, paternelle, reste à explorer.

Le Chagrin est un voyage vers l’origine à travers un paysage théâtral fait d’affects, d’objets, de matières, de sensations. Une histoire de solitudes – mais aussi une histoire de communauté : pour ces jeunes artistes, engagés depuis quatre ans dans une démarche d’écriture de plateau, il est essentiel de faire surgir d’un geste collectif la singularité des êtres. Pour découvrir ensemble, au coeur des blessures enfouies, la marque du monde.

  • La presse

« Tout ici est dans la façon si émouvante qu’a Caroline Guiela Nguyen de convoquer l’enfance, cette enfance inscrite en chaque être humain comme une Atlantide engloutie, toujours prête à refaire surface. Ou d’évoquer la mort de manière un peu vaudoue, en instaurant sur le plateau un fascinant jeu avec la matière, les objets, les poupées, les bricolages divers et variés que chacun s’invente pour recréer du vivant, encore et encore. » Fabienne Darge, Le Monde, 16 avril 2015

« Son style fin et profond fait mouche. » L'Express, 29 avril 2015

« Progressivement, quelque chose se précise, qui s'appuie sur des détails d'une vérité et d'une justesse profondément touchantes (...) » Hugues Le Tanneur, Libération, 5 mai 2015

« La compagnie (…)décrit par petites touches les failles et les enchantements de la vie de famille tout en peignant sur un mode intimiste ce couple fraternel aussi fragile que touchant. (…) Les acteurs s'appuient sur le décor kitsch, très boîte à malices, pour s'engager dans des pitreries qui en disent long sur l'insouciance perdue. (…) Triste, drôle et beau. » Emmanuelle Bouchez, Télérama TT

  • Entretien

Le Chagrin se passe la semaine après la mort du père. Pourquoi décider de placer l’action à ce moment-là ?
Le moment du deuil crée un espace particulier. La mort d’un père dans une famille bouleverse l’ensemble des liens qui la structure. Ce n’est pas uniquement la relation au père qui disparaît, mais l’ensemble des liens et des ramifications entre les membres de la famille. C’est un moment où la mort demande à chacun de réinventer son rapport à l’autre. C’est d’ailleurs à l’intérieur de ce bouleversement que la mort est la plus palpable, car on sait bien qu’envisager la mort est impossible. Nous avons besoin d’une représentation mentale de ce qu’est la fin, et la mort, c’est la fin, le noir, le rien. Donc paradoxalement, nous n’apercevons la fin d’une chose que parce qu’une autre est justement en train de commencer. Une nouvelle façon de se sentir avec sa mère, de voir son frère prendre une place, sa soeur s’occuper des papiers alors qu’elle n’a jamais envoyé ses propres feuilles de remboursement à la sécurité sociale... C’est cet endroit-là du deuil qui m’intéresse. L’endroit où quelque chose de fragile est déjà en train de renaître à partir de la douleur, de la perte, de la tristesse. Le spectacle interroge notre capacité à accepter la transformation de l’autre. Julie et Vincent pour la dernière fois jouent avec ce qu’ils connaissaient d’eux, car déjà chacun devient l’étranger de l’autre. J’imagine Le Chagrin dans un tout autre espace-temps que celui d’Elle brûle où on voyait évoluer une famille sur dix ans. Ici, pour Le Chagrin, c’est comme si la représentation servait de sas à ces personnages avant le grand bouleversement, comme s’ils voulaient retenir quelque chose avant de « vendre définitivement la maison ». On dit souvent que les gens, avant de se séparer, avant de faire leur valise pour commencer une nouvelle vie, font l’amour une dernière fois. Le Chagrin aura à voir avec cet acte d’amour. Comme une façon de rejouer ce que l’on sait être déjà parti : faire revivre non pas les morts, mais ce qui est déjà mort. Cela a à voir avec la réincarnation, avec l’incarnation... avec le théâtre ?

Vous revenez donc dans la cellule familiale ?
Nous revenons à une communauté de gens qui tentent de comprendre comment vivre ensemble. Nous nous sommes aperçus que nous cherchions moins à mettre en place le rapport psychologique d’un individu face à lui-même que le fonctionnement d’un groupe, d’une structure. La famille est le premier lieu où l’on expérimente sa place dans le groupe, dans un rhizome d’affects, une organisation visible et invisible, dite ou non dite. En ce sens, nous revenons à la famille, mais nous pourrions tout autant nous placer dans le milieu du travail par exemple, un autre espace qui structure le lien. Dans chacune de nos histoires, il y a toujours un personnage extérieur à cette communauté, souvent même exclu. Nous pourrions donc aussi voir nos projets sous cet angle-là : qu’est ce qui nous apparaît comme profondément commun et qu’est ce qui nous apparaît comme profondément étranger ? Nous nous rendons souvent compte que l’étranger et le commun sont à des endroits où nous ne les attendons pas. En fait, plus j’avance, plus je me dis que parler de la famille c’est avant tout parler de l’intrusion : l’intrusion d’une personne extérieure ou l’intrusion d’une nouvelle expérience, celle la mort, du deuil, qui viennent, tels un étranger déstabiliser le monument familial. Un monument construit sur un terrain sismique ! Il subit des effondrements et des reconstructions toute sa vie. La famille est comme un corps organique, elle se régénère tout au long de son existence. Un oncle est présent durant un temps puis il disparaît, un ami est là le matin au café puis c’est un autre qui le remplace, un parent divorce, un enfant naît, un grand-père meurt, des turbulences, des effondrements qui parfois se passent sans bruit, sourdement, alors, reconstruction se fait comme un délit, en cachette...

Il y a une dimension qui touche à l’enfance dans le titre...
Je n’en n’avais pas conscience lorsque j’ai imaginé le titre, imaginé plus que réfléchi, mais je crois que le monde de l’enfance me touche car il est toujours proche du bouleversement. C’est ce dont parle la psychanalyste Anne Dufourmentelle, dans son livre Éloge du risque : « L’enfant est confiant, le monde lui parle et il parle au monde familier. Cette intime sécurité lui permet de penser, délivre ses rêves et son attente. Et puis survient quelque chose comme la foudre dans ce ciel d’été... le danger fait trembler les fondations de ce monde que l’on croyait sûr. Ce vacillement est le sien, aux confins de ce monde il y a donc de l’inapprivoisé, un espace de pure sauvagerie, que même les mots ne captivent ni ne capturent. » La famille pour l’enfant est vécue comme un tout, une île perdue au milieu de rien. Elle a son organisation propre, ses propres règles mais le monde est en train de gronder, il est en train d’arriver et arrivera toujours. Une fois encore, c’est l’intrusion qui va provoquer le déséquilibre, engloutir à jamais cette île, demander à l’enfant de négocier avec le bruit du monde. Frère et soeur, Julie et Vincent à la mort de leur père se retrouvent dans la maison de leur enfance et vont devoir confronter ce qui est resté du lien fraternel. Un lien qui se construit dans l’enfance, mais dont ressurgit à l’âge adulte quelque chose qui s’est noué dans le bac à sable. La relation fraternelle a cela de fascinant qu’elle engage deux temporalités très différentes. C’est comme un bloc de passé qui percute le présent. Comme ce texte de Rabelais où l’équipage d’un bateau en voyage au pôle Nord entend des bruits d’une bataille qui s’est déroulée plusieurs années auparavant. Le réchauffement du soleil a rendu audible des bruits que le grand froid avait congelés...

En quoi cette histoire t’évoque-t-elle Le Chagrin ?
Elle me parle de tout ce que l’on a enfoui pour ne pas briser la quiétude, jusqu’à en oublier l’existence même. Et qui finit toujours par remonter à la surface. Très concrètement, Julie et Vincent à la mort de leur père vont devoir trier les papiers, ranger les vêtements, ouvrir les tiroirs, desceller des boîtes. Et derrière cette vie qui semblait ne pas faire trop de vagues, se dissimulaient des parcelles d’existence enfouie, des terrains entiers laissés pour compte. Alors les enfants vont, malgré eux, voir des morts remonter à la surface. L’histoire de ces territoires abandonnés leur manque et nous savons à quel point les histoires sont importantes. C’est par la fiction que nous construisons notre rapport au monde, d’où pour notre compagnie une volonté quasi « obsessionnelle » de raconter des histoires. Alors comment faire quand justement l’histoire ne nous a pas été racontée ? Comment faire quand une histoire nous manque ?
Le père n’a rien dit à ses enfants de cette partie-là de sa vie, parce qu’elle a été douloureuse, n’a pas trouvé d’écho dans son monde, est devenue une sorte de secret, de zone interdite. Mais ce n’est pas parce que le secret est gardé que rien ne fuit. L’enfant en reçoit toutes les aspérités sans rien y comprendre puisque rien ne lui a été expliqué. La violence jaillit d’une porte qui claque, les larmes coulent lors d’un repas d’anniversaire heureux, un prénom prononcé déclenche un après-midi de silence. Les choses arrivent jusqu’à lui de façon désordonnée, incohérente, mettant en cause une certaine sérénité dans sa lecture du monde qui l’entoure. Le monde est comme confus, à tout moment peut jaillir alors une émotion imprévue, une tristesse cachée et c’est là que l’invisible devient dangereux. Où l’on commence dans ce monde envahi de signes incompréhensibles à voir des fantômes. À avoir peur que, sous notre lit, un homme à tête de chou apparaisse. Un esprit là où on ne l’attendait pas.

Percerons-nous ces secrets ?
Il y a des indices, à vous et à nous de voir ce l’on en fait :
Une date écrite sur un papier : 1956
Une fiche d’état civil avec le nom de Béatrice Herbaux
Une petite statuette représentant un clown
Un cahier rempli de formes incompréhensibles entourant des petits soldats dessinés au crayon gris
Une photo en noir et blanc avec une forêt d’arbres recouverts par ce qui pourrait être de la neige
Une photo de leur père jeune avec une petite fille dans les bras
Un CD avec un choeur d’enfants enregistré.
Une lettre d’insultes anonyme
La photo d’une femme déchirée puis réparée.

Pourquoi est-ce si important de raconter des histoires ?
Il s’agit moins de l’histoire en elle-même que de sa représentation. C’est, là encore lié à l’enfance. C’est ce que déjà, nous cherchions lorsque nous voulions que notre mère nous raconte Le Petit Chaperon rouge. Nous en avions besoins pour incarner nos questions, donner un visage à nos maux, tracer le trajet de nos angoisses mais surtout se sentir moins seuls. Si une personne dans le monde a pu écrire Le Petit Chaperon rouge, si des enfants ailleurs l’écoutent le soir, alors d’autres savent que mon angoisse existe, mieux encore, d’autres vivent cette même angoisse. C’est comme une communauté invisible. Alors, les histoires que l’on nous raconte sont d’incroyables objets de consolation. Ce qui ne prouve rien d’autre qu’un besoin énorme de se sentir au monde et surtout avec le monde. Imaginons maintenant que pour une raison ou une autre, cette histoire que l’on attend pour réussir à s’endormir ne vienne jamais. Imaginons que cette angoisse, ces questions, toutes ces agitations qui vous assiègent ne trouvent aucun véhicule... ce serait comme de disparaître. Si l’histoire n’existe pas, c’est que personne n’a eu le besoin de la faire exister. Mon être n’a aucun écho dans ce monde où je vis. Je suis seule avec ma panique, et si personne d’autre ne la ressent est-elle réellement légitime ? Et c’est à mon sens l’un des plus grands chagrins de notre temps : celui de ne pas être représenté. Rester seul avec sa folie, son malaise, ses contradictions, et ses terreurs, c’est comme une forme de disparition. Comme si nous n’existions plus, ou pas assez. Si les moyens de représentation qui nous permettent de rentrer en miroir les uns avec les autres disparaissent, comme les histoires, alors comment se sentir en vie ?

Caroline Guiela Nguyen
propos recueillis par La Comédie de Valence

Sélection d’avis du public

Le chagrin Par Pascale C. - 5 juin 2015 à 09h05

Poétique, émouvant, beau jeu d'acteurs..bravo

Le Chagrin Par SylvetteC - 25 mai 2015 à 09h01

Magnifique - profond, singulier, grand jeu d'acteur, superbe mise en scène, décors inattendu. Merci.

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Le chagrin Par Pascale C. (2 avis) - 5 juin 2015 à 09h05

Poétique, émouvant, beau jeu d'acteurs..bravo

Le Chagrin Par SylvetteC (1 avis) - 25 mai 2015 à 09h01

Magnifique - profond, singulier, grand jeu d'acteur, superbe mise en scène, décors inattendu. Merci.

Informations pratiques

La Colline (Théâtre National)

15, rue Malte Brun 75020 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Gambetta Librairie/boutique Restaurant Salle climatisée Vestiaire
  • Métro : Gambetta à 73 m
  • Bus : Gambetta - Pyrénées à 53 m, Gambetta à 57 m, Gambetta - Cher à 144 m, Gambetta - Mairie du 20e à 150 m
  • Station de taxis : Gambetta
    Stations vélib  : Gambetta-Père Lachaise n°20024 ou Mairie du 20e n°20106 ou Sorbier-Gasnier
    Guy n°20010

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Plan d’accès

La Colline (Théâtre National)
15, rue Malte Brun 75020 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 6 juin 2015

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