Présentation
L'histoire
Pourquoi ce spectacle ?
Annexe
" Réveille-toi ! Tu es plus dans le grand monde. Tu es rentrée au pays. Ce petit bled pourri c'est chez toi, et ici tu es ce que tu es. Ce que tu as toujours été ! Une rien du tout... qui s'est fait baiser à la chaîne par toute la classe de terminale, un soir à la plage... dans la Baie des Pêcheurs... " Israèl Horovitz in Le baiser de la Veuve
"Huit adolescents ont été placés en garde à vue, soupçonnés d'avoir violé collectivement et avec violence une adolescente qui fréquentait le même collège qu'eux." Le Monde - 24 mai 2002
Israèl Horovitz, adolescent, travaillait dans l'atelier de presse pour vieux papiers de son oncle. Un jour, un de ses amis - de la classe aisée - lui raconte le viol auquel il venait de participer. Quelques années plus tard, il écrit cette histoire, imaginée de toute pièce, et la place dans le cadre d'un atelier comme celui de son oncle. Lorsque sa mère voit la pièce, elle lui dit : "Je ne savais pas que tu étais au courant de cette histoire". Voyant que son fils ne comprend visiblement pas, elle lui explique que, vingt-cinq ans plus tôt, une autre scène de viol similaire avait eu lieu chez son oncle.
L'Amérique profonde. Dans les années quatre-vingt. Deux hommes, anciens copains d'école. Simples, sans éducation, de vulgaires hommes. Deux manutentionnaires dans un atelier de presse pour vieux papiers. Ils travaillent. Ils suent. Ils se battent. Ils rient.
Une femme arrive. Elle a rendez-vous ici, avec l’un d’eux : Bobby. Elle c’est Betty. C’était Betty-la-Tite-Souris, du temps du lycée. Mais elle a changé, elle a quitté cette ville depuis longtemps, elle est devenue "quelqu'un". Eux, ils sont restés les mêmes depuis dix ans : Bobby-le-Bélier et Georgie-la-Crevette.
Ils se retrouvent, parlent du passé, et de l'avenir absent. Mais un malaise s'installe, et cette rencontre prend peu à peu l'allure d'un règlement de comptes. Un secret remonte des profondeurs de la mémoire. Un terrible secret… un secret qui a détruit… et qui les déchire…
Alors, pourquoi ces retrouvailles ? Vengeance ou Pardon ?
« La civilisation, c'est une mince couche de vernis au-dessus de la fournaise » Nietzsche
Littérairement, Le Baiser de la Veuve se présente comme une mécanique de haute précision. L'annonce de l'arrivée de Betty, au début de la pièce, enclenche un processus inexorable, porté par le rythme parfait de l'écriture d'Israèl Horovitz. Il y a une tension permanente, qui parfois se traduit dans le rire, dans la force humoristique d'un jeu de clowns, et parfois dans la violence, verbale ou physique. Une farce qui laisse un goût de larmes, un drame secoué d'éclats de rire... (Claude Roy). Les accalmies ne font jamais que préparer la prochaine déferlante.
La construction de la pièce ressemble au passage d'un cyclone : il est annoncé, au loin, puis les vents se lèvent et se font de plus en plus violents, avec des rafales inattendues. Le phénomène s'amplifie jusqu'à son comble : les masques tombent alors, et l'on apprend que, treize ans plus tôt, Betty a été victime d'un viol collectif, par les garçons de sa classe de terminale. Et que le meneur de ce viol n'est autre que George.
On entre ensuite dans "l'œil du cyclone", là où les vents sont tombés pour laisser place à un calme oppressant. C'est la parole nue de Betty qui se fait entendre, calme, implacable, accusatrice, sans concession. Aucun tremolo, aucun pathos. Juste le froid de la douleur, porté par une immense révolte. On est obligé d'écouter et d'entendre, de prendre la mesure de la violence de cet acte. Lent et calme récit d'un calvaire. C'est aussi le moment du consternement de Bobby, et de la pathétique bêtise de Georges. Quand l'œil du cyclone s'éloigne enfin, les éléments se déchaînent à nouveau, à pleine violence, et c'est la mort brutale de George.
La pièce se déroule treize ans après le drame. Le spectateur n'est pas témoin des réactions "à chaud" des personnages, mais plutôt des séquelles, des traces, des marques indélébiles que l'événement a laissé chez chacun.
Ce texte nous laisse un goût amer dans la bouche, car il parle de la violence ordinaire, dont nous sommes tous potentiellement capables, dans ces moments où les choses "dérapent". Les garçons de cette classe de terminale ne sont ni des violeurs patentés, ni des psychopathes, mais des gens ordinaires qui, un soir où ils avaient trop bu se sont laissés entraîner.
Même si les personnages de la pièce appartiennent à une réalité sociale bien définie, leur comportement se relie plus largement au genre humain. Et c'est là le grand talent d'Israèl Horovitz : il nous renvoie à nous-mêmes. Il nous interroge sur nos propres pulsions, sur notre capacité à conserver notre humanité.
Betty se trouve confrontée à un choix : la vengeance ou le pardon. La pièce nous raconte qu'il n'y a pas de réponse absolue : le pardon est accessible à certains êtres, pas à d'autres. C'est le cas de George, qui déforme la réalité et revendique ses actes monstrueux avec fierté. Lorsque Betty voit que le pardon n'est pas possible, elle fait le choix des armes, et elle tire.
"La civilisation, c'est une mince couche de vernis au-dessus de la fournaise", disait Nietzsche. Et le déroulement de cette histoire l'illustre remarquablement. En effet, les personnages jouent une mascarade, qui pourrait s'intituler "Joyeuses retrouvailles de trois copains d'école". Mais ils portent des masques, qui peu à peu tombent en lambeaux, pour laisser apparaître la rudesse, la vulgarité, la violence, la haine et le désespoir.
On en ressort sonné, mais plus fort. Avec l'envie de se battre, malgré tout, pour préserver notre humanité.
Au cours de notre travail de recherche sur Le Baiser de la Veuve, nous avons découvert beaucoup de résonnances - bouleversantes - entre la pièce et les réalités de la société. Voici quelques extraits de journaux qui en témoignent.
« Les viols collectifs rélèvent une misère affective et sexuelle. Les "tournantes" constituent depuis longtemps un rite tabou dont la justice commence seulement à être saisie. Ces passages à l'acte témoignent de la dureté des rapports filles-garçons, ces derniers n'ayant souvent pas conscience de la gravité de leurs crimes. Pour eux, le viol collectif, c'est un jeu. Ils sont en permanence dans la transgression sans s'en rendre compte. C'est pareil quand un gamin en tue un autre, il n'a pas conscience de ce qu'il a fait. (...) Ce qui est frappant, c'est l'absence d'affect, la grande pauvreté des sentiments et des rapports.» Le Monde - avril 2001
« Des violences sexuelles perpétrées et subies par des jeunes à l'intérieur de l'enceinte scolaire. Ce constat à peine imaginable il y a quelques années est devenu aujourd'hui une réalité ... L'erreur c'est de ne pas protéger les enfants victimes. Temporiser, se taire, c'est prendre le risque que le violé se fasse agresseur à son tour ... Dans certains endroits, on assiste à une banalisation des rapports d'irrespect entre garçons et filles. Les attouchements sexuels participent de cette attitude. Les paroles blessent aussi. Regards, moeurs, réputations : la violence n'est pas que physique, elle est aussi morale ... Souvent les jeunes agresseurs sont indifférents à la souffrance de la victime, considérée comme objet de jeu ou de perversion.» Le Monde de l'éducation - mars 2001
« Dans le monde des adolescents les insultes sexistes sont de plus en plus fréquentes, ainsi que des actes plus graves, attouchements et même tentatives de viol, voire viol. Les affaires de ce type se multiplient. En banlieue lyonnaise, les filles d'un lycée professionnel se plaignent de ne plus pouvoir mettre de jupe sans se faire agresser et demandent à avoir accès aux toilettes des professeurs. En région parisienne, des élèves de collège ont dû se plier aux jeux sexuels fort scabreux de leurs copains de classe. Le 1er janvier, une adolescente de 17 ans a été contrainte, sous la menace d'un couteau de faire une fellation à deux gosses de 14 ans. A Lille, une fille a été violée par deux garçons dans un local à poubelle. Une autre a subi le même sort dans un bus, en pleine campagne normande. La révélation de ces affaires jette un trouble profond. Et si nos ados étaient en passe de devenir aussi agressifs et pervers que les adultes ? » Le Nouvel Observateur - janvier 2001
8, rue de Nesle 75006 Paris