L’Histoire
Genèse
Travailler ensemble
Ecrire sur le monde contemporain
En dépit de l’abondance, de quoi manquons-nous ? C’est la nuit, un quai, cinq visages et les autres... Comment penser quand les idéologies sont défaites ? Que reste-t-il d’humanité dans un monde absorbé par le travail et la consommation, le pouvoir des images et le fétichisme de l’argent ? Quel équilibre peut-on construire aujourd’hui entre l’individuel et le collectif ? Le premier qui tombe, un bout de chemin au coeur de la société et de ses contradictions, porté par une langue forgée, précise et concrète.
2002 Franck Magloire publie son premier texte, Ouvrière, racontant la vie de sa mère, licenciée de chez Moulinex. En 2003 et 2004, Catherine Gandois a conçu, réalisé et interprété l'adaptation théâtrale du récit. Co-produit par le théâtre du jeu de Paume (Aix en provence) et par le Nouveau Théâtre d'Angers (C. D. N. d'Angers), Ouvrière le spectacle a été joué aussi bien dans les villes des anciens sites d'usines Moulinex que dans les lieux consacrés.
Gérard Paquet, directeur de la Maison des métallos à Paris a accueilli le spectacle en mars 2005. Suite à cette rencontre, Catherine Gandois a développé dans ce nouveau lieu le chantier Des mots pour le dire où, accompagnée d'une troupe de comédiens professionnels, elle explore des textes contemporains, théâtraux ou non, pour les présenter au public. Elle est artiste associée à la Maison des métallos.
Parallèlement, Franck Magloire inaugure les résidences d'écriture de la Maison des métallos. Le fruit de ce chantier et de cette résidence d'écriture, c'est Le premier qui tombe, une coproduction Maison des métallos et Compagnie Vertiges. La compagnie Vertiges a été cofondée par Catherine Gandois et Didier Sauvegrain.
Une situation de départ volontairement simple et dépouillée : un hall de gare avec des sièges baquets et une borne de billetterie automatique ; cinq personnages principaux : l’ouvrière assise sur un des sièges, le sans abri assis par terre dos contre la borne, l’ex-cadre debout devant la borne et deux jeunes « qui tiennent les murs ».
Des thèmes symboliques de « la modernité » permettant de créer un dialogue entre les personnages, de les confronter à l’autre, de les comprendre dans leurs différences, dans ce moment si particulier qu’est l’attente sur un quai de gare ; enrichir ce dialogue de personnages secondaires, d’autres voix (réelles et fantasmées), d'objets modulables et interactifs (par exemple : la borne de billetterie devient machine de l’usine, écran, panneau indicateur, miroir, projection de nous-mêmes…) et ouvrir des espaces chorégraphiques.
Une méthode de travail fondée sur l’interaction : plonger directement les comédien(ne)s dans un aller-retour constant entre l’écrire, le dire et le faire. Bien que les rôles dévolus à chacun soient définis (C. Gandois metteur en scène et comédienne, D. Sauvegrain conseiller artistique, F. Magloire auteur), déplacer les frontières en faisant que nos expériences et nos compétences propres s’enrichissent les unes les autres et rompre ainsi avec les fonctions trop souvent figées de l’écrivain, du metteur en scène et des comédiens : chaque étape de création sera donc discutée sur le papier, testée sur le plateau puis rediscutée et re-testée, jusqu’à leur validation finale. D’autres textes, des personnages et des espaces inédits seront alors proposés par l’auteur, le metteur en scène et les comédien(ne)s, afin d’aboutir à une structure scénique au plus près des corps, de la perception de la réalité sociale et du texte théâtral.
Lors d’une rencontre en public, une journaliste me demanda si proposer des romans sur le monde d’aujourd’hui et mettant en scène des vies ordinaires et des gens « de peu » signifiait un engagement idéologique ou politique de ma part. Je n’eus pas le temps de répondre car une femme dans l’assistance rétorqua aussitôt : "écrire, c’est s’engager tout court ; écrire, c’est toujours prendre un risque."
Dans le relatif confort d’une société telle que la nôtre, je n’aurais pas l’indécence d’aller jusqu’à dire que c’est un risque. En revanche, ce dont je suis convaincu c’est que l’acte littéraire doit se construire avec et enmême temps tout contre la société dans laquelle il se déploie ; et c’est d’autant plus vrai et nécessaire aujourd’hui.
La littérature exige de la durée ; elle est silencieuse, tâtonnante, toujours aussi pauvre par son outil même – une rame de papier et un stylo suffisent –, là où le monde actuel farci de technologie, de média et d’images se love plus volontiers dans l’immédiateté, la précipitation tumultueuse et le tout-et-vite consommable.
La littérature demande également du concret et de la complexité ; surtout pour décrypter notre époque dont une grande part des tenants et des aboutissants nous échappe, quand nombre de produits culturels – et les livres ne font pas exception – se contentent de simplifier les narrations et d’offrir des histoires produites dans une langue et un imaginaire parfois appauvris, voire simplistes, reposant leur légitimité sur l’argument fallacieux d’une proximité plus grande avec leurs destinataires.
Dans ces trois textes, que j'ai écrit (Ouvrière, En contrebas et Sans visage) les différents personnages ont ceci en commun d’interroger leur propre existence face à la société d’aujourd’hui. Dans leurs pensées et leurs réflexions, ils traversent la scène de la vie quotidienne et tous les questionnements de ce qui fait à mes yeux la modernité : le travail comme fonction et mode d’être au monde ; la société de consommation qui forge des identités parfois incompatibles avec notre propre singularité ; le pouvoir des images et l’omniprésence de la technologie, façonnant notre regard, notre nouveau rapport à l’espace et au temps et notre univers mental ; le fétichisme de l’argent, donnée indépassable aussi bien matériellement qu’en tant que relation à l’autre ; et enfin le difficile équilibre entre l’individu et le collectif.
Franck Magloire
94, rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris