"Le seul langage qui est peut-être le langage le plus fou, qui surnage à tout, c’est celui du mécanicien et de la locomotive, le langage technique. A ce moment-là c’est peut-être, vu à l’angle de la pièce, le langage le plus dément qui soit, le seul à continuer alors que tous les autres langages s’abattent tout au long de ce voyage sur les rails."
Armand Gatti , « Les arches de Noé », atelier de création radiophonique France Culture, 1988
Au cœur de l’Europe, un train avance
Quelle traversée ?
La distribution
Au cœur de l’Europe, un train avance. A l'intérieur des wagons, voyagent, libres, quinze personnages, sans plus d'identité ni de patrie, et dont aucun pays ne veut.
Chacun porte en soi une possibilité de société. Est-il possible d’inventer un langage commun ? Tout au long du trajet, des conflits se nouent, des combats sont menés et des chants s’élèvent.
La musique traverse l’histoire, entrecoupée à chaque arrêt par des annonces contradictoires diffusées par des haut-parleurs dans les gares. Après un dernier tour autour de Vienne, le train finira par disparaître.
De ce train parti d’Auschwitz en 1945 à la libération du camp et dans lequel voyagent des survivants tous aveugles, on sait seulement qu’il commença à circuler à travers l’Europe, en quête d’une ville d’accueil, qu’il fut reconduit sur Vienne, tourna plusieurs fois autour de la ville qui n’en voulait pas, puis disparut on ne sait où ni comment.
Gatti s’est emparé du récit de Primo Lévi, La Trève, du train et de l’Histoire. Il a usé de la liberté du poète pour raconter au théâtre les 7 possibilités du train 713, qu’il a mis en scène en 1988 au Todd Theater de l’Université de Rochester.
A mon tour aujourd’hui de prendre ce train avec quinze acteurs afin de nous projeter immédiatement, ensemble dans la possibilité du présent.
Dans le convoi, il y a multitude de langages… donc autant de conceptions, de possibilités du monde qui vont se mesurer les unes aux autres.
Le long d’un trajet improbable, chaque langage va inventer une version différente de ce train. Extraordinaire mêlée où les personnages, debout, bataillant, jamais soumis, se font face et se dressent aussi contre l’Histoire.
Formidable chemin par voie ferrée ! que permet ici le théâtre embarquant acteurs et spectateurs dans une réalité inimaginable (l’est-elle ?) : un train bondé tourne au cœur de l’Europe, qui transporte des gens dont personne ne veut parce qu’ils sont sans identité… trop étrangers, trop infirmes, trop différents…
La distribution est internationale. Pour les acteurs français, congolais, syriens, libanais, camerounais, italiens, le défi est à la fois réel et fictif : s’emparer de ce train et recomposer, à travers les personnages, une société dont ils réinventent des règles.
Quelle possibilité chacun porte-t-il en lui, à travers sa propre mémoire et son improbable futur ? Est-ce qu’un acte collectif est encore plausible ? Et comment prendre en compte la possibilité de l’autre, sans avoir la tentation de le dissocier, de l’exclure, de le faire disparaître, de l’éliminer ?
Pour pénétrer la langue de Gatti, il faut risquer d’y mettre de soi-même, c’est-à-dire puiser dans sa propre expérience pour atteindre à celle que l’on représente, ne jamais oublier qui nous sommes, d’où nous venons et pourquoi nous la jouons aujourd’hui. L’enjeu d’un spectacle comme celui-ci est de toucher l’endroit où le théâtre se joue au Présent.
Trois sessions de travail préparatoire avec des acteurs et des musiciens ont déjà été réalisées, en France et en Afrique. Le mercredi 13 juin à 19 heures à la Maison de la Poésie est donc la quatrième session (ou chantier) qui rassemble le noyau de l'équipe et qui nous permet en une dizaine de jours de travail de présenter au public un nouveau point de vue sur la pièce en préparation de la création finale prévue pour 2008.
Neuf comédiens chanteurs et danseurs, un créateur sonore, et un écrivain seront sur le plateau avec moi pendant 90 minutes.
La traversée se fera à partir de fragments de la pièce : certains fragments seront lus, d'autres mis en musique, certains chantés, certains dansés, d'autres joués.
J’ai demandé à l'écrivain camerounais Kouam Tawa de travailler sur ce chantier et d'interroger avec moi la pièce de Gatti ; au créateur lumière Laurent Vergnaud de travailler avec moi sur des pistes de scénographie ; aux comédiens Frédéric Fachéna, Elsa Hourcade, Marcel Mankita, Philippe Chateau, Nanténé Traoré, à la chorégraphe Stéphanie Chêne et à la danseuse Katia Pétrovic de continuer à creuser avec moi le travail de jeu, de danse et de chant, et j'ai demandé aux comédiennes Norma Ichia, Charlotte Ngo Ntamack de venir nous rejoindre du Cameroun pour travailler avec nous.
C’est ainsi que s’avance le train 713.
Catherine Boskowitz
Passage Molière - 157, rue Saint Martin 75003 Paris