Spectacle en espagnol surtitré en français.
Daniel Veronese ne se contente pas de monter des textes du répertoire. Ce qu’il propose à partir d’Ibsen ou de Tchekhov ce sont de véritables créations. Le texte est pour Daniel Veronese quelque chose qui doit être interrogé. En abordant une pièce de théâtre il commence par en creuser le contenu, à mettre le texte à l’épreuve en le confrontant à d’autres textes, mais aussi en lui faisant passer le test de l’époque. Qu’est-ce qui nous parle aujourd’hui chez Ibsen ou chez Tchekhov ? Que nous disent-ils à nous qui vivons au début du XXIe siècle ? Qu’avons-nous à apprendre de ces auteurs du passé ?
Daniel Veronese agit en archéologue, ce qu’il découvre et expose à la lumière du jour apparaît d’autant plus nettement sous cet éclairage que sa confrontation avec l’atmosphère contemporaine ne le réduit pas en miettes. C’est un travail d’orfèvre, d’autant plus délicat qu’il s’appuie sur une précision diabolique.
« Quand j’aborde une œuvre comme Maison de poupée ou La Mouette j’ai tendance à la synthétiser, à en garder l’essentiel, le noyau dur. Dans Maison de poupée, par exemple, il y a la maladie du docteur Rank pour laquelle Ibsen ne donne aucune explication à part ce sous-entendu comme quoi il s’agirait d’un mal lié à la vie licencieuse de son père. Une maladie honteuse en somme. Il y a là, en quelque sorte, un message d’Ibsen à ses contemporains qui n’a rien à voir avec ce dont il est question dans le reste de la pièce. Très vite j’enlève ce genre de passages et d’allusions pour aller à l’essentiel. Du coup je suis confronté à un autre problème qui est de garder une cohérence dramaturgique forte. Dans le spectacle, chaque seconde doit exister en relation avec la trame générale. »
Ce souci omniprésent dans le théâtre de Daniel Veronese explique la densité et l’inventivité si attachante qui animent ses créations. On y sent à quel point jouer c’est animer une flamme, faire exister une force invisible. Une alchimie qui doit beaucoup à la direction d’acteurs et à la qualité des comédiens, mais qui s’appuie aussi sur une forme de distanciation vis-à-vis du texte original. Distanciation due notamment aux frottements introduits par le metteur en scène quand il confronte le texte original avec un autre texte. À l’origine Daniel Veronese souhaitait monter Maison de poupée et Hedda Gabler comme s’il s’agissait d’un texte unique, par exemple. Il y a renoncé pour finalement présenter les deux pièces dans un même décor comme en vis-à-vis. Pour La Mouette, il a pensé à Hamlet, frappé par les coïncidences entre les deux pièces.
« J’ai vraiment besoin de ce travail préalable de mise à l’épreuve des textes et de confrontation pour que la représentation devienne plus fluide, pour que l’information circule de la façon la plus naturelle possible. Mais n’est-il pas évident que Treplev se réfère lui-même à Hamlet dans La Mouette ? N’est-il pas lui-même une version d’Hamlet ? Sa mère est amoureuse d’un homme qui n’est pas son père, par exemple. Et il monte lui aussi une pièce de théâtre dans la pièce. C’est quand même incroyable la façon dont ces thèmes se répètent chez Shakespeare et chez Tchekhov. Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec cette confrontation entre les deux textes. Mais ce dont je suis sûr, c’est que quelque chose va se passer à partir de ça. »
Hugues Le Tanneur
76, rue de la Roquette 75011 Paris