Les Joueurs

Ikhariev, joueur expérimenté et tricheur de premier ordre, muni d’une jolie somme d’argent gagnée aux cartes, descend dans une auberge de province, à la recherche d’une victime.

Le soir même, trois autres joueurs, prenant Ikhariev pour un " homme ordinaire " , décident de le plumer, mais en vain. Ils lui proposent alors d’unir leurs talents pour plumer quelqu’un d’autre. Une " sincère amitié " se noue entre les quatre joueurs, qui après avoir tenté sans succès de faire jouer un vieillard, parviennent finalement à dépouiller son fils.

Après l’intervention convaincante d’un fonctionnaire, l’échange de son argent contre une reconnaissance de dette d’un montant considérable, Ikhariev croit se retrouver propriétaire d’une fortune colossale. Dès lors, on apprend qu’il s’agit d’un coup monté, d’ une escroquerie parfaite :

 " L’histoire d’un filou abusé par plus filou !  " 

Notes de mise en scène

Entre Le Révizor et Hyménée, on peut parfois un peu oublier que Les Joueurs est un petit chef-d’œuvre. C’est la pièce la plus étrange et originale de la dramaturgie russe.

Dans cette comédie en un acte, cette " scène comique " , comme il la désignait lui-même, Gogol a atteint un déroulement idéal de l’action, une progression achevée du sujet. Il a renoncé complètement à l’intrigue traditionnelle, l’intrigue amoureuse, et il n’y a même aucun rôle féminin.

Les Joueurs relate l’histoire tragi-comique d’un tricheur chevronné trompé habilement par des escrocs encore plus malins que lui. Gogol raconte non seulement une histoire drôle mais présente aussi, avec une ironie mordante, le cynisme de tous les personnages qui ne s’arrêtent devant rien pour arriver à leurs fins. Argent, calcul, tromperies, pots de vin : voici un récit tout à fait amoral livré par Gogol sous la forme de " l’étrange réalisme " qui lui est propre.

Dans ce spectacle, nous avons essayé de rendre l’atmosphère de la pièce :

Un soir. un endroit perdu. La chambre bon marché d’une auberge de province. Autour de la table, éclairées par des bougies, quatre silhouettes sombres surmontées de hauts-de-forme. Un silence pesant, des ombres sur les murs… Le champagne coule, les cartes et les billets de banque passent et repassent entre les mains des joueurs …

En même temps, nous avons tenté de restituer au mieux l’aspect comique présent dans la pièce et de créer un spectacle plein d’action. Rebondissements, coups de feu, poursuites, pantomimes, chansons tsiganes et danses russes…

Tout y est. Tout, sauf un personnage positif… En effet, où est le véritable héros ?

- " C’est le rire " … comme toujours, le rire amer et ironique de Gogol !

Emile Salimov

Le contexte

La pièce Les Joueurs, probablement écrite ou du moins commencée en 1834, fut publiée pour la première fois en 1843, dans le tome IV des " Œuvres " de Gogol et ouvrait le chapitre " Fragments dramatiques et scènes isolées " où figuraient également La matinée d’un homme d’action, Le Procès, etc.

Par le titre de la rubrique, Gogol différenciait ces œuvres, sur le plan du genre, des comédies (Hyménée et Le Révizor), point sur lequel il insista à maintes reprises dans sa correspondance. Ainsi, dans une lettre à Chtchepkine, Gogol écrit :

 " Vous voulez tout suspendre au même clou et rattacher à Hyménée, la nouvelle - comme vous l’appelez ! - comédie Les Joueurs. Premièrement, elle n’est pas nouvelle, parce que je l’ai écrite il y a longtemps, deuxièmement, ce n’est pas une comédie, mais simplement une scène comique… " 

Gogol

Le thème de cette oeuvre était répandu à l’époque, depuis Les Joueurs, de Régnard (1696), Beverley (1773), mélodrame anglais souvent joué en Russie, et, surtout, Trente ans ou la vie d’un joueur de Ducange et Dunod (1828). Mais il faut probablement rechercher la véritable origine de la pièce dans La Dame de pique de Pouchkine.

La première des Joueurs eut lieu à Moscou le 5 février 1843 (avec Hyménée) : Chtchepkine interprétait le rôle de Outechitelny et Prov Sadovski celui de Zamoukhrychkine. A Saint-Pétersbourg, la première de la pièce eut lieu le 26 avril 1843, avec Sosnitski, Martynov et Karatyguine, mais le spectacle n’eut pas de succès. Le célèbre critique Biélinski l’expliqua ainsi :

 " Cette œuvre, de par sa profonde vérité, sa conception créatrice, (…) par sa maîtrise dans son ensemble et dans les détails, ne pouvait avoir aucun sens et aucun intérêt pour la grande partie du public du théâtre Alexandrinski. " 

Biélinski,  " Le théâtre russe à Pétersbourg " (1843)

En effet, les spectateurs de ce théâtre étaient habitués au ballet et à l’opéra d’un côté, au mélodrame et au vaudeville de l’autre. Et on sait bien qu’à sa création en 1836, la pièce Le Révizor elle-même avait rencontré une certaine hostilité…