Occuper la place du Roi, qui a disparu peut-être une bonne fois pour toutes… C’est ce qu’on a proposé à un homme ordinaire, sans mémoire, qui était de passage, justement parce qu’il n’y tient pas et qu’il peut repartir du jour au lendemain.
Si provisoire, transparente, inutile que soit sa présence, elle limite les tentations offertes à n’importe qui, ou quoi, d’usurper un pouvoir vacant. On lui en est reconnaissant, mais personne ne le retient, même pas les trois femmes, Hamma, Lia et Ella, si attentionnées, qui l’entourent, puisque l’unique raison qu’il ait de jouir de cette place, sa seule légitimité est ce qui le pousse à la quitter et partir en quête de la sienne.
Sa principale activité est d’entendre avec le Ministre, les rapports, requêtes et récits des diverses contrées du Royaume, de la bouche des Messagers, qui, eux, paraissent tous — ou toutes ? — étrangement semblables. Toujours prêt à reprendre sa route, bien qu’il en ignore le sens, il a du moins choisi par où il s’en ira : une poterne discrète, où il se rend souvent et rencontre Iorel, préposé à la garde et l’entretien du lieu.
Partira-t-il ou non ? Toute l’histoire est là, émaillée de toutes les histoires arrivant par les Messagers, y compris celle qu’ils ne disent pas : la leur. Histoires dans l’histoire qui pourrait, à ce compte-là, ne jamais prendre fin. En serait-on encore aux 1001 nuits, dont l’héroïne repousse autant qu’elle peut la fin ? Ou à Fin de partie dont les anti-héros subissent un vieux monde qui n’en finit pas de finir ? Où en est-on ? Dans le temps suspendu par l’imagination, c’est le moment de se poser simplement la question, et le théâtre, c’est le lieu familier et aventureux, où rejouer au jeu des énigmes, retrouver, à défaut de réponses, la conscience d’être encore étonnés, curieux, innocents …
Alain Enjary
17, rue René Boulanger 75010 Paris