Perlimplin : parmi toutes ses pièces, Lorca l’avait confié à un journaliste, c’était celle qu’il préférait.
Sans doute la plus gracieuse, la plus équilibrée entre fantaisie et tension dramatique, entre légèreté et gravité, entre bouffonnerie et tragédie. Sensible et grotesque à la fois. Avec un parfum surréaliste dans le décor et les costumes. Une fraîcheur de ton sur un canevas pourtant conventionnel : un vieux épouse une jeune. Perlimplin, célibataire endurci, materné par sa servante Marcolfe, reçoit de sa mère mourante l’injonction de se marier. Il obtempère, abandonnant à regret ses livres et il tombe alors vraiment amoureux ! « C’est maintenant que je vis ! Mais maintenant que je vis, c’est là que je sais ce que c’est que mourir. » Joyeuse et funeste déclaration que j’ai pris la liberté d’emprunter à Augusto, autre célibataire transi d’amour du roman de Miguel de Unamuno, Brouillard (Niebla), ouvrage que Lorca ne peut pas ne pas avoir lu avant d’écrire son Perlimplin.
Et d’où sort-il, ce Perlimplin ? D’une estampe populaire, sorte de bande dessinée d’une page que des colporteurs, des aveugles distribuaient au coin des rues ou lors d’une corrida les jours de fête. Ces images d’Epinal racontaient de façon très primaire la vie d’un personnage. Lorca s’en empare… et en fait toute autre chose. Il conduit doucement, avec compassion et ironie, son héros et le spectateur vers la tragédie. On s’éloigne alors du personnage conventionnel à gros nez et à perruque 18ème. Perlimplin, l’homme-enfant, est « transcendé par l’amour » (comme disent, moqueurs, les deux lutins de la pièce). Homme enfin dans sa tête -en découvrant la femme- sinon dans son corps. Sorte de Cyrano qui favorise l’amour de son épouse Bélise pour un autre, lequel pourrait bien n’être que lui-même.
Certes, on le sait, Federico Garcia Lorca est mort tragiquement, mais il a intensément vécu ses 38 années. Alors, encouragés par les confidences de son ami Buñuel, affirmons, écartant tout pathos, que la fantaisie de sa pièce renvoie à sa propre fantaisie, sa joie d’homme et d’artiste, son goût du bonheur d’imaginer et de vivre (même si là encore, comme dans le reste de son œuvre, la mort pointe. Elle se manifeste d’ailleurs de façon comique au début de la pièce). Donnons-nous la liberté que nous offre Lorca (c’est la raison pour laquelle nous avons intégré dans notre nouvelle traduction/adaptation des scènes des premières versions de la pièce imaginées par l’auteur et totalement bouffonnes). Tenez, imaginons par exemple Perlimplin déguisé en chef sioux, imaginons qu’il aime les indiens et leur folklore comme don Quichotte aime les romans de chevalerie (la forte source d’inspiration qu’a été pour nous, metteur en scène, costumière et scénographe, l’exposition Indiens des Plaines au musée du quai Branly d’avril à juillet 2014). Pourquoi pas ? Et ne feignons pas d’ignorer que l’esprit de fantaisie dans lequel, comme Lorca, nous voulons nous abandonner, risque de renforcer par contraste un final tragique. A moins que, par une dernière pirouette, nous ne fassions un pied de nez à la mort ?… Nous verrons.
Hervé Petit
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