En faisant délibérément d¹un personnage anormal le centre de sa pièce, ce sont bien les normes du bonheur et de la jouissance autorisés que questionne Lukas Bärfuss, sans provocation, mais avec une objectivité et une acuité cliniques qui n¹excluent pas une bonne dose d'humour pince-sans-rire.
Le texte du spectacle, dans la traduction de Bruno Bayen, est à paraître aux Editions de l’Arche.
Peut-être le titre, il refroidit. Mais lisez-le de manière ironique, lisez-le comme un titre de Swift, comme la « Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays... ». Les névroses sexuelles de nos parents ne sont pas une charge qu’on porterait sur les épaules... C’est plutôt ce qui les désigne, eux, dans cette grande époque de restauration qui est la nôtre. Ce qui les désigne donc du point de vue de l’enfant, jeune fille au sortir de l’adolescence, le personnage central de la pièce, laquelle a, comme on dit, « une fêlure aux étages supérieurs ».
On décide de lui supprimer tous ses médicaments. Elle travaille dans un petit stand de fruits et légumes à la gare. Elle a une histoire - érotique - avec un revendeur de parfums, une sorte de faussaire... très attaché à « l’odor di femmina » que chante Don Juan.
A partir de là, il lui arrive tout un tas de problèmes, parce que tout est libre, mais rien n’est libre, ça raconte très bien notre époque : celle qui a commencé il y a 25 ans par un immense coït télépathique entre la Dame de fer et le cardinal polonais, d’où est sorti un singe qui a contaminé la terre entière, et maintenant plus l’Afrique que l’Europe.
Evidemment tout le monde est innocent. Tout le monde veut le bien. Il s’agit de montrer que les parents aussi sont innocents. Seulement l’innocence a deux faces : on veut le bien, on a une enfant anormale, et on va aussi faire une petite partie échangiste de l’autre côté du lac. L’autre face, c’est Dora - ne pas chercher à propos de ce prénom une quelconque référence à Freud, il n’y en pas - Dora, la jeune fille, comme une sorte de Perceval ne posera jamais aucune question. Dans son écriture, Barfüss ignore délibérément le point d’interrogation. Dora qui avance, droit devant, pourrait être nommée Perceval 37°9, l’enfant fiévreux - mais on appellera le médecin demain....
Elle est tout à la fois dans une sorte de fébrilité et d’innocence. Les visages des parents, de tous ceux qui l’entourent, sont dévoilés par elle, qui subira un avortement, finalement on lui retire ses organes sexuels, finalement elle deviendra une femme moderne. Je pense aux Palmiers sauvages de Faulkner, livre qui commence par un avortement, où à propos de l’acte d’amour il est dit à peu près le peu que nous pourrons jamais connaître l’un de l’autre...
Bruno Bayen
Propos recueillis lors de la présentation de la saison 2005-2006 du Théâtre de Gennevilliers
"Pas de doutes possibles : on tient avec le suisse allemand Bärfuss un écrivain qui fera parler de lui. (...) La cruauté de la pièce ferait songer à Fassbinder si Bruno Bayen n’avait eu la lumineuse idée de confier le rôle de Dora à Clotilde Hesme, qui en fait un être rayonnant d’impulsive innocence. Grâce à elle, mais aussi à Pierre Louis-Calixte, qui interprète son ambivalent amant, le metteur en scène (dont les spectacles sont souvent exagérément désincarnés) tient, cette fois, remarquablement le cap." Télérama, 19 avril 2006
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