Au lycée, une jeune fille surdouée est l’objet de toutes les jalousies, de toutes les rumeurs. Son inadaptation est criante et son regard insupportable : elle a des yeux vairons ! Insidieusement, on lui reproche sa différence et peu à peu la curiosité cède la place à l’ostracisme. Elle est rejetée par le groupe, on l’accuse de tous les maux, on lui prête des pouvoirs surnaturels, on la traite de sorcière… Anna est en danger, ses parents sont impuissants. C’est une vétille qui va mettre le feu aux poudres et transformer cette histoire en tragédie.
Troisième volet d’un projet commencé en 2005 par la création de La Peau Dure d’après le roman de Raymond Guérin. Ce texte qui porte la parole de trois femmes dans les années d’après-guerre nous avait conduit sur les chemins de la mémoire, à l’aube où les conditions de vies et les droits de la femme devaient peu à peu s’améliorer. A l’issue de ce spectacle, des témoignages ont été recueillis auprès de la population féminine de plusieurs régions. Dans un premier temps, ils ont fait l’objet de lectures publiques sous le titre Paroles de Femmes en 2006/2007 à la Scène conventionnée Les Bambous de St Benoît à l’Ile de la Réunion, à l’Equinoxe Scène Nationale de Châteauroux, au Théâtre de Corbeil-Essonnes, et au Théâtre Le Nickelà Rambouillet.
Puis dans un deuxième temps sur la saison 2007/2008, j’ai choisi d’adapter et de réécrire pour le théâtre les témoignages qui abordaient les violences diverses faites aux femmes sous le titre : Eve, ma sœur Eve, ne vois-tu rien venir ? ou Les légendes ordinaires. J’ai demandé à Luc Tartar dont l’univers théâtral me semble proche du mien et qui a suivi par ailleurs les étapes de mon travail, d’écrire une pièce.
Luc Tartar a été plus particulièrement sensible au témoignage d’une jeune fille de 16 ans qui était présenté dans mon dernier spectacle. A partir de l’adolescence confrontée à une société parfois cruelle, je demande à Luc Tartar d’aborder à travers cette pièce plusieurs thématiques sur les « non-dits », « les frustrations », « l’intolérance », « la différence »et les violences physiques ou psychologiques qui en découlent.
Yamina Hachemi, metteur en scène
Qui sont les sorcières du XXIème siècle ? Question lancinante qui va m’accompagner sur le chemin de l’écriture. Depuis longtemps me taraude le désir d’interroger théâtralement ce retour à l’ordre moral et à l’obscurantisme qui caractérise notre entrée dans le XXIème siècle. Aujourd’hui encore, celui ou celle qui ne s’inscrit pas dans la norme, qui manifeste une indépendance d’esprit et revendique sa liberté, se fait violemment prendre à partie.
Ceux-là sont souvent rabaissés par le groupe, par la masse, quand ils ne sont pas mutilés, défigurés ou brûlés vifs. Les exemples ne manquent pas, d’ici ou d’ailleurs... Comme nous tous, mais plus fortement encore, les adolescents sont confrontés à cette violence au quotidien. Grandir, c’est se construire, c’est-à-dire choisir son camp : se noyer dans la masse ou cultiver sa différence.
Luc Tartar, auteur
Un conte cruel. L’univers de la pièce par la violence qui s’en dégage, mais qui n’est jamais montrée, conduit la mise en scène sur les chemins d’un conte cruel contemporain. La mise en scène s’attache à faire surgir du réel le fantastique qui sous-tend le récit, ainsi que l’humour libérateur qui fait irruption dans le drame.
Les yeux d’Anna nous interrogent sur l’into¬lérance, la différence des êtres, des sexes et les violences physiques ou psychologiques qui en découlent.
Tous les personnages de la pièce sont confrontés à la brutalité de notre société. Les non-dits, les frustrations, les peurs s’accumulent, les plongeant dans un tourbillon de questions sans réponse. Les monologues (les apartés) surgissent au creux des dialogues pour dévoiler une vérité, des interrogations, des rêves ou des angoisses. Les personnages en sortent plus humains face à un monde absurde et barbare qui se dérobe à leur compréhension.
La scénographie s’articulera autour de deux espaces. Un espace fait pour accueillir une sociabilité bourgeoise : l’appartement des Tombe, le cocon familial. Un salon avec canapé, table basse, appliques, papier peint… Et puis il y a cette porte derrièrelaquelle Anna s’est enfermée…
Le deuxième espace, l’extérieur avec tous ses dangers et ses fantasmes. Cet univers se transforme grâce à des bascules de lumière en univers onirique et maléfique révélant la familière étrangeté des êtres et des choses.
Une architecture permettant aux murs de l’appartement de s’ouvrir sur d’autres espaces mettra en scène l’espace domes¬tique tout en proposant en arrière plan des visions venant en contrepoints dramaturgiques de l’ailleurs.
Yamina Hachemi
Je m’aventure dans un théâtre qui n’est ni réaliste, ni psychologique. Je plonge mes personnages dans un univers décalé dans lequel les repères se dérobent. Je travaille sur le cauchemar, sur le surgissement dans le quotidien du burlesque et de l’innommable, c’est à dire de la poésie et de l’émotion. C’est un théâtre de la déglingue, tour à tour lapidaire et hémorragique, dédale de cris et de fous rires, dans lequel circule une urgence absolue, celle de dire ce monde d’aujourd’hui qui nous échappe en même temps qu’il nous traverse de part en part.
Luc Tartar
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris