« Avec Un été à Osage County (qui reste la pièce la plus récompensée de toute l’histoire du théâtre américain), nous avions laissé Tracy Letts en plein centre des Etats-Unis, dans une maison isolée de l’Oklahoma où une grande famille pathologique réglait ses comptes sur trois étages et autant de générations.
Avec Linda Vista, l’auteur nous transporte tout à fait ailleurs. Linda Vista, c’est un quartier de San Diego, une agglomération de plus de trois millions d’habitants tout au sud de la Côte Ouest, à deux pas de la frontière mexicaine. Le contraste avec Osage County est donc absolu, et la distribution ne fait que l’accentuer. La pièce précédente convoquait une bonne douzaine de personnages dans un huis clos campagnard de quelques jours ; celle-ci se contente de sept rôles pour dérouler son intrigue urbaine sur quelques mois.
Et tous ces rôles gravitent autour d’une figure centrale : Wheeler, qui est sans doute l’une des plus grandes créations de l’auteur, et un formidable défi lancé à l’interprète.
Wheeler est américain. Il a cinquante ans. C’est un homme, blanc, qui a fait des études. Il n’a pas vraiment vécu les Sixties, mais il en garde un souvenir idéalisé. Il s’en sert pour juger les temps actuels, souvent pour les condamner. Il a l’air de se trouver cool. Mais il n’a sans doute pas vu bouger certaines lignes. Et parmi elles, une ligne majeure : celle qui définit la place des femmes dans notre société. Celle, donc, qui fixe ou qui devrait fixer les rapports entre genres. Une ligne que Wheeler, à sa manière, franchit plus souvent qu’à son tour…
Wheeler vit dans un présent qui est en train de basculer. Linda Vista est l’histoire de cette bascule, racontée en deux actes et deux rencontres. Celles de Wheeler avec deux femmes : d’abord Jules, l’étrangement nommée, « coach de vie » trop positive et sympathique pour son propre bien, et Minnie, forme tout à fait moderne et inattendue de femme fatale, qui exerce trop de métiers pour en avoir un seul…
Wheeler est présent dans toutes les scènes sans exception. Cela n’a l’air de rien. C’est un très grand rôle. Mais la pièce n’est pas que l’extraordinaire portrait d’un individu échoué en pleine présidence Trump, elle témoigne aussi d’une époque et d’une situation.
Tracy Letts a écrit sa pièce avant l’affaire Weinstein. Je la relis après le scandale et ses répercussions. Une fois encore, je n’en reviens pas de voir avec quelle finesse le dramaturge a su prendre le pouls de nos interrogations.
Wheeler vient de divorcer, à la suite d’un adultère. Il ne semble pas si pressé de rencontrer d’autres femmes, mais ne dit pas non quand Paul, son plus vieux copain, lui propose de lui présenter quelqu’un. Au magasin, quand Michael, son patron, lui fait part de ses fantasmes glauques comme le font certains «hommes entre eux», Wheeler a tendance à le laisser dire. Après le boulot, quand il sort boire un verre, il est du genre à draguer en liant conversation avec sa voisine de comptoir.
Wheeler, qui se croyait lucide, découvre qu’il fermait les yeux. Deux chocs vont les lui ouvrir. Il percute deux murs : celui de l’âge et celui de sa relation aux femmes. Il s’ensuit un désastre assez grotesque, mais très instructif…
J’oubliais : tout cela est aussi très drôle. Et sans en avoir l’air, Letts parvient à rendre compte, très concrètement, à la fois de l’état d’un homme et de celui de son pays. Seuls les très grands auteurs parviennent à couvrir un tel registre avec une telle simplicité. Après Un été à Osage County, je suis très heureux de contribuer encore à le faire connaître dans les pays francophones, grâce aux superbes traductions de Daniel Loayza, car il parle de nous et de notre temps.
Bienvenue donc à Linda Vista ! »
Dominique Pitoiset, février 2018
très bonne pièce; mise en scène parfaitement adaptée et fluide
Pour 1 Notes
très bonne pièce; mise en scène parfaitement adaptée et fluide
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