Il est probable que je ne me serais jamais intéressée à la figure de Médée, telle que nous l'a transmise la tradition depuis Euripide, d'une épouse délaissée qui décide de se venger de son mari en tuant les deux enfants qu'elle a eus de lui, si il n'y avait pas eu celle de Müller.
La version que propose Heiner Müller du mythe de Médée porte en elle toute la tradition, mais sa concision a l'efficacité d'un choc dont l'onde rayonne longtemps après les mots. En condensant toutes les variantes du mythe, il réduit effectivement la fable à son simple squelette et nous place de façon radicale devant ce qui, à mon avis, fascine et questionne aujourd'hui : l'énergie de révolte qui habite Médée et dans le même temps l'effroi devant sa force de destruction vengeresse. Médée-Matériau offre d'une certaine manière le pire de la vie, je voudrais que le spectacle puisse en donner également le meilleur.
Le texte de Heiner Müller est le fil conducteur du spectacle mais le spectacle dépasse la stricte mise en scène du texte : on joue à jouer Médée-Matériau. Il y a donc des arrêts dans la représentation du texte qui permettent des interventions directes au public ou entre les comédiens et d'introduire du jeu qui ne soit pas l'action de la pièce. La tentative est de mêler à la couleur de Médée-Matériau, plutôt noire, d'autres couleurs pour atteindre la complexité contradictoire d'un regard sur le monde.
Le texte, comme son nom l'indique, est dans cette optique utilisé comme un matériau dont la mise en forme permet de confronter le tragique au grotesque et à la légèreté. Le rêve est de trouver une forme qui permette de donner à voir le monde à travers les mots d'Heiner Müller et en même temps les notes d'un tango ou le rire déclenché par le clown. Parvenir à un mélange d'une grave légèreté pour le plaisir du public.
Sophie Rousseau
Pièce traduite par Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger.
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris