Deux dramolets
Les personnages de Walser
Ce que la parole fait la parole peut le défaire
Se sentir petit
Le spectacle est issu de deux dramolets (petites situations théâtrales) : L’Étang, traduction Gilbert Musy (Éditions Zoé) et Blanche-Neige, traduction Claude Mouchard et Hans Hartje (Éditions José Corti)
Vois ce soleil,
mais c’est un
soleil qui gèle
et qui rend malheureux
Nous nous déplaçons de L’Étang, où le réel ne peut être assumé, partagé que transcendé et enchanté, à Blanche-Neige où la Reine, Blanche-Neige, Le Prince, le Chasseur et le Roi, saisis à leur sortie du conte, n’ont de cesse de s’extirper du Livre dont ils sont issus alors que Fritz, le jeune héros de L’Étang, va lui, s’y perdre. Le couple qu’il forme avec sa mère, à l’instar du couple Blanche-Neige - la Reine, est un couple foutu.
Les deux pièces sont reliées par un inter acte ; temps de la métamorphose, lieu d’hallucinations.
Ce sont les personnages de l’Étang qui s’engouffrent follement dans Blanche-Neige, quitte à changer de Langue : sauter de la prose à l’octosyllabe. L’Homme dans L’Étang est un personnage inventé. Figure du contrepoint. Il est ici chez lui, il écoute, regarde. Nous voyons et entendons à travers lui. Il est à part. Il pourrait être le double lessivé de Fritz.
D’où viennent les personnages de Walser ? De la nuit, là où elle est la plus noire, d’une nuit vénitienne, faiblement éclairée des lampions de l’espoir, l’éclat des fêtes dans les yeux, mais égarés et tristes à pleurer. Ce qu’ils pleurent, c’est de la prose. Car le sanglot est la mélodie du bavardage de Walser.
Ils viennent de la folie, de nulle autre part. Ce sont des personnages qui ont passé par la folie et c’est pourquoi ils restent d’une superficialité aussi déchirante, inhumaine, inébranlable. Si l’on veut nommer d’un mot ce qu’ils ont de réjouissant et de terrible à la fois, on peut dire : ils sont tous guéris...
Walter Benjamin
Être quelque part, avoir oublié quelque chose, être là-dedans, être hors de soi ; le moi et le lieu fondent L’Étang. Le vertige est la substance de Blanche-Neige ; fond et forme sont indissociables. L’abîme est ici le sujet incarné tour à tour par la Reine, Blanche-Neige, le Chasseur et le Prince.
Nous y sommes.
Mais où sommes nous ?
Pascaline Ponti
Pour Walser, la modestie est un art, un stade de raffinement d’autant plus fort qu’il est facilement méconnu. Obéir est facile et renvoie nécessairement à la nostalgie de l’enfance, comme si le temps n’existait pas et que rien ne changeait jamais. Walser fera une esthétique de cette volonté de se sentir petit et la transformera en nouvelle éthique. Il se réjouira toujours « d’être aussi ordinaire ».
Catherine Sauvat in Robert Walser
Sa personne toute entière n’était qu’un coin de mouchoir, un appendice superflu, un nœud serré tout provisoire. Robert Walser in Le commis.
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