" Je suis celui à qui les lettres obscures disent : Écris et tu seras ! Lis et tu trouveras !"
Hymne à la vie
Extraits
Notes d’intention
Un Théâtre
La presse
Figure primordiale de la littérature palestinienne, défenseur de son peuple et de la paix, Mahmoud Darwich écrit Murale entre la vie et la mort. Hymne à la vie et la la joie, ce dialogue au plus intime inscrit le destin d’un monde moderne où l’espoir garde une place.
Murale est édité chez Actes-Sud, collection « Mondes arabes », 2003, traduction Elias Sanbar.
(...) Et je veux vivre....
J'ai à faire à bord du navire.
Non pour préserver l’oiseau de notre faim
Ou du mal de mer,
Mais pour voir de près le déluge.
Et après ? Que feront les rescapés de la terre ancienne ?
Reprendront-ils le récit ? Qu’est le commencement ?
Qu’est l’épilogue ?
Aucun mort n’est revenu nous dire
La vérité…
O mort attends-moi à l’extérieur de la terre,
Attends-moi dans tes contrées, le temps que j’achève
Une conversation passagère avec ce qui reste de ma vie
À proximité de la tente.
Attends que j’achève la lecture de Tarafa ibn al-‘Abd.
Les existentialistes me séduisent
Qui puisent dans chaque instant
Liberté, justice et vin des dieux…
Alors ô mort, attends que j’achève
Les préparatifs des funérailles dans le printemps fragile où je suis né,
Où j’interdirai aux orateurs
De répéter ce qu’ils ont déjà dit
De la patrie triste et de l’obstination des figuiers et des oliviers
Face au temps et à ses armées.
Murale, Arles, Actes-Sud, « Mondes arabes », p. 25.
Mahmoud Darwich écrit Murale après une longue hospitalisation due à une maladie du cœur qui a failli lui coûter la vie. Dans ce voyage entre vie et mort, on traverse les thèmes de la terre et de la langue, l'Orient sémitique, le Moyen Âge occidental, les odes arabes du désert, les muallaqat, ces dix poèmes d’avant l’Islam dont on raconte qu'ils ornaient le mur de la Kaaba à La Mecque, la Divine Comédie… et le café du matin offert par la mère du poète, qui nous rappelle ainsi que la vie a un goût.
Murale est un hymne à la vie.
Murale est une œuvre universelle puisque Darwich y fait le tour de force de convoquer les formes les plus subtiles de la poésie arabe antéislamique, dont la quasida, qui est l’ancêtre de cette poésie. C’est pour cela que c’est une Murale, allusion aux Muallaqat (littéralement « les accrochés ») qui représentaient les formes poétiques les plus nobles. En faisant sa muallaqat, Darwich se positionne comme le plus grand poète arabe, réussissant à nous livrer une langue érudite à laquelle nous avons directement accès par la force du poème et par l’humour oriental empreint de fatalisme.
Murale est donc aussi un voyage dans le mouvement de la langue.
Croyant qu’il allait perdre sa langue, le poète à son réveil écrit un texte dans lequel celle-ci est une partenaire au même titre que la mort. C’est pour cela que le théâtre peut être mobilisé. Cet « entre vie et mort » ressemble étrangement au théâtre, et le voyage accompli par le poète nous rappelle celui que le comédien entreprend à chaque représentation.
Comme si Murale en entrant au théâtre en prenait totalement possession, y résonnait tant que son écho en devient perpétuel.
Et le comédien semble alors piégé dans une représentation sans fin.
Murale est aussi un texte sur le théâtre.
Murale est une leçon de théâtre sur l’importance et la vanité du geste théâtral. Parce que c’est vain, c’est important. La fin du poème dit : « Toute chose sur terre est éphémère », le temps est zéro, tout revient à sa place, mais rien n’est jamais pareil. C’est un homme qui se retrouve seul dans un entre-deux, délesté de tout ce qui est culpabilité. C’est aussi le comédien prisonnier de cet univers comme d’une représentation qui ne peut jamais finir, et qui toujours recommence, après qu’auteur et public s’en sont allés. Une parole qui continue dans le théâtre clos, comme un être qui veille. Dans sa tentative de faire la traversée, Darwich nous indique que le seul chemin vers le poème, vers le théâtre, vers l’art, vers nous-même, ce serait la vie elle-même, simplement, une pomme qu’on croque, une respiration, une sensation - n’importe - la vie. Et c’est cela que fête Murale.
Et dans ce mouvement s’inscrit le destin d’un monde moderne où l’espoir garde une place dans la chute. Murale, en étant un dialogue intime, au plus intime, prend une puissante dimension politique.
La langue d'un des grands poètes du siècle, le plus grand poète arabe du XXe siècle est un théâtre. Langue multiple aux sonorités intenses (que la complexité du français permet de rendre très clairement dans la traduction d'Elias Sanbar), aux images sensuelles et tangibles, le poème est chair et corps au sens premier. Mahmoud Darwich écrit pour être entendu plus que pour être lu, puisque ces formes ancestrales étaient proférées et que lui-même n'hésite pas à monter à la tribune pour donner son écriture.
La théâtralité de cette langue devient immédiate, mais outre la capacité d'adresse, c'est le thème lui-même qui fait sens de théâtre. Le poète, face à son propre tête-à-tête avec la mort, nous propose un parcours épique du monde qui le constitue. Ce parcours, sautant d'une image l'autre, d'une époque l'autre, fonctionnant comme des éclairs successifs séparés par le fameux : « un jour, je serai ce que je veux », ce parcours, emmène le lecteur spectateur au centre d'un univers qui se construit sous ses yeux. Et c'est à cet endroit que la théâtralité prend tout son sens : dans une épopée intime et à priori testamentaire, donc tournée vers le passé, se dessine de manière précise un discours véritable de l'immédiateté, du présent de l'être en vie, du regard sur son propre trajet. Cela fonde un théâtre dont l'intimité est une vastitude, dont la parole emporte dans un univers qui appelle le théâtre.
C'est donc un texte inouï sur la mort et sur la muse, où un poète nous livre, à travers une épopée dans sa propre histoire, une précieuse parole d'espoir sur le thème fondamental de la vie. N'est-ce pas là, dans sa belle et simple nudité, l'ambition de tout poème ? N'est-ce pas alors un texte sur la poésie même ? Quand on l'interroge, le poète dit : « Déjà, ce premier récit de l'humanité qu'est l'épopée de Gilgamesh se concluait sur la vanité de la vie face à la mort. Vanité des vanités que chante l'Ecclésiaste. Et pourtant, nous ne pouvons pas commencer notre vie en pensant que tout est vain sinon nous manquons notre première rencontre avec elle. On apprend au bébé à marcher, même si nous savons qu'il va vers la tombe. » Et il ajoute : « Après ce poème, j'ai différé mon rendez-vous avec la mort. Depuis, je me pose des questions importantes comme : quel livre puis-je encore lire Comment est le soleil aujourd'hui ? Quel vêtement vais-je emporter en voyage ? »
C'est à cet endroit que se lit le projet théâtral, mettre sur le plateau cette vanité qui est une beauté, et monter ce texte comme une vanité « théâtrale », comme la peinture a connu ses vanités. Et au poète de surenchérir quand, le rencontrant, on lui demande de travailler sur un texte de théâtre que l'on voudrait monter, il répond avec la simplicité d'un enfant : « Il n'y a qu'à monter Murale ». Je le prends au pied de la lettre.
Sur scène deux acteurs, le poète, la mort, l’infirmière, la muse, la langue, ainsi qu’un violoncelle. La musique tisse le rapport intime du poète et de sa langue. Le création musicale se fonde sur les enregistrements d’acteurs moyen orientaux, déclamant le texte en arabe.
Wissam Arbache
« Les écrit du poète palestinien Mahmoud Darwich nous éblouissent par leur façon de faire entendre une vérité étale. C’est-à-dire jamais linéaire, limitée à une idée, à un slogan, mais ramassant dans ses mots une pensée riche de plusieurs bonheurs et de diverses sensations. (…) Très grand interprète à la voix entêtante et à la démarche pressée, Barbin (…) dit les poèmes d’une voix qui les caresse, accélère parfois la cadence, saute sur le lit, étreint sa partenaire - Hala Omran, qui incarne (avec flamme) un double féminin de Darwich ainsi que la femme aimée - ou mène avec elle un dialogue franco-arabe où les mêmes textes se répondent dans les deux langues. Au regard des modes qui sont aujourd’hui à l’intériorité extrême, cela peut paraître effrontément théâtral. Mais l’on aime cet envol hors des modes. » Gilles Costaz, Politis,du 1er au 6 nov. 2007
« A la Maison de la Poésie, l'acteur français Jean-Damien Barbin et l'actrice syrienne interprètent "Murale" un grand poème de Mahmoud Darwich écrit en 1998 alors que, sur un lit d'hôpital, il était entre la vie et la mort. Loin de tout pathos, mais non sans humour, il tutoie la camarde ("O mort, attends que je fasse ma valise"), dialogue avec son infirmière et reste poète jusqu'au bout : "Le réel n'est que l'imaginaire confirmé", observe-t-il obstinément. » Jean-Pierre Thibaudat, Rue89, 11 oct 2007
« Marmoud Darwich, à travers la vision d’un homme et de sa mort, livre une réflexion sur la mort à la manière de Khalil Gibran. La puissance et la spiritualité de cette fable en font un texte majeur de la scène arabe actuelle. (…) Servie par un Jean-Damien Barbin transcendé et donc transcendant, Murale nous place avec une douce énergie au coeur des méandres d’une âme torturée, hantée par les démons d’une vie tourmentée. Déclamant en français, il est accompagné par Hala Omran qui, en arabe, traduit et contredit parfois ses dires. Et peu à peu, le langage se détache de la primauté habituelle du sens pour n'être plus qu'un son. Cette musique évoluera même jusqu'à devenir une expérience sensorielle dans laquelle la langue, quelle qu'elle soit, peut se passer de compréhension. Elle devient alors, par ses sonorités et ses intentions justement déclamées, un vecteur de communication des plus puissants.(…) » Simon Murin, 23 oct 2007
« La prestation remarquable de Jean-Damien Barbin embrasse Murale avec talent et sensibilité. La conscience, enfin éclairée, s'ouvre sur l'immanence du monde. Le lâcher prise et, simultanément, l'attachement organique à la réalité tangible de la vie nourrit cette célébration des instants éphémères et éternels, comme célébrer la beauté de la fleur d'amandier au printemps, qui font de toute vie un bref voyage transmué en épopée de la condition humaine dont il faut savourer chaque instant comme une merveille pour n'en garder aucun regret. » Martine Piazzon, Froggydelight, 22 oct 2007
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