Nina, c’est autre chose

du 28 mai au 27 juin 2009
1 h 40

Nina, c’est autre chose

Un trio d’acteurs attachants impeccablement mis en scène par Guillaume Lévêque donne à cette comédie de Michel Vinaver une légèreté et une vitalité réjouissantes.

Théâtre de chambre
Pièce en douze morceaux

  • Théâtre de chambre

Dissident, il va sans dire et Nina, c’est autre chose, deux pièces écrites en 1976, ont été publiées sous le titre Théâtre de chambre à L’Arche Éditeur en 1978. « Théâtre de chambre comme il y a une musique de chambre, où la matière se constitue à partir du jeu ensemble d’un petit nombre de voix, de thèmes. Accords et dissonances. Répétitions et variations. » Michel Vinaver.

Leur mère est morte et ils habitent ensemble, deux frères, quarante ans passés, célibataires, une vie réglée. Sébastien, qui travaille dans une usine, est passionné par la comparaison entre les différentes nationalités, Charles ouvrier coiffeur est moins profond, ils s’entendent bien, ça pourrait continuer comme ça. Mais Charles introduit de force Nina, sa petite amie, dans leur vie commune. Celle-ci se met à craquer. Mais sans se défaire. Au contraire la vie ne cesse, à partir de là, de se faire, puisqu’il y a maintenant les contradictions, les tensions, un incessant éclatement.

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  • Pièce en douze morceaux

La pièce, écrit Vinaver, est une chronique. Du temps ainsi saisi quoi dire de mieux qu’il passe ! Riche en surface de toutes les variations possibles mais pauvre en indications réellement directives.

La chronique n’est pas l’histoire : elle n’a pas son surplomb et le systématisme ou même la causalité lui manque. De fait : ni exemplaire, ni arbitraire. Résistante, réfractaire, elle ne se laisse pas piéger d’un mot puisqu’il en faut au moins deux et comme pour les thèmes, les motifs et les répliques, l’écriture, ici – et du même coup, avec elle, lesmultiples éléments de la représentation – consiste dans le maintien exigeant de l’entrelacs et de son corrélat : l’égalité contre toute prédominance. Abolition des privilèges.

À l’oeuvre donc et dans l’écriture seule, deux forces d’apparence contradictoire : prolifération irrésistible des motifs de la vie courante dans le chaos dynamique et aveugle de leurs incessants télescopages et, venue d’on ne sait quel ressort dissimulé, cette nécessité pourtant – au risque de l’inertie – d’un ordonnancement, d’une configuration qui, sans contourner les pertes que le temps fait subir, pourrait permettre, en quelque sorte, de s’y (re)trouver.

Croc-en-jambe permanent à qui voudrait s’en sortir par un discours général a priori orienté ; maigre et torturant espoir pour qui se sait englué dans l’informe. Il faudra bien s’y résoudre, la clé est dans l’acceptation des autres, de soi, du « réel ». Le tout âprement conquis (et pourquoi pas initiatique) : il en faut plus qu’il n’y paraît pour passer d’une ouverture en rôti de veau (aux épinards) à un final en merguez purée (en sachet instantané, bien sûr). Ni plus ni moins peut-être qu’une révolution – le mot est de Nina elle-même. Il est ironique. Ou pas. Le risque est toujours grand, dans cet art de faire et de défaire, de s’emmêler tous les pinceaux ou mieux encore les cheveux puisque la souris – c’est ainsi qu’elle se désigne – est shampouineuse.

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Chronique d’un temps court et on ne peut plus défini : une année. Des semailles aux semailles (en passant par la moisson, les vendanges et la tonte) aurait dit Hésiode pour décrire son calendrier rural qui fait la moitié de ses travaux et de ses jours ; titre que Vinaver, évidemment notre contemporain, reprendra à la lettre pour sa pièce suivante. Un an seulement. C’est dire que le temps qui précède l’année soixante-seize est pour les deux frères quarante fois plus important (moitié moins pour Nina) que celui de nos douze morceaux ; quand à celui qui s’ouvre pour eux trois, une fois les morceaux digérés, il est – statistiquement au moins – tout aussi imposant.

Modestie ou, là encore, acceptation du propos fragmenté : cette chronique est de nature intermittente (comme se qualifie aussi, à ce qu’on dit, le coeur). Et pourtant, de secousses en secousses (les véritables séismes, à ce qu’on croit, sont toujours à l’autre bout de la terre), d’incidents en accidents, se forment et se déforment – par effet de langage – les corps et les esprits, leur inertie et leur motricité, jusqu’à l’équilibre inévitablement précaire d’un partage où chacun reconnaît en l’autre le bienfait de leur rencontre.

L’idée est somme toute banale qui voit le devenir comme essence unique. Mais d’où peut bien venir alors, a contrario de la logique, ce refus – celui de l’objecteur ou de l’objectrice, figure d’abord romanesque, qui ne cesse dans toute l’oeuvre de déposer son grain – de clamer un élégiaque ou mélancolique c’est la vie, de chantonner ça s’en va et ça revient ou ainsi font font font ; ou encore, plus radicalement, de passer, sans mot dire, l’arme à gauche ? Pourquoi la chronique accorde tant au passé des deux frères, au poids de cette mère morte, et si peu à cette autre chose (Nina ou Tahar, l’Algérien soupçonné sans preuve mais licencié par l’aîné) qui est comme posée là sans que place soit faite ? L’arrivée est bien le premier titre de son apparition : à peine entrée et pourtant déjà au bout. L’espace est maigre et manque (mais, après tout, le manque aussi, pour sûr, est un début). Y aurait-il dans ce déséquilibre, cette faille, matière à douter d’une réussite ?

Injustice quand tu nous tiens… La chronique n’est pas toujours rose et les blessures, d’abord internes, remonteront au grand jour. L’aîné sera cogné au sang, le cadet cognera son rival. L’un consolidera ses arrières pendant que l’autre s’en ira au bistro.

Verre à moitié vide ou verre à moitié plein : que l’on se perde à force d’en vouloir ou que l’on se dissolve, c’est du pareil au même. Nina, pendant ce temps, essayera comme elle peut de panser et de devenir. Sans préméditation ni assurance. Avec elle, toujours, l’accident bascule dans l’évidence du vivant. Voilà sa force.

Étrange pièce qui dans le tissu du commun en raconte – il me semble – autant qu’un mythe et je ne fus pas tout à fait surpris, en lisant Hésiode, de tomber sur celui de Pandora – cette Ève qui n’est pas Ève mais qui vient d’aussi loin – aux prises (les hasards, même si peut-être ils n’en sont pas, sont toujours bons à prendre) et entre les mains de deux frères ô combien différents mais à ce point attachés l’un à l’autre que leurs noms même sonnent presque à l’identique : Prométhée et Épiméthée. Les voici en tout cas après l’arrachement des tentures, l’ouverture d’une fenêtre ou pourquoi pas d’une jarre, en proie – mais le pire n’est pas toujours sûr – aux maux de l’existence.

Quoi qu’il en soit du mythe et du reste – et c’est bien à cela qu’il nous faudra travailler d’arrache-pied –, en lisant Nina, c’est autre chose me reviennent toujours en mémoire des scènes de Laurel et Hardy mais aussi des mots de Jaccottet dans l’avertissement écrit pour sa traduction de l’Odyssée : Il y aura eu d’abord pour nous comme une fraîcheur d’eau au creux de lamain. Après quoi on est libre de commenter à l’infini, si l’on veut.

Lorsque j’en fis part à Vinaver, il ne me répondit que sur Laurel et Hardy : ce qui est juste dans cette référence, me dit-il, c’est celle faite au sérieux des burlesques américains.

Tout est dit et par l’auteur. À nous de le rendre dans la durée le plus évidemment perceptible et sensible.

Guillaume Lévêque, mars 2009

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Spectacle terminé depuis le samedi 27 juin 2009

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