« Une société, une cité, une civilisation qui renonce à sa part d’imprévu, à sa marge, à ses atermoiements, à ses hésitations, à sa désinvolture, qui ne renonce jamais, ne serait-ce qu’un instant, à produire sans réfléchir, une société qui ne sourit plus, ne serait-ce qu’à peine, malgré le malheur et le désarroi, de ses propres inquiétudes et de ses solitudes, cette société-là est une société qui se contente d’elle même, qui se livre toute entière à la contemplation morbide et orgueilleuse de sa propre image, à la contemplation immobile de sa mensongère propre image. Elle nie ses erreurs, sa laideur et ses échecs, elle se les cache, elle se croit belle et parfaite, elle se ment. Désormais avare et mesquine, la tête vide, les économies d’imagination faites, elle disparaît et s’engloutit. » Jean-Luc Lagarce
Une fable-farce d’où l’émotion affleure
Jean-Luc Lagarce ou l’impertinente légèreté
Une écriture visionnaire
Une distance toute théâtrale
Le travail d’acteur
La composition musicale
La scénographie
Les musiciens
« C’est un privilège, un privilège… et tout le monde ne fait pas partie de la Noce ! » Noce, Monologue de l’Enfant
Il y a cinq personnages : L’Enfant, La Dame, La Femme, Le Monsieur et L’Homme…
Il y a une Noce grandiose, dans une luxueuse propriété loin de la ville, difficile d’accès et gardée par la police ou des
domestiques…
Il y a la farouche détermination à participer au banquet, à trouver sa place à la table des convives. C’est un dur combat pour être parmi les élus, pour avoir le droit de participer à cette fête…
Surtout lorsque l’on n’est pas invité !
Alors il y a l’attente, la quête, la ruse. Et puis vient l’impatience…
Alors s’en suit la révolte et la prise du pouvoir. On pille, on tue, on rie, on s’enivre de ses nouveaux privilèges…
On reconstruit un nouveau monde… On en célèbre le premier mariage… Et puis viendra le temps de l’éternel recommencement.
Par la Cie Engrenage Théâtre.
Pièce publiée aux Editions Les Solitaires Intempestifs.
« On me demande toujours : « D’où ça vient ? Comment est venu l’idée ? C’est une drôle d’idée, quand l’avez vous eue ? » Je ne sais pas. Aucune idée, ou pas envie de savoir. Ou jamais su, possible, probable. Et pas très envie de savoir, ça ne fait que traverser, ce n’est rien ! » Jean-Luc Lagarce
Lire le théâtre de Jean-Luc Lagarce c’est entrer dans une écriture qui bouscule les repères établis jusqu’à lors. On est d’abord désemparé devant cette façon de repousser les limites d’une dramaturgie. La simplicité apparente des moyens s’avère rapidement être d’une richesse et d’une densité rare. Avec une provocante légèreté il se livre à une analyse profondément juste des relations entre les êtres et des sentiments qui fondent nos rapports sociaux et affectifs.
Dans Noce, la première confusion vient du trouble institué avec la temporalité théâtrale. L’écriture, limpide et directe, est constituée du récit de l’action et de l’action elle même. L’auteur brouille les pistes et crée une distorsion temporelle de la représentation. Nous sommes aux prises avec un présent vécu et un passé ressassé qui nous mène à cette sensation trouble d’un temps arrêté, suspendu, une statique déconstruction.
Les personnages au travers de l’action, semblent être dans une attente éternelle, quasi « beckettienne ». Ils véhiculent une mémoire, sont prêt à tout pour se construire un présent mais sont devant leur avenir comme au bord d’un gouffre. Ils sont comme sur un fil tendu entre deux néants. De cette vision quelque peu désespéré de l’Homme contemporain, Jean-Luc Lagarce tire une œuvre puissante qui tient de la farce truculente et de l’absurde de Ionesco.
« Accepter de se regarder soi pour regarder le Monde, ne pas s’éloigner, se poser là au beau milieu de l’espace et du temps, oser chercher dans son esprit, les traces de tous les autres hommes, admettre de les voir, prendre dans sa vie les deux ou trois infimes lueurs de vie de toutes les autres vies, accepter de connaître, au risque de détruire ses propres certitudes, chercher et refuser pourtant de trouver et aller démuni, dans le risque de l’incompréhension, dans le danger du quolibet ou de l’insulte, aller démuni, marcher sans inquiétude et dire ce refus de l’inquiétude, comme premier engagement. » Jean-Luc Lagarce
Jean-Luc Lagarce jette un regard acéré sur les turbulences d’une fin de siècle qui met à bas les valeurs fondatrices de nos sociétés. Il en grossit le trait avec un sens subtil de la distance qui engendre toute la force et la théâtralité de son œuvre.
Avec son impertinente légèreté, il nous conte la fable éternelle de la quête du pouvoir. Il le fait au regard de la société d’aujourd’hui qui dans sa perpétuelle fuite en avant, confond dans une lente implosion les valeurs démocratiques et économiques. Dans une écriture visionnaire et sarcastique, il nous conte la fin d’un système d’organisation sociale basé sur une conscience citoyenne.
Le citoyen, rétrogradé au rang de consommateur et rivé à sa logique consumériste ne trouve son salut que dans cette place au banquet. Son aspiration à y participer n’a d’égal que la terrible nécessité d’être.
Pour trouver sa place au banquet collectif, tout est bon et semble justifié devant l’injustice flagrante que représente l’exclusion du plus grand nombre à cette cérémonie de la consommation. Pour y parvenir on usera du mensonge, de la ruse, du pillage et même de la révolution et de la prise du pouvoir.
Celle ci ne consistera qu’à s’emparer des symboles, les biens et les objets changent de propriétaire. C’est l’ivresse de cet instant où, englués dans leurs certitudes qu’ils croient nouvelles, sans regard sur l’histoire et sans imaginer l’histoire future, les personnages de Noce, faux vainqueurs, instituent à leur tour le mensonge et la tricherie.
Sans regard sur eux mêmes, ces hommes et ces femmes perpétuent l’histoire des prises de pouvoir et sont aveugles à la force inerte qu’ils mettent en place. Dans la béatitude de ces temps nouveaux, si longtemps et si profondément recherchés, ils reconstruisent un monde qui ne pourra qu’engendrer les mêmes maux et les mêmes exclusions. C’est à une profonde réflexion sur nos capacités à réinventer un autre processus de relation sociale, une nouvelle idée de la démocratie que nous convie l’auteur.
Noce fut écrite en 1982.
« De quel droit encore oser venir inventer quelque luxe et vouloir le partager, et laisser quelque place au beau, à l’inutile, à l’incertain ? Comment oser prétendre à la fragilité face à l’ordre, d’où qu’il vienne, de trouver sa place et s’y tenir et n’en plus bouger ? Au nom de quel mandat, de quelle force, prétendre à l’insouciance, et rire encore et oser sourire sans nier pourtant la réflexion la plus secrète, la plus obscure, la construction d’un questionnement et son absence de réponse ? Comment aller son chemin dans l’amusement inefficace de l’enfance, son étonnement et son indestructible mauvaise volonté ? » Jean -Luc Lagarce
Le travail d’acteur
Nous travaillerons les personnages dans une oscillation. Un jeu volontairement décalé, une silhouette dessinée dans ses moindres mouvements, un visage maquillé de blanc donneront à voir ces entités émotionnelles. Dans une distance toute théâtrale les personnages nous joueront la terrible histoire de leur lente et irrésistible ascension.
Ils portent dans leurs bagages les désillusions et les espoirs de toute une humanité. Jean-Luc Lagarce les dépeint à la limite du grotesque et d’une immense tendresse.
Ces femmes et ces hommes s’agitent avec une désespérance qui dans l’excès devient comique, jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que l’on rit de nous mêmes…
Le registre de jeu résolument expressionniste servira une forme théâtrale où les corps et leurs mouvements, les voix, la musique, se conjugueront pour donner une image exacerbée et poétique de cette quête de l’existence.
Au delà de toute psychologie, ces femmes et ces hommes seront les marionnettes d’une grande farce jubilatoire et émouvante sur le monde d’aujourd’hui.
La composition musicale
Lors de nôtre dernière création, Cendres de Cailloux de D. Danis, nous nous sommes attachés à une recherche fondée sur la rencontre de l’univers poétique d’un auteur et d’une composition musicale contemporaine jouée en direct.
Sont alors apparues des réponses possibles pour aborder les particularités d’un texte, sa charge émotionnelle, ses rythmes dramaturgiques.
Sur scène, deux musiciens semblent être des « rescapés » de la noce. Un contrebassiste et une violoniste rythment le spectacle et le récit de cette folle journée. D’abord figés à l’entrée, ils reprennent vie au fur et à mesure que l’histoire se reconstitue.
Ils sont à la fois l’écho dramaturgique de la fable et les accompagnateurs de cette noce qui n’en finit plus de s’éteindre et de renaître. Ils semblent être et avoir été et créent par leur musique cette relation trouble au temps théâtral.
La scénographie
« En pénétrant dans la maison, par le coté qui donnait sur ce coin jardin, nous nous trouvâmes très vite près de la table. Elle venait de loin, de la pièce à notre gauche… une immense salle à manger, luxueuse et superbe et déjà pleine de gens très bien habillés… »
Monologue de l’Enfant
Dans cette propriété, la table de noce circule de pièce en pièce, interminable et tentaculaire. C’est un labyrinthe qu’il faut parcourir en déjouant les pièges, les impasses. Le désir des personnages est d’arriver au plus près des mariés. Ils veulent trouver une place à cette nouvelle « sainte table ».
Nous retenons cette table labyrinthe à parcourir… Elle devient le lieu de la théâtralisation du récit, elle devient piste de danse, couloir interminable, radeau de survie. Les personnages arpentent cette table comme une scène et comme le moyen de se mettre en scène.
Il y a un espace, où se rencontrent plusieurs chemins. Certains viennent des coulisses d’autres repartent et deviennent des impasses. Sur une sorte d’avancée qui pourrait être une piste de danse se trouvent les musiciens.
L’ensemble a été préparé pour la Noce : couverts,…. bougeoirs. Le tout semble inerte, comme une vie en attente. Ce n’est pas un lieu de mort, mais un lieu d’absence de vie spirituelle. Des marionnettes / personnages sont là figées, gisantes et attablées autour du repas nuptial. Le cycle de la vie va se remettre en mouvement.
Au fond, un cyclo / tulle permet de jouer par transparence sur l’image du prolongement de cette table qui s’éloigne à l’infini. Le blanc et des gris colorés sont les tonalités dominantes.
René Albold
« A oser chercher sans fin dans notre propre histoire, avec dureté et avec dérision, aussi, en nous moquant de nous-mêmes et en respectant nos qualités, sans tricherie aucune, sans l’orgueil de la modestie, sans l’apitoiement de nos erreurs, notre si émouvante et innocente jeunesse, nous pouvons construire le monde, y prétendre, aller à la recherche douloureuse de notre souvenir, se blesser peut-être, ou se décevoir encore et casser nos miroirs et mettre à bas nos plus solides monuments, nos bonnes fondations, perdre le respect, revoir nos admirations, mais construire notre monde, oser parler et affirmer et proférer encore, et marcher sur la scène et entrer dans la lumière et demander qu’on se taise et qu’on écoute. »
Jean-Luc Lagarce
Perre Feyler et Françoise Perrin dirigent depuis 1987, l’ensemble Sonata Concert qui s’est donné pour but de créer un répertoire contemporain. Ils passent commande à des compositeurs, tout en abordant les grands classiques dans des pièces arrangées spécialement pour eux.
Ces musiciens ont étudié avec les plus grands maîtres actuels en France et à l’étranger et abordent l’ensemble du répertoire dans diverses formations de chambres ou orchestres. Ils ont été sélectionnés plusieurs saisons par les Jeunesses Musicales de France pour des tournées.
Ils ont joué au Canada, au Japon, en Russie, en Moldavie, en Suisse, en Allemagne. Entre les commandes à des compositeurs et leurs propres compositions, le répertoire que Pierre Feyler et Françoise Perrin ont ainsi créé, comporte plus de trente œuvres dont plusieurs enregistrées.
Perre Feyler est contrebassiste et compositeur. Françoise Perrin est violoniste, titulaire à l’Orchestre Philharmonique de Radio France.
78, rue du Charolais 75012 Paris