Dans Nord-Est, Torsten Buchsteiner met en scène la prise d'otage qui s’est produite en 2002 dans un théâtre à Moscou. 42 terroristes furent tués et 129 otages périrent asphyxiés par le gaz.
La pièce est construite autour de trois monologues de veuves : une rebelle tchétchène participant à la prise d'otage, une veuve russe, médecin, attendant à l'extérieur du théâtre sa fille prisonnière à l’intérieur et une femme russe, venue avec sa famille voir la comédie musicale Nord-Est qui se jouait ce jour-là.
Au début de ce texte, il n’y a que trois monologues solitaires, trois voix indépendantes, qui finissent par se croiser et s'entremêler à mesure que la tragédie avance. Le ton volontairement documentaire de ce texte d’une intensité inouïe parvient à questionner un réel complexe en évitant les écueils compassionnels et en oscillant constamment entre distanciation et reconstitution. Le résultat est une réflexion théâtrale sur le terrorisme éloignée de tout sensationnalisme, car intense, crue et intime.
À la fin, les trois femmes restent ensemble dans la salle, plongée dans leurs réflexions. D’une certaine façon, chacune est victime (chacune a perdu son mari à cause de la guerre en Tchétchénie) mais chacune est aussi coupable. Notamment la spectatrice se rend compte que son aveuglement, son manque d’intérêt car « la Tchétchénie c’est si loin » la rend tout aussi coupable.
La dernière phrase de la pièce est caractéristique : « J’éprouve une de ces haines pour les Tchétchènes et même pour leurs enfants. Mais si je me mets à leur place, j’arrive presque à les comprendre. Et là, tout à coup, je ressens de la pitié. Si je n’avais perdu que mon mari, mais aussi Maïa et Lioudmila, autrement dit toute ma famille, là je ferais sans doute pareil. Je me serais sans doute attaché une bombe sur le ventre et je me serais fait sauter... »
La tragédie est là. Et les réponses simples sont loin. Mais il faut les trouver.
Le terrorisme au centre
D’un travail documentaire rigoureux, Torsten Buchsteiner fait jaillir une pièce d’une grande force poétique. Nord-Est est l’une des rares pièces qui mette le terrorisme actuel au centre de la dramaturgie en évitant les clichés et simplifications souvent imposées par les médias.
Des possibilités dramatiques uniques
Le lieu de l’action, le lieu du crime : un théâtre. Fidèles à l’écriture de Nord-Est, nous avons opté pour une approche aussi simple qu’inattendue. Les trois actrices entrent dans la salle avec le public mais pour ces trois personnages ce n’est pas un théâtre parisien mais la salle du théâtre de Moscou, le lieu de la prise d’otage. Sur scène, se trouvent que quelques éléments d’un décor abandonné. Dernière réminiscence de la comédie musicale Nord-Est ; symbole de la confrontation entre un monde de pur divertissement et la violence de la réalité matérialisée par les preneurs d’otages.
Ici, il n’y a pas de décor qui crée l’illusion d’un lieu. Ici le théâtre est un lieu concret : le lieu du crime. Les émotions sont vives pour ces trois veuves qui retrouvent un lieu où chacune a perdu une grande partie de sa vie : un simple siège devient l’endroit où le mari était assis quand sa femme l’a vu pour la dernière fois etc. Les souvenirs des personnages et leur histoire, dont elles vont témoigner, peuplent cet espace. Tout l’espace du théâtre sera utilisé : du plateau au foyer du théâtre, des coulisses aux rangées de spectateurs. Le public est donc au centre de l'action, avec la sensation partagée par chaque spectateur d'être assis parmi le public du théâtre moscovite.
Une interprétation sincère
Une idée centrale de la mise en scène est la recherche d’un jeu d’une sincérité absolue : l’élimination de toutes « théâtralisation » pour aller à l’essentielle de la pièce. Le but sera que le spectateur n’a pas l’impression d’assister à une pièce de théâtre mais plutôt à un témoignage ou les témoins doivent supporter le choque provoqué par la rencontre avec le lieu de leurs traumatismes.
Nord-Est est une réflexion nuancée et intelligente sur le terrorisme. La pièce fait vivre les raisons qui conduisent à la violence, tout en montrant le caractère profondément injuste de l’acte terroriste, traité ici sur un pied d’égalité avec la violence d’état. Les victimes sont les mêmes : des gens ordinaires.
Andreas Westphalen
j'ai adoré. je recommande.
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