Nous y étions / Nous y sommes / Nous en sommes là

Un foisonnement intense et créatif
Des collectifs d’artistes émergents
Fragments d’Expériences - une cartographie de gestes possibles
Ça quand même

• Un foisonnement intense et créatif

Dans un foisonnement intense et créatif, SKITE et Sweet and Tender Collaborations réunissent une trentaine de jeunes artistes, performeurs, danseurs, vidéastes, musiciens, de toutes nationalités, pour deux jours de laboratoire de la jeune création. En écho, Ça quand même, pièce-manifeste créée en 2004 par Maguy Marin et Denis Mariotte interroge le sens de créer, de continuer encore et malgré tout. Deux propositions qui se répondent dans la même soirée, deux expériences à vivre l’une après l’autre.

Programme
18h : Fragments d’Expériences I
21h : Ça quand même
21h45 : Fragments d’Expériences II

• Des collectifs d’artistes émergents

Des gens arrivent sur scène et font quelque chose. D’autres regardent. Cela s’appelle un spectacle. Mais quel sens cela a-t-il de faire des spectacles, encore et toujours, de faire acte de présence sur et par la scène, de se donner à voir et de demander à d’autres de venir voir et éventuellement de payer pour regarder ? Quel type de communauté cela forme-t-il ? Quelle idée de la société peut-on en déduire ? Ces vieilles questions sont sans doute sans réponse,mais ça n’empêche pas qu’elles insistent. Et lameilleure façon de les affronter est probablement de les poser à nouveau.

D’un côté donc, Maguy Marin et Denis Mariotte, qui parcourent les scènes depuis une trentaine d’années, et qui ont fait de ces interrogations persistantes un spectacle, Ça quand même, où ils se tiennent debout face à la salle, inquietsmais tenaces, incertains de leurs droits ou de leur légitimité à être là, en représentation, mais là pourtant. À l’unisson, leurs deux voix ne cessent pas de dévoiler ce que leurs visages impassibles et grimés en clowns blancs s’efforcent de cacher : qu’être là, face à d’autres, est une angoisse interminable.

D’un autre côté, de jeunes artistes de tous pays et de toutes pratiques réunis dans deux projets – Sweet and Tender Collaborations qui est un réseau d’artistes et SKITE, un projet de résidence collective et expérimentale élaboré par Jean-Marc Adolphe. En proposant moins des spectacles que des esquisses, des ébauches, des fragments, des essais ; l’enjeu est de se libérer de ce que l’économie du système théâtral tend à imposer.

Comme l’observe Maguy Marin à plusieurs reprises, il est très tentant pour de jeunes artistes de correspondre à ce que les programmateurs demandent en fonction de ce que demande le public. C’est à cela, à cette normativité économique et esthétique, que ces collectifs d’artistes émergents cherchent à résister. Une résidence de travail organisée à Porto en 2008, des rendez-vous impromptus et protéiformes à travers le monde, leur donnent autant d’occasions de contourner le système établi : non plus avoir une idée, préparer un dossier, défendre un projet devant plusieurs commissions qui valideront ou non ledit projet, obtenir des moyens, pour enfin, à la fin, travailler sur un plateau et aboutir éventuellement à une création, mais se mettre directement et immédiatement au travail, et voir ce que ça donne, éventuellement des spectacles, éventuellement rien et parfois le tremblement de l’inattendu.

Haut de page

• Fragments d’Expériences - une cartographie de gestes possibles

Durant deux jours, le Théâtre de la Cité internationale restitue l’esprit d’un projet insolite qui s’est déroulé l’été 2008 à Porto, en invitant une trentaine d’artistes à poursuivre ces Fragments d’Expériences.

SKITE / Sweet & Tender Collaborations : sous cet intitulé, 35 artistes ont séjourné et travaillé pendant un mois lors de l’été 2007 à Performing Arts Forum, près de Reims ; un ancien couvent transformé par Jan Ritsema pour y accueillir des résidences d’artistes.

Un an plus tard, du 15 août au 20 septembre 2008, c’est à Porto que 45 jeunes artistes danseurs et performers, acteurs,musiciens, plasticiens, vidéastes, d’une vingtaine de nationalités différentes (de toute l’Europe, mais aussi d’Iran, d’Afrique du Sud, du Brésil, duMexique, d’Australie, de Corée du Sud, du Japon et des Etats-Unis), ont reconduit l’expérience. Ce fut unmois intense (plus de 45 « créations » y ont été élaborées), où la diversité des propositions, les croisements à l’oeuvre, les tentatives simplement ébauchées oumenées à terme ont dessiné une extraordinaire cartographie de gestes possibles.

Investissant toutes sortes de sites, des espaces de répétition du Teatro nacional São João (dont le chaleureux Mosteiro San Bento de Vitoria où Meg Stuart a repris, pour 26 performers, une performance qu’elle avait conçue lors de la première édition du SKITE en 1992) à des lieux plus alternatifs, en passant par des interventions urbaines dans la villemême de Porto, le SKITE / Sweet & Tender Collaborations Porto 2008 a déployé une formidable effervescence, qui se poursuit aujourd’hui dans unemultitude de projets à géométrie variable.

Il n’est bien sûr pas facile de restituer en deux jours un tel fourmillement. Et le SKITE reste incessamment un work-in-progress, où « faire oeuvre » compte davantage que « produire un spectacle » au strict sens du terme. Sa dissémination ne relève pas de l’habituelle diffusion. En réunissant une trentaine d’artistes, parmi ceux qui ont vécu et façonné l’expérience de Porto, les « Fragments d’Expériences » (performances, installations, vidéos, rencontres) qui sont présentés au Théâtre de la Cité internationale témoignent d’unmoment unique,mais qui deviendra peut-être, un jour, légendaire.

Jean-Marc Adolphe

Haut de page

• Ça quand même

Duo conçu et interprété par MaguyMarin et DenisMariotte
Durée : 30mn

« Après plus de 10 ans de travail en collaboration sur des pièces portées par des interprètes, nous avons ressenti le désir d’expérimenter seuls une recherche que nous avons l’habitude de partager avec d’autres. Il s’agit de poursuivre un entretien commencé, il y a bien longtemps et que nous voulons aujourd’hui prolonger enmettant en jeu nos propres corps sur le plateau, unemanière d’approfondir ce qui a été constitutif de notre démarche dans les créations passées, et qui, aujourd’hui se poursuit en continuant à nous questionnermutuellement de plus en plus intensément. S’interroger en aiguisant notre potentiel de dialogue, en déplaçant cette fois-ci le laboratoire à une échelle plus réduite afin d’examiner d’un peu plus près un processus. Se lancer dans un entretien à bâtons rompus sans cesse enmutations, contradictions et questionnements, de vive voix ou par tout autre moyen, hors des cadres d’un champ artistique spécifique. »

“Ça y est c’est parti on y va c’est là tout de suite immédiatement c’est maintenant /
c’est là dans ce présent ci /
dans ce présent que nous sommes tout de suite à l'instant d'aujourd'hui /
en cemoment précis que nous vivons là /
c’est là que tout doit être rendu enfin /
c’est déjà commencé /
on peut dire que c’est déjà commencé /
irrémédiablement engagé sans retour possible /
trop tard /
impossible de revenir /
d'arrêter /
c’est déjà ça qui a déjà commencé tout à l'heure il y a juste un instant passé qui se continue
dans ce présent /
nous y étions /
nous y sommes /
nous en sommes là /
...”
Maguy Marin et Denis Mariotte

MaguyMarin et Denis Mariotte appartiennent à une autre génération que les jeunes artistes de Sweet and Tender puisque, ancienne élève de Béjart,MaguyMarin a crée sa première compagnie en 1978 à Créteil. En 1998, elle déplace son CCN de Créteil à une autre banlieue, Rilleux-la-Pape,mais il lui faudra attendre 2006 avant de prendre possession de locaux définitifs où elle compte bien continuer de « défendre l’idée d’un pôle culturel collectif, ouvert à d’autres compagnies de danse et à d’autres disciplines artistiques. » Denis Mariotte quant à lui est musicien et compose, entre autres, les musiques des spectacles de Maguy Marin depuis 1990.

Et pourtant, malgré leur expérience de longue durée, lesmêmes questions se posent à eux qu’à la génération des Sweet and Tender. Ça quandmême est un duo qu’ils ont créé en 2004 et qui semble hanté par la peur ou aumoins l’inquiétude, une inquiétude sourde, aussi sourde que lamusique qui vrombit autour d’eux : qu’est-ce que faire encore du spectacle ? cela a-t-il un sens et lequel ? pourquoi demander
au public de venir nous voir ? A l’unisson, les voix de Marin et Mariotte disent un texte qui est la colonne vertébrale du spectacle et qui semble être le monologue intérieur d’une double conscience posée sur la scène : « nous y sommes, nous en sommes là. » Mais qu’est-ce qui justifie que nous soyons là justement, disent les voix ? que nous touchions un salaire ? que vous payiez un billet ? que vous ayiez fait garder vos enfants ? Comme satisfaire toutes les demandes ? celle du public, celle des programmateurs qui ne veulent pas qu’on effraie et fasse fuir leur public, celle de la critique. Comment au fond, et pourquoi, créer dans le système ?

À cette inquiétude, Maguy Marin et DenisMariotte n’ont qu’une seule chose à opposer : leur présence, leur corps, parfois démultipliés en silhouettes de carton grandeur nature. Ils sortent, entrent, s’habillent, se déshabillent, dans un minimalisme gestuel et un goût de l’accessoire qui annoncent la grande pièce à venir, Umwelt (2004). Ils se tiennent debout face à la salle, inquiets mais tenaces, incertains de leurs droits ou de leur légitimité mais ils sont là, juste là, ensemble, et le public avec eux.

Stéphane Bouquet

Haut de page