Des amateurs répètent Oncle Vania de Tchekhov. Tous sont ouvriers dans une même entreprise dont l’existence est menacée. Tchekhov raconte la fin d'un monde. Un autre monde semble s'achever aujourd’hui. Les répétitions de théâtre sont la chambre d'écho des bouleversements de la vraie vie.
Par la Compagnie des Camerluches. Distribution en alternance.
« Au Théâtre de Belleville à Paris, une pièce sur le théâtre et la vraie vie d’aujourd’hui avec du Tchekhov se ressourçant au fin fond du Limousin dans une usine menacée. De quoi vouloir être acteur de sa vie. » Force ouvrière
« Entremêlant intrigue sociale et réflexion sur le théâtre, le dramaturge, comédien et metteur en scène nous offre, avec sa belle troupe, une petite gourmandise, un théâtre populaire, fraternel et réjouissant, simple et profond. » Profession spectacle
« À l’unisson dans la choralité, la troupe des Camerluches porte haut, sans verser dans le naturalisme et distillant une émotion dépourvue de pathos condescendant comme de sensiblerie, cette belle aventure humaine. » Froggy's delight
Une petite ville du Limousin, aujourd’hui. Durant toute une année, des comédiens amateurs répètent Oncle Vania de Tchekhov. Tous les membres de la troupe – ouvriers, cadres - travaillent chez Dieuleveut, une entreprise de robinetterie, très anciennement implantée. La crise vient ébranler la vie de l’entreprise, jusqu’à en menacer son existence. Dès lors, faire du théâtre a-t-il encore un sens ? Est-ce un luxe inutile ou un indispensable combat pour la vie ?
Tchekhov raconte la fin d’un monde. Un autre monde semble s’achever en ce début de XXIe siècle. Les répétitions de théâtre deviennent la chambre d’écho des bouleversements de la vraie vie. Il est ici beaucoup question d’artisanat : de la difficulté d’apprendre un texte, des interrogations autour de ce texte, de la construction du décor, de la confection des costumes, mais aussi de « bidouille » humaine, c’est à dire des efforts, attentions, concessions nécessaires pour permettre au collectif de fabriquer un bel objet de théâtre.
Or, les membres de la troupe ne sont apparemment pas armés pour le faire. Ils n’ont pas l’habitude de prendre la parole. Ce sont des êtres ordinaires, parfois mesquins, et parfois magnifiques. Ils tâtonnent, essayent, se trompent. Pourtant, ils ont envie d’avancer ensemble. J’ai voulu raconter le plaisir lié à cette recherche, à la découverte de territoires intérieurs, au dépassement de soi. Et faire entendre une parole très intime au travers des questions que suscite la pièce de Tchekhov.
Oncle Vania fait les trois huit raconte une utopie. Monter Oncle Vania de Tchekhov, dans ce contexte de crise terrible que ces gens traversent, est une chose presque impossible. C’est pourtant ce qui les fait tenir debout. Nous vivons aujourd’hui une crise sociale, économique, identitaire, très grave. C’est le moment de revendiquer le droit à rêver.
« Si tu veux avancer droit, accroche ta charrue à une étoile », dit un proverbe sud-américain. C’est de cela que j’aimerais témoigner avec ce texte : les utopies sont sans cesse à reconstruire. L’idée de ce texte est née de mon expérience de direction de comédiens amateurs, au Théâtre de l’Est Parisien, à Bar-le-Duc, à Bussang… J’ai aimé vivre ces aventures, toujours émouvantes. Ces « non-professionnels » m’ont appris la curiosité, le courage, le respect de l’autre. Et une autre manière d’aimer le théâtre.
Jacques Hadjaje
Pourquoi avoir imaginé des comédiens amateurs répétant Oncle Vania d’A. Tchekhov ?
Jacques Hadjaje : D’une part, j’avais envie de raconter une histoire de lutte dans une usine, aujourd’hui. Mais je cherchais une façon décalée de parler de l’usine et de la condition ouvrière. D’autre part, toutes les fois où j’ai dirigé des amateurs, j’ai été touché par leur manière parfois maladroite mais toujours authentique, presque sans filtre, de se jeter dans la bagarre théâtrale. L’idée s’est donc imposée de tricoter ensemble les deux fils : le théâtre et l’usine. Les répétitions de théâtre servant de chambre d’écho aux bouleversements de la vraie vie.
En quoi Oncle Vania fait les trois huit raconte-t-il une utopie ?
J.H. : Il s’agit d’amateurs : jouer la comédie, ce n’est pas leur métier. Monter une pièce de Tchekhov, auteur réputé difficile, bavard, c’est, pour eux, mettre la barre très haut. Se lancer dans une telle aventure, dans un contexte de crise sociale explosive, ça relève de l’impossible. C’est pourtant ce qu’ils font. Pour aller au bout de leur rêve. Pour s’inventer des horizons nouveaux au moment où le sol se dérobe sous leurs pas. Et simplement pour tenir debout. Pour mériter d’être vivant. Les utopies sont sans cesse à réinventer.
Propos recueillis par Mathilde Bariller
Ce qui lie ces sept personnages, c’est un lieu : l’usine. Ils y travaillent depuis peu, ou depuis longtemps, en tant que cadres ou en tant qu’ouvriers, syndiqués ou pas… Ce qui les relie, c’est aussi un lieu : la salle de répétition. Ils vont y répéter, jouer ensemble. Le rideau de lamelles dessine une ligne entre ces deux espaces. La frontière est fine entre l’intérieur et l’extérieur, le « vrai monde » et le théâtre. Il y a ce que chacun laisse dehors, ou porte avec soi. Mais pour tous, une fois le rideau traversé, cet espace devient un abri où ils viennent faire du théâtre. Un espace vide... ou presque.
Au commencement du travail, nous cherchions comment représenter ce lieu de répétition qu’occupe la troupe amateure depuis plusieurs années. Un lieu attenant à l’usine, chargé de leur passé théâtral et qui progressivement se viderait, pour faire place à la fragilité de ce qu’ils vivent cette année-là. Puis nous avons imaginé le contraire. Partir d’un espace nu, suggérant un lieu impersonnel qui ne sert plus à l’usine, et que seuls des passionnés de théâtre pouvaient encore réinvestir. Un lieu qui se remplirait peu à peu d’accessoires, d’éléments de décor, marquant ainsi les étapes de répétitions, jusqu’à l’approche de leur date de représentation.
Dans ces deux cheminements de pensée, l’espace était marqué par le temps : le temps de leur existence en tant que troupe, le temps de la création de leur pièce. J’avais envie de tirer un autre fil, peut-être plus poétique, inspiré par l’écriture. Il m’est revenu une vieille histoire, incongrue, allez savoir pourquoi, du temps où ma mère nous mettait à disposition un espace chez elle pour nos répétitions. « Vous pouvez ranger votre monde », nous avait-elle dit un jour en désignant une malle fermée. Là où elle avait voulu dire « malle », elle avait dit « monde », c’était magnifique ! Notre monde tenait dans une malle.
Tout à coup je pouvais y projeter tous nos projets, nos rêves. Qu’elle soit vide ou pleine, cette malle contenait le chaos de toutes nos créations, comme la boîte dessinée par Saint-Exupéry pour y représenter le mouton idéal, tout était concentré dans cet espace imaginaire. Un vrai Big-Bang ! Dans cette « malle-monde-salle de répétition », l’espace sera vide… ou presque. Il y aura ce rideau perméable au chaos du monde. Et un espace vide qui donne la parole à sept personnages, animés de leur big-bang intérieur.
Anne Didon
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris