Où étais-tu pendant la nuit ?

Le texte
La représentation
Fragments

• Le texte

L'écriture de Clarice Lispector, née en 1920 alors que ses parents, juifs ukrainiens, prenaient le chemin de l'exil qui les conduirait au Brésil, m'accompagne depuis près de dix ans. Parmi l'ensemble de ses textes traduits aux éditions Des Femmes, j'ai choisi quatre nouvelles, l'extrait d'un livre, ainsi que des fragments (de liaison) issus de romans ou d'autres nouvelles.

Une femme est là, dans sa présence au monde, dédiée à la respiration et à l'écriture. Elle veille, accueille, scrute. Tout dans son écriture est relation. Relation avec. Avec l'autre : chose (chaise, miroir, lustre, maison), animal (chien, cheval, singe, blatte, poussin), fleur (rose surtout), enfant, femme, homme. Et la mer.

Elle disait : J'appartiens au Brésil. Il est là, dans son oeuvre. Elle a d'abord grandi dans le Nordeste, à Recife. Après la mort de la mère, le père s'est installé à Rio avec Clarice et ses soeurs aînées. Elle a vingt-quatre ans quand paraît son premier livre Près du coeur sauvage. Femme de diplomate, elle séjourne plusieurs années en Europe et aux Etats-Unis et puis rentre au Brésil où elle restera jusqu'à sa mort en 1977, la veille de son anniversaire.

Elle disait : Je suis dans le royaume de la parole. J'aimerais pouvoir répondre : je pénètre dans ce royaume et ouvre la porte de cette parole qui rencontre et traverse les couches multiples et subtiles de l'être avec soi-même, de l'être avec le monde. Etre avec l'autre, l'autre aimé, l'autre animal, l'autre corps, l'autre chose, l'instant suivant. Un cheminement dans la nuit vers l'obscurité de l'aube.

Ebranlement, dévoilement, légèreté. Peut-être le parfum d'une rose...

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• La représentation

Dans un espace abandonné, une fine poussière de salpêtre s'est déposée le long des murs. Une porte. Deux fenêtres. Une chaise. Une femme entre. Par étapes, elle avance vers les spectateurs jusqu'à être très très proche d'eux. Elle se dirige ensuite vers une fenêtre. Puis elle sort et referme la porte.

L'essentiel est que, dans ce lieu, dans cet instant de la représentation, elle puisse établir la plus grande intimité possible avec les personnes présentes. La lumière chemine, elle aussi, de la fin du jour à la nuit. Autre présence sensible. Ainsi se modifie la perception des choses vues et entendues.

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• Fragments

... C'est un peu l'histoire de quelqu'un qui est parti et qui n'est jamais revenu - c’est là que je vais.
Ou je n'y vais pas ? J'y vais oui...
... Oh, chien, qu'as-tu fait de ton âme ? Est-elle à l'orée de ton corps ?
Moi je suis à l'orée de mon corps. Et lentement je dépéris...
... Qui peut avoir inventé la chaise ? Quelqu'un qui avait de l'amour pour lui-même. Il inventa donc un plus grand confort pour son corps...
... Nous ne parlons jamais de ce qui compte réellement. Parler de ce qui compte réellement est considéré comme une gaffe...
... Nous avons souri en public de ce dont nous ne sourions pas quand nous sommes seuls...
... Que suis-je en train de dire ? Je dis l'amour. Et c'est à l'orée de l'amour que nous sommes...

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