Les anciens appelaient ça une maladie, ils avaient peut-être raison. Pour le bonheur, il ne vaut mieux pas éprouver cette passion là.
Eux deux ne savent rien du bonheur, ils ne savent que l'impérieuse puissance qui les pousse l'un vers l'autre. Ils se jettent dans les corps l'un de l'autre, et c'est sous peine de mort, et tant pis, et tant mieux. Ils ne savent pas le danger. Ils ne savent pas qu'ils vont en mourir parce que c'est une affaire entendue et que ça n'a pas beaucoup d'importance d'en mourir. Ils ne savent rien. Pas tout à fait, ils sauront très bien se tuer.
La célèbre tragédie, réécrite par mes soins, quoique largement inspirée, comme on dit, se déroulera dans une arène sombre, comme il convient à ceux qui doivent mourir avec certitude. Les mots ne sont plus tout à fait ceux de Shakespeare, l'histoire, oui, avec sa féroce détermination à ce que l'amour fasse la guerre à la guerre. Et la perde.
C'est une tragédie très violente. Le coup de foudre est violent, leur désir est violent, l'oubli de tout ce qui n'est pas eux, ce qui les précède, ce qui s'en suivra, est violent. Et cette impérieuse âpreté qui caractérise leur passion va très violemment se cogner aux murs de haines d'une ville en guerre, où des snipers règlent leurs comptes, où ce n'est pas le moment de trahir son clan. Et, justement, leurs clans, ils s'en foutent.
C'est sûr, ils vont mourir.
Jean-Michel Rabeux
D'après Roméo et Juliette de Shakespeare.
Dans votre traversée de l’oeuvre de Shakespeare vous vous intéressez aujourd’hui à Roméo et Juliette en imaginant une véritable adaptation de l’oeuvre originale....
Oui il s’agit d’une vraie réécriture et c’est pour cela que j’ai commencé par changer le titre de la pièce devenu R. & J. Tragedy. Il ne s’agit pas de faire le malin avec Shakespeare mais d’imaginer à partir de la pièce du grand William une autre façon de raconter cette histoire d’amour. Comme il est dit dans la pièce : « mon nom n’est pas Roméo », c’est à dire je ne suis pas mon nom. Les deux enfants se débarrassent de leur appartenance sociale à un clan familial et à partir de là ils veulent se dégager de la guerre qui mine ces clans. Ils s’aiment archaïquement et on rejoint le conte puisqu’ils s’aiment comme des enfants fous d’amour.
En quoi consiste votre adaptation ?
Notre spectacle ne durera qu’une heure trente. Il y aura des coupes et des rajouts de texte. Je respecte la fable à travers trois ou quatre grandes scènes centrales, celle du meurtre de Tybalt par Roméo, celle du rossignol, celle du balcon, celle du poison et de la fausse mort... Il y a donc Shakespeare mais il y aussi une oeuvre nouvelle. Shakespeare lui-même n’a pas inventé cette fable, il l’a emprunté à d’autres auteurs et en a fait son oeuvre. J’ai donc imaginé ma version de cette fable, une version contemporaine. Je ne veux pas que le public pense que c’est une version scénique nouvelle de l’oeuvre mais qu’il s’agit d’une oeuvre nouvelle qui ne renie pas ses origines. Je respecte son « esprit » je ne respecte pas sa « lettre » et donc ce serait malhonnête de faire croire que je mets en scène Roméo et Juliette. J’ai donc rajouté des textes de moi et j’ai situé la pièce dans un aujourd’hui pas réaliste mais un aujourd’hui de rêve, comme celui des contes. Je ne veux pas socialiser le spectacle en référence à des faits divers contemporains.
Vous dites que ces enfants en s’aimant refusent la guerre...
Oui je déteste la guerre, je hais les penseurs de la guerre, je hais les nécessités politiques qui entraînent parfois les guerres, les guerres civiles, les guerres sociales. Je hais les violences entre clans, quelque soient ces clans, ce peut être le clan des hommes contre le clan des femmes, le clans des hétéros contre le clan des gays, le clans de quartiers contre le clan des centres villes... etc., etc., etc. .... Cela je l’exècre et je reprends à mon compte cette maxime des soixante-huitards, que j’ai été et dont j’assume totalement l’héritage : « faites l’amour pas la guerre ».... Je voudrais faire passer la violence qui règne dans les rues de Vérone et dont témoigne Shakespeare. Le sang coule dans ces rues. Et faire passer ce coup de foudre inexplicable, imaginaire, mystérieux, physiologique et bouleversant qui est à la fois plus fort et plus faible que cette violence.
Il y a aussi un refus du pouvoir des pères qui dominent les familles ?
Bien sûr. Et j’ai gardé d’ailleurs la scène du père qui tue sa fille en l’obligeant à simuler sa mort. Le rôle du père est plus important dans ma version que dans celle de Shakespeare. Il a un monologue de déploration venu de celui du Roi Lear. La violence des pères est une violence sociale, ce sont des tueurs et pas seulement des tueurs d’amour. Mais ils peuvent aussi être des pères aimant prisonniers de leur statut social...
Vous avez retraduit le texte ?
Oui, j’ai retraduit les parties venues directement du texte original. Mais en fait il y aura relativement peu de texte, de Shakespeare ou de moi, peut-être trois quart d’heure sur une heure et demie de spectacle. Il y aura beaucoup de moments très physiques, les corps seront très présents. En ce qui concerne la langue, il ne s’agit pas de descendre la qualité de la langue au niveau du trottoir, il s’agit d’attirer l’imaginaire du spectateur vers une qualité de langue qui ouvre à la complexité humaine. On nettoie les jeux de langages qui aujourd’hui n’ont plus guère de sens mais on ne simplifie pas.
La part importante que vous semblez donner à la présence physique des acteurs vous a-t-elle amené à envisager un dispositif scénique original ?
Oui, car j’ai été assez impressionné en voyant une reconstitution du Théâtre du Globe de Londres, où le public était très proche des acteurs. J’ai donc imaginé un dispositif où les acteurs seront au centre d’une sorte d’arène occupée par le public, sorte d’aéropage de citoyens. Je crois que la distance la plus grande entre les spectateurs les plus éloignés et les acteurs sera de 6 mètres et les plus près seront à 60 centimètres. On ne pourra pas échapper à ce qui sera dit et joué.
Propos recueillis par Jean-François Perrier, juin 2012
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