L’histoire d’un homme de retour dans son pays d’origine pour occuper le poste de Nouveau Gouverneur. Il est attendu par le pouvoir déjà en place, sa famille et ceux qui l’ont connu bien plus tôt, du temps de son enfance. Les personnages de Jean-Luc Lagarce, tels des équilibristes de la parole, se livrent à des numéros parfois périlleux afin de s’attacher les faveurs du nouveau pouvoir, de rester en place, ou tout simplement de se comprendre.
Le texte de la pièce est publié aux Éd. Les solitaires intempestifs.
Par la compagnie L'équipe de nuit. Ce spectacle a reçu le soutien de la commision dramatique de l’Adami en novembre 2006.
Après avoir abordé le sujet de la famille dans Juste la fin du monde, je poursuis mon travail sur l’oeuvre de Jean-Luc Lagarce avec cette pièce où il est encore question d’un retour à ses origines. Un retour après une absence prolongée, inexpliquée, inexplicable. Un retour parmi les siens, non pas pour « annoncer sa mort prochaine » comme dans la précédente pièce, mais pour reprendre sa place, sa fonction, son pouvoir, sa charge, comme un « droit du sang ». Tout le monde s’agite alors et justifie sa présence, ses actes, comme pour s’excuser d’agissements douteux, ou s’assurer les faveurs du pouvoir. La parole est à nouveau sollicitée pour comprendre et résoudre.
Ce qui m’intéresse dans ce texte, c’est le positionnement social qui vient s’ajouter à celui de la famille, avec tous les comportements et manifestations qui en découlent : jeu de pouvoir, de déstabilisation. Tout le monde se regarde et se juge, réfléchit à « la place de l’autre » et à la sienne. Avoir notre place dans la société après notre place parmi les nôtres (la famille) est à mon sens la deuxième obligation de tout être humain. C’est en réfléchissant à cette notion de « rôle » que je vois dans Retour à la citadelle une métaphore de l’emploi au théâtre. Comme souvent chez Jean-Luc Lagarce, le théâtre est à nouveau convoqué, dénoncé, pour s’interroger sur nos comportements, nos vies, et faire de la scène le monde.
De cette nécessité de la prise de parole naît le grotesque de nos comportements. L’essentiel reste muet (Le père), ou
peu bavard comme Le nouveau Gouverneur. Vient s’ajouter ensuite l’improbabilité du lieu.
Le travail de la scénographie, du décor, de la lumière, des costumes et de la musique iront chercher cette dimension
grotesque/clownesque dans les arts du cirque. À ce titre, les personnages ne font-ils pas aussi figures d’équilibristes
et de jongleurs de la parole ? Une très petite piste de cirque au centre du plateau sera le lieu dangereux ou drôle où les personnages viendront « faire leur numéro ».
Au même titre qu’à travers Louis dans Juste la fin du monde, une double temporalité est induite par Le Nouveau Gouverneur : sommes-nous dans l’instant présent ou dans le souvenir passé ? Ce personnage central, vers qui se portent tous les soins et les discours, orchestre une fois de plus le déroulement de la pièce : il en sera le Monsieur Loyal, parfois isolé de la représentation, parfois totalement impliqué.
De cette manière, mon désir est de « déplacer » cette histoire en ne se bornant pas uniquement à y voir une réflexion sur le colonialisme ou la vie politique en général (même si c’est bien en grande partie de cela dont il s’agit). Comme j’aspire à le faire dans mon travail, nous n’irons pas vers une parole formelle : il s’agira non pas « d’annoncer le poème », mais de faire entendre par le choix d’une « parole triviale », la Grande Comédie Humaine.
Jean-Charles Mouveaux
37, rue Volta 75003 Paris