« Je suis bien résolu à me faire scélérat»
Une fresque politique et sanglante
Mêlant le sublime et le grotesque, la tragédie Richard III met à nu cette grande machine qu’est l’histoire et l’agissement politique des hommes à la fin de la guerre des deux roses. Malfaisant et difforme, Richard, Duc de Gloucester, annonce dès l’ouverture de la pièce, sa volonté absolue de se venger de la nature et d’accéder au pouvoir en supprimant tous les obstacles qui s’y opposent. Au-delà du bien et du mal, doté d’une intelligence machiavélique redoutable et en profitant de la veulerie et de l’opportunisme d’autrui, Richard parvient à accéder au trône en usant de tous les stratagèmes, tel une araignée tissant sa toile.
Angela Konrad
Traduction de Jean-Michel Deprats.
Avant que d’être poignardé par Richard dans sa geôle, Henri VI prophétise les souffrances du royaume sous la tyrannie d’un être marqué par le destin pour faire pleurer l’Angleterre :
La chouette hulula à ta naissance - signe funeste ;
La corneille de nuit cria, annonçant des temps de malheur ;
Les chiens hurlèrent, et d’affreuses tornades abattirent les arbres ;
Le corbeau se blottit sur la cheminée ;
Et des pies bavardes firent éclater leurs dissonances.
Ta mère ressentit plus que la douleur d’une mère,
Mais elle donna le jour à moins que l’espoir d’une mère
A savoir à un avorton fruste et difforme,
Sans rapport avec le fruit d’un arbre aussi beau.
Des dents garnissaient ta bouche dès la naissance,
Signe que tu étais venu pour mordre le monde.
William Shakespeare in Henry VI
Now / maintenant, voilà comment commence cette fresque politique et sanglante, qui décrit le règne de Richard III à la fin de la Guerre des Deux Roses et résonne comme une césure prolongée dans le mouvement de l’histoire.
Une césure qui se manifeste comme une entaille profonde (l’Histoire avec une grande hache), et qui montre et démontre les rapports entre celui qui bâtit méthodiquement un ordre tyrannique et meurtrier et ceux qui l’entourent : une société veule, occupée à soigner ses privilèges et à sauver les meubles et pour qui résister serait évidemment synonyme de sacrifice, mais de quel sacrifice : mieux vaut croire à la justice et mourir avec un verre de champagne à la main que finir en martyr vermoulu.
Portée par un pessimisme profond, et loin de tout humanisme, l’œuvre de Shakespeare se présente comme une orchestration d’antithèses reflétant un monde hybride et cauchemardesque, dénonçant une humanité qui court, yeux ouverts, à sa perte.
Faite de rhétorique sanglante, de pensées machiavéliques et de corps éclatés, cette fresque sent l’odeur qui accompagne toute ascension au pouvoir, celle de la décomposition et de la pourriture. Dans ce monde où l’affaire du politique est celle de la gestion de la mort, les encore-vivants et les déjà-morts se côtoient. Les spectres, parfois métaphores de l’éternel retour, font irruption dans le temps comme pour rappeler que le passé est affaire de mémoire et que tout se joue et se rejoue au moins une fois. C’est alors que l’histoire ressemble à une vieille scène de théâtre sur laquelle les morts viennent rejouer - faute de moyens ou de révolutions - toujours la même histoire.
Il s’agira ici moins de réactualiser la fable que de démontrer ce qui a bien pu résister à quatre siècles, une sorte de mise à nu des contradictions de ceux qui font ou se refusent à faire l’Histoire. Le rapport entre maintenant et autrefois sera l’affaire de tous.
Angela Konrad
41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers
Voiture : Porte de Clichy, direction Clichy-centre. Tout de suite à gauche après le Pont de Clichy, direction Asnières-centre.
A 86 Sortie Paris Porte Pouchet. Au premier feu tourner à droite, avenue des Grésillons.