Pièce en polonais, surtitrée en français.
Six ans - déjà ! - que Krystian Lupa enchante les spectateurs de l’Odéon. Depuis 1998 et la présentation des Somnambules (d’après Hermann Broch), le grand maître polonais du théâtre d’art est revenu régulièrement, à l’invitation de Georges Lavaudant, poursuivre devant un public de fidèles toujours plus nombreux sa méditation scénique sur l’état spirituel de notre temps. Deux ans après Auslöschung/Extinction, Lupa nous revient avec un autre texte de Thomas Bernhard, qui est l’un de ses auteurs de prédilection. Mais pour la première fois, il n’y aura pas lieu d’admirer les qualités d’adaptateur de Lupa : avec Ritter, Dene, Voss (Déjeuner chez Wittgenstein), il nous propose une mise en scène d’une pièce de théâtre, conçue d’emblée et composée comme telle par son auteur.
Ritter, Dene, Voss sont les noms de trois grands comédiens que Bernhard admirait. C'est pour eux qu'il écrivit sa pièce avant de leur rendre hommage en lui donnant ce titre. Ritter et Dene y ont créé les rôles de deux sœurs préparant le retour de leur frère (interprété par Voss). Elles sont comédiennes. Comédiennes qui ne jouent pas, ou presque pas. Le choix leur appartient, puisque leur père, en homme d'affaires prévoyant, leur a légué 51% des parts du théâtre. Peut-être que sous nos yeux elles rejouent la mille et unième variante de leur petit scénario intime, avec ses piques, ses disputes et ses automatismes - mais si elles ne font que le jouer, elles n'en laissent du moins rien paraître. Quant au frère, il dicte inlassablement une Logique. Un philosophe, donc, mais qui proclame que l'asile psychiatrique est son seul vrai foyer. Deux artistes et un penseur, tous trois prisonniers d'une famille dont les portraits couvrent les murs d'une maison où rien ne peut bouger.
Dans cette pièce, composée deux ans après un récit intitulé Le Neveu de Wittgenstein, Bernhard reprend à nouveaux frais un matériau librement inspiré de la saga familiale de l’un des principaux philosophes du XXème siècle, Ludwig Wittgenstein. Les trois « actes » de la pièce peuvent être lus comme trois moments saisis sur le vif au sein d'une famille névrosée tout à fait quelconque, mais aussi comme la satire d'une certaine Autriche, contraignant à l'exil ses rejetons les plus sensibles ou pire encore, empoisonnant leurs énergies créatrices à la source.
Créée en Pologne en 1996, Rodzenstwo, Ritter, Dene, Voss y fut l'un des plus grands succès de Lupa. Trois des meilleurs comédiens de la troupe du Stary Teatr y déploient leurs talents dans un huis-clos que la Petite Salle de l'Odéon-Berthier contribuera à concentrer davantage encore. La proximité avec les spectateurs est en effet un élément essentiel du climat du spectacle tel que Lupa l'a conçu : les comédiens se livrent ici au jeu comme si nul regard extérieur ne troublait leur dérisoire et terrifiante intimité.
Place de l'Odéon 75006 Paris