Chicago, fin 1929 : la guerre fait rage sur le marché de la viande. Le plus puissant industriel dans ce secteur est Pierpont Mauler, surnommé « le roi de la viande ». Pour se débarrasser de ses concurrents, il les pousse à la faillite en spéculant sur les cours du bétail. Ce krach financier entraîne la crise, le chômage, la pauvreté et la famine. Face à Mauler, Jeanne Dark, membre actif des « chapeaux noirs » (parodie de l’armée du salut) se lance à l’assaut de la misère et de l’égoïsme ambiant avec comme seules armes une foi immense en Dieu et l’espérance de pouvoir tout changer en aidant à la fois « ceux d’en haut comme ceux d’en bas ».
Mais elle est bien vite manipulée par les riches industriels de Chicago qui veulent utiliser la foi chrétienne pour soumettre les ouvriers et les pauvres aux plus basses conditions. Elle décide alors d’épouser la cause ouvrière et rejoint les mouvements de révolte et de grève générale. Mais refusant d’adhérer à la violence, elle ne remplit pas la mission qui lui est confiée et la tentative de grève générale échoue. Les ouvriers sont contraints à nouveau d’accepter une baisse de salaire et des licenciements dus à la fusion des usines.
La pièce achevée en 1932 décrit dans sa version la plus sanglante le monde du capitalisme et de la spéculation boursière qui pousse invariablement le plus riche à être plus riche et le plus pauvreà ne plus pouvoir faire partie du système social.
« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » B. Brecht
Sainte Jeanne des abattoirs est un texte dense, baroque où se mélangent à la fois prose, vers libres, alexandrins, chœurs chantés et scandés. Dans ce foisonnement très souvent versifié, le texte épique de Brecht nous apparaît d’une modernité déconcertante où chacun peut s’identifier. Le style dramatique éminemment politique de Brecht nous parle des rapports qu’entretient l’homme avec l’argent, ses déterminations et contradictions politiques et religieuses. Aujourd’hui encore Sainte Jeanne des Abattoirs est tristement d’actualité.
Dans la pièce, le « riche Mauler » veut montrer à Jeanne que : « les pauvre sont mauvais, que c’est de la racaille ». Mais face à cette société installée dans ses valeurs de réussites financières, les pauvres, les exclus, sont tout simplement en réaction : pour exister, il ne leur reste plus que la révolte, la violence. Cette situation engendre inévitablement la montée des extrêmes du fanatisme.
Aujourd’hui encore, dans ce monde basé sur la consommation, la surproduction, la valeur d’un individu s’établit en fonction de son pouvoir d’achat. Aujourd’hui encore, nous sommes en plein dans un système capitaliste qui ne connaît que fusion, spéculation et précarité galopante, système qui nous conduit lentement mais sûrement vers le chaos social. Aujourd’hui encore, deux figures allégoriques (Mauler et Jeanne) s’affrontent : le pouvoir et la misère, la cupidité et le mysticisme, la conscience coupable et l’innocence. Cette dualité existe chez chacun de nous.
Le spectacle nous montre le prix à payer pour changer le monde mais surtout que nous avons le pouvoir de le changer.
Nathalie Guilmard
13, rue du Faubourg Montmartre 75009 Paris