Après Le Paysan de Paris d’après Aragon et La voix dans le débarras de Raymond Federman, Sarah Oppenheim et la compagnie Le Bal Rebondissant poursuivent leur travail sur la rencontre du geste et de l’image. Cette fois, ils s’emparent de textes d’Henri Michaux sur sa pratique picturale (Mouvements, Saisir, Emergences-Résurgences...).
Sur le plateau, un quatuor pour donner voix et corps à cette recherche théâtrale et graphique. Yann Collette et Fany Mary sont accompagnés de Benjamin Havas au violoncelle et Louise Dumas au dessin.
Je trimballe un Henri Michaux dans la collection Poètes d’Aujourd’hui de Seghers depuis toujours. La tranche vert-pomme du bouquin est rapiécée de rubans adhésifs café crème. A l’intérieur, un capharnaüm de gribouillis, vers soulignés, notes, musiques et le prénom d’une fiancée. Michaux est pour moi synonyme de mon état mental : traits, lignes, signes, écrits inachevés.
Il l’emparouille et l’endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu’à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui baroufle les ouillais (...)
Enfin, il l’ÉCORCOBALISSE.
A vingt ans, il a embarqué comme matelot. Michaux voyage et nous emporte, en Egypte, au Brésil, Uruguay et en Argentine avec Supervielle... Ecuador, un Barbare en Asie. La littérature ne lui suffit pas, il se passionne pour Klee, Max Ernst, Chirico, Zao-Wou-Ki, et exposera autant qu’il publiera, partagé toujours entre le trait et l’écriture.
Sarah Oppenheim (à la MC93 : Le juge infernal, Le Paysan de Paris - Aragon, La voix dans le débarras - Raymond Federman), a trente ans, elle traduit le chinois, langue de signes et de symboles, par laquelle elle aborde aussi le théâtre. Louise Dumas, dessinatrice, sa complice depuis l’hypokhâgne du lycée Fénelon, apporte les scénographies mouvantes des spectacles.
Voyage en théâtre intérieur, savant et drôle.
Patrick Sommier
Le point de départ de Saisir.
Michaux résiste et fait partie de ceux qui ont tenté l’aventure du déconditionnement sous toutes ses formes.
Dans ses voyages parmi les signes et les mots, Henri Michaux nous invite à entrer dans la genèse d’une œuvre, dans son mystère, à le suivre dans ses recherches et ses tâtonnements, dans son combat tonique contre les formes existantes. Progression de la main sur le papier : l’écriture court et multiplie trajets et tentatives. Elle appelle avec force le mouvement : élans, suspensions, pour que rien ne s’arrête ni ne se fige. Elle provoque le désir de lui confronter la présence physique des corps. De retrouver sur scène le mouvement de la création graphique chez Michaux, sa dynamique de la langue et du corps dans leurs tracés mouvants.
Avec Saisir, Le Bal Rebondissant poursuit sa recherche sur les rencontres, heurts, prolongements du geste et de l’image, sur la formation de scénographies mouvantes créées par les corps en mouvement au fil de la représentation.
Le travail scénique et graphique du dessin cinématique.
Notre équipe réunit des personnes de plusieurs disciplines, et la place du travail visuel y est primordiale. La création plastique et graphique se fait au plus proche du plateau, à partir du travail des comédiens, dans le même temps des répétitions et par un travail d’improvisation commune, d’inspiration mutuelle et de co-écriture. Nous cherchons dans nos spectacles à suivre non pas le résultat du texte en tant que produit fini, mais son mouvement d’écriture, révélant son sens au fur et à mesure de ses avancées et ratures, traces et effacements : un palimpseste en formation, dont le spectateur peut percevoir les multiples strates grâce au travail de la scène qui exhibe son mouvement.
Les textes d’Henri Michaux choisis, mêlant écriture et peinture, résonnent fortement avec notre pratique du plateau qui fait se rencontrer diverses pratiques du mouvement scénique et graphique pour réinterroger à chaque fois le geste d’écriture. En lisant ces textes, nous avons la sensation d’être invités dans un champ de bataille du corps autant que de l’écriture. Expérience de la pensée et du corps, dessin et écriture s’y cherchent, s’accompagnent et s’accouchent mutuellement, luttent aussi l’un contre l’autre parfois. Nous intéressant aux paroles et aux gestes inachevés et en perpétuelle métamorphose, nous chercherons nous aussi à faire circuler et résonner à notre manière le texte, les mouvements et images nés des corps sur le plateau, et le dessin tracé en direct. Accompagné par le pinceau de Louise Dumas et le violoncelle de Benjamin Havas, le spectacteur sera plongé au cœur de l’écriture et de la peinture d’Henri Michaux, dans l’espace de la page et au rythme du mouvement de la création.
Un corps qui « essaye sa machine à être », qui se projette dans d’autres corps, qui se rêve ligne, feuille, ou insecte. Un corps hybride, une chimère donc. Un corps en extension, qui se prolonge, s’étend, se forge son espace où se mouvoir autrement par le pouvoir de l’imagination.
Ce corps multiple et polymorphe qui se cherche est le point de départ de notre recherche scénique, il est le point de jonction, fissure et lien tout en même temps, entre les écrits de Michaux et ses dessins, ses peintures.
Les gestes de la comédienne et les mouvements du dessin et des peintures projetés travailleront conjointement à former une scénographie mouvante nous parlant d’un corps qui se rêve espace : corps-passage, homme-insecte, homme-signe, il envahit et est envahi, saisit et est saisi, traverse et est traversé en retour.
Assumant le fragment cher à Michaux, le spectacle sera l’exploration de différents corps, rythmes, et êtres au monde, par la poésie, le tracé, la métamorphose et la musique : à partir de la partition poétique et graphique que nous propose Michaux et des rêveries qu’elle éveille en nous, un corps, une voix, une main qui dessine et un violoncelle dialogueront sur scène, formant un quatuor théâtral venant rêver le « devenir-ligne » michaldien avec nos outils du théâtre.
20, rue Marie-Anne Colombier 93170 Bagnolet
Voiture A3 ou périphérique, sortie Porte de Bagnolet. Direction Centre Ville par la rue Sadi-Carnot puis prendre à gauche avant l’église, rue Marie-Anne Colombier.