Extrait
Une vie qui bascule
Une Rencontre
Géologie de l’Intime
La mise en scène
La presse
« Ludile monte quatre à quatre les marches des six étages. Elle sonne. Personne. Elle inscrit sur un morceau de papier qu’elle tire de sa poche la lettre J, se promettant de venir écrire la suite demain. Il verra qu’elle est passée, ça lui suffit. Elle ravale l’escalier dans l’autre sens, dans un grand silence molletonné, ses talons plats étouffés par l’épais tapis rouge qui habille les marches. Son cœur bat tout autant d’avoir laissé cette lettre énigmatique. Du coup, elle a du temps pour se rendre à son rendez-vous. Alors qu’elle hésite à prendre le bus, le voilà qui passe. Elle y monte. Elle sent sa nuque rougir, le soleil tape fort contre la vitre. Elle prend rarement le bus. Il y a quelque chose qui l’écœure entre ces grosses banquettes d’un marron douteux et les allers et relents du véhicule aux secousses trop marquées. Elle descend.
Delphine vient d’emménager, et Ludile n’est encore jamais venue. L’immeuble est à dix mètres. Elle pousse la porte vitrée du hall. L’odeur de neuf contraste avec celle de la rue. Son nez gémit. Elle sonne à l’interphone. Personne. Décidément. Elle se retourne pour repartir. Un homme est là. Il dit : « Jai oublié mes clés… est-ce qu’elle voudrait bien, la demoiselle, appuyer sur l’interphone : une voix de femme ça passe mieux n’est-ce pas ? » Alors elle appuie au hasard. Une voix lui répond et enclenche l’ouverture de la porte d’entrée. À cet instant précis, les cinq sens de Ludile se glacent sur ce déclic, elle n’a pas encore vingt ans et réalise qu’elle vient de faire une grave erreur. »
Solinge, Pia Divoka
« Le sentiment de notre existence dépend pour une bonne part du regard
que les autres portent sur nous : aussi peut-on qualifier de non humaine
l’expérience de qui a vécu des jours où l’homme a été un objet aux yeux de l’homme. » Si c’est un homme, Primo Levi
La vie de Ludile, jeune fille de 19 ans, bascule de fameux jour où derrière la porte vitrée d’un immeuble, lui, l’homme, l’autre, celui qui n’a pas de visage, la viole. Pia Divoka raconte cette histoire dans une langue si précise qu’on pressent que ce texte est autobiographique. Cela s’entend au bruit des mots qu’elle utilise, à cette langue simple, sans complaisance, sans détail inutile. Une langue qui bouille de silence, qui cherche à comprendre ce qui s’est passé, qui tente de vivre avec ce qui s’est passé, ces quatre lettres « v i o l ». Après avoir écrit et dit ce que personne ne veut entendre, Ludile deviendra Solinge pour exister à nouveau, pour « déplacer les montagnes » de la vie.
Dos au public, la comédienne Laurence Vielle est ce corps, cette voix, celle de cette langue acérée, flottante, légère, celle de l’entre-deux. Bouts du visage, bouts de vie, le public est face à une image projetée, morcelée celle de on visage, qui se recompose d’un cri ou d’un silence. Chacune est pris dans ce récit qui se déroule comme un lent cauchemar cinématographique.
« Désormais elle est deux. Superposées, l’une à l’autre, inséparables. L’une dedans qui respire mal, l’autre dehors qui sourit. C’est plus compliqué pour passer les portes mais c’est nécessaire pour survivre. » Solinge, Pia Divoka
Installation : Hicham Benohoud
Images : Siegfried Cant
Pia Divoka, quand je l’ai rencontrée, était étudiante en arts plastiques et dessinait des personnages d’enfants aux longs nez, aux allures flottantes et rêveuses, qui me semblaient souvent vouloir quitter la page, pour peut-être aller s’assoupir, courir ou déclencher de leurs petites mains démesurément longues des orages. Elle inscrivait sur ces dessins, d’une écriture manuscrite, de rares mots et phrases dont la simplicité déconcertante sonnait juste et ne me lassait pas.
Plus tard, je présente Pia Divoka à Gilles Zaepffel. Il apprécie immédiatement son univers graphique de là en découlent de nombreuses collaborations communes.
Un autre jour, elle nous confie ce texte au titre énigmatique « Solinge », d’abord à Gilles Zaepffel puis à moi. Et ce texte ne nous lâche pas. Et nous voilà encombrés avec elle de ces quatre lettres « v i o l ».
« Une grave erreur »
« jamais répertoriée »
« elle sait, elle, avec les jours qui passent, que ça ne s’en ira pas »
Ce texte se lit vite, en apnée, et au-delà du fait-divers, ce dont parle Pia Divoka c’est de la lente reconstruction, du temps épais et poisseux
qu’il faut pour arriver à se sentir à nouveau être.
Et aussi du silence. Du poids du silence des autres, parents, amis qui font leurs bouches cousues. Du poids de ce corps nouveau détesté.
Du poids de la vie d’après. Et ce qui me plait, c’est que cette extrême gravité, cette violence que nous retourne le texte, Pia Divoka lui donne
une langue aérée, flottante, légère.
Pia Divoka n’a pas écrit un texte étendard, sociologique, politique, mais un texte intime, secret qui nous questionne sur nos propres drames, nos propres silences coupables et défectueux.
Gilles Zaepffel voulait mettre en scène ce texte, avec la complicité du plasticien Hicham Benohoud et de la comédienne Laurence Vielle. Il n’en a pas eu le temps. Mais ce désir de donner un espace, un corps à la langue de Pia Divoka, Laetitia Zaepffel et moi-même avons souhaité le continuer en complicité avec Hicham Benohoud, Laurence Vielle et Pia Divoka.
Hicham Benohoud a inventé une installation vidéo pour un acteur qui morcelle le visage et le recompose selon qu’on crie ou qu’on fasse silence. Ce procédé servira de scénographie au spectacle.
La mise en scène cherchera à faire entendre au plus proche le texte de Pia Divoka, sans effet. Nous imaginons la comédienne, au grain de voix troublant ; Laurence Vielle, dos au public, assise sur un tabouret, son visage, morcelé ou rassemblé, projeté sur les murs de l’Atelier du Plateau. Parfois apparaît son profil, ses mains, parfois aussi de la musique diffusée, bruits de grillons, de souffle, éclats de voix, bandes originales.
Le public est dans la pénombre, installé sur des sièges de cinéma face à l’écran, il écoute ce récit se dérouler comme un lent cauchemar cinématographique.
Matthieu Malgrange
« Avec fermeté, [Laurence Vielle] nous inscrit dans le mouvement, l'effort, le cri longtemps souterrain de Ludile, devenue Solinge, pour remonter à la surface du silence. D'elle-même. et de ce jour "où elle n'existe pas". » Aude Brédy, L'Humanité, mai 2007
« Le texte est magnifiquement porté par Laurence Vielle, comédienne stupéfiante, fragile et bouillonnante, jeune femme dont le regard s'empare de celui du spectateur, presque un à un, pour y déposer un peu de la douleur et du vide de Solinge, y puiser un peu d'humanité et de vie. » Froggy’s Delight, avril 2007
« Le soliloque de Pia Divoka (...) cache sa violence sous la pudeur et les abysses de l'horreur sous l'errance des mots. Avec une subtile progression dans la tentative de se raccrocher au quotidien. Seule en scène, avec un tabouret qu'elle va déplacer ici et là, Laurence Vielle habite totalement la solitude des propos, et la simplicité d'une gestuelle qui relie sans cesse à ce qui persiste de la vie. La mise en scène de Matthieu Malgrange et Laetitia Zaepffel fait voir la face cachée du non-dit perdu derrière les paroles. Un spectacle dont on ne sort pas indemne. »Luc Norin, La libre Belgique, Septembre 2007
« Rarement un monologue aura été conduit de façon si rigoureuse et si peu discoureuse. »Marie Ordinis, 26 avril 2007
« Une histoire affreusement banale qui montre à tous ceux qui connaissent la violence, l'anéantissement, la barbarie, qu'il peut y avoir une possibilité de salut, le fait de pouvoir raconter et, grâce à la parole, partager. »Claude Kraif, revue-spectacle, avril 2007
5, rue du Plateau 75019 Paris