Tambours dans la nuit - Hors les murs

Lille (59)
du 14 au 24 mai 2003

Tambours dans la nuit - Hors les murs

Dans les mois qui suivent la fin de la Première Guerre, un soldat retenu prisonnier rentre chez lui, à Berlin, et retrouve sa fiancée dans les bras d’un autre. Entre les exaltations éphémères de la révolution spartakiste et la résignation à l’ordre petit bourgeois, son cœur feindra un temps de balancer... Vincent Dhelin et Olivier Menu, dont la compagnie est implantée à Armentières, mettront en scène cette pièce du jeune Brecht, à l’écriture âpre et crue.

Hors les murs - Théâtre de l'Idéal à Tourcoing

Présentation
Le renoncement de l’espoir

Bertolt Brecht à propos de Tambours dans la nuit

Provoquer l’avenir

Dans les mois qui suivent la fin de la Première Guerre, un soldat retenu prisonnier rentre chez lui, à Berlin, et retrouve sa fiancée dans les bras d’un autre. Entre les exaltations éphémères de la révolution spartakiste et la résignation à l’ordre petit bourgeois, son cœur feindra un temps de balancer... Vincent Dhelin et Olivier Menu, dont la compagnie est implantée à Armentières, mettront en scène cette pièce du jeune Brecht, à l’écriture âpre et crue. 

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Hiver 1918/1919
André Kragler, de retour d'Afrique où il a été prisonnier de guerre, revient dans sa ville natale un jour de révolution, et trouve sa fiancée dans les bras d'un d'autre. Il finit la nuit dans une auberge enfiévré et refait le monde avec des "camarades" de passage. Au petit matin, il doit choisir entre la révolution et une vie conjugale bourgeoise avec sa femme revenue "à la maison". Il choisit sa femme !

Kragler renonce donc à la révolution, mais Brecht commence à imaginer la sienne avec cette pièce de jeunesse, dont le premier acte ressemble à une comédie bourgeoise et qui se termine avec l'annonce d'un théâtre qu'il veut résolument différent. Ainsi, au fur et à mesure de l'écriture, le salon disparaît, les repères réalistes de la société bourgeoise se perdent dans les rues d’une nuit d’insurrection et les personnages de vaudeville sont remplacés par des artisans sortis du Woyceck de Büchner. Le cinquième acte enfin, sous-titré "Le lit", se passe au petit matin sur un pont dont on ne sait ce qu'il enjambe. Kragler dénonce et détruit alors ce qu'il appelle le "théâtre ordinaire" avec ses illusions, son décor de papiers, sa fausse lune. 

Brecht est souvent revenu sur cette pièce sans jamais en trouver la forme définitive, conseillant même dans la dernière version de couper le troisième acte s'il ne "décollait" pas…Sans doute parce que l'histoire de cette œuvre est à écrire encore. Sans doute parce que Brecht lui-même ne sait pas encore exactement ce qu'il veut faire et qu'il se laisse guider par ses intuitions poétiques et politiques. Sans doute enfin parce que se pose déjà pour lui la question de son engagement dans un théâtre qui doit changer le théâtre pour mieux"changer la vie". Pourtant Kragler renonce…

Tambours dans la nuit est peut-être l'annonce du renoncement politique à une révolution dont on connaît aujourd'hui l'histoire. Kragler est peut-être, sans le savoir, un premier modèle du social-démocrate, pragmatique et gestionnaire. Kragler est peut-être cet anti héros des années 70 devenu chef d'entreprise dans les années 90. Un homme qui assume comme il peut ses contradictions idéologiques, qui a digéré l'évolution des mœurs et des mentalités, et pour qui le renoncement est devenu un principe philosophique. Kragler est un homme moderne, et sans doute cette image prophétique devait-elle être insupportable pour Brecht lui-même qui tenta à plusieurs reprises de l'infléchir, et de la rendre plus ridicule et grotesque afin peut-être d'en atténuer la crédibilité ou d’en retarder l’avènement.

Kragler a renoncé, il n’est pas devenu le martyr ou le leader de la révolution, mais Kragler est vivant. Il lui a suffit de passer ce pont du cinquième acte. 
Passage vers une acceptation toujours plus grande des réalités du monde moderne ?
Passage du romantisme vers l’engagement personnel d’un homme avec une femme ? 
Passage vers l’état de l’homme adulte avec ses choix et ses contradictions ?
Passage vers un autre théâtre dont nous sommes les héritiers ?

Privé de ses idéologies et de son romantisme révolutionnaire, Kragler s’interroge aujourd’hui sur son choix de "fonder" une famille, sur le sens de son travail, sur l’utilité de son engagement politique ou syndical ? Perché entre ciel et terre, sur un pont qu’il n’a peut-être jamais complètement traversé, Kragler se demande comment continuer encore à espérer quand on a renoncé à l’espoir.

Tambours dans la nuit est une des premières pièces de Brecht, ce pourrait-être la dernière.

Vincent Dhelin

Je suis un porc et le porc rentre chez lui.
Kragler - Tambours dans la nuit, Acte VI. 

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J’ai toujours prétendu être un homme qui, moyennant quelques alcools et cigares, est capable de se mettre en état de fabriquer un ouvrage littéraire qu’après mûre réflexion il aurait considéré comme souhaitable. Le hic, c’est que je ne sais pas ce qu’il en sortira, lorsque j’opère ainsi, comme j’en suis capable. Naturellement je ne parle pas maintenant de résultats esthétiques. Tambours dans la nuit est un excellent exemple de faiblesse humaine. Je l’ai fabriquée pour gagner de l’argent. Mais quoique j’aie gagné avec cela véritablement et de manière déconcertante de l’argent, je mentirais en prétendant que grâce à ma peine j’ai eu du succès. Quelques personnes avaient réussi à me donner de l’argent pour cela, mais moi j’avais réussi à écrire une pièce politique.

Lorsque la pièce avait du succès, c’était le succès de l’histoire d’amour et de l’emploi de tambours derrière la scène. (Cependant que je concèderais volontiers qu’également une certaine fraîcheur personnelle et une tendance passablement emportée à faire une affaire poétique des choses, parlaient en ma faveur.) La révolution, qui devait servir de milieu, ne m’intéressait pas plus que le Vésuve n’intéresse un homme qui veut y poser sa marmite Du reste, ma marmite, en comparaison du Vésuve, me semblait très vaste. Qu’au bout du compte il soit sorti tout de même quelque chose de pareil à une image de la première révolution allemande et surtout une image de ce révolutionnaire, je n’y pouvais vraiment rien.

De fait, la révolution n’est pas concevable pour Kragler sans la lune romantique. Etre naïf, incapable de souffrir, il se met à hurler à la première révélation d’une souffrance en lui. Sa révolution est vraiment celle d’un homme fort irrité qui, parce que sa femme verrouille la porte, met en pièce le mobilier du ménage. La lune rouge est un accessoire presque indispensable des révolutions, et un accessoire très dangereux. Rien ne diffère plus d’une révolution qu’un soulèvement populaire. Une révolution est une organisation dans laquelle est incorporée une passion. Avec le type Kragler la lune rouge disparaît de la révolution ; il la met en pièces, quand il n’en a plus besoin, il l’insulte même aussitôt. Mais il connaît les bourgeois. Il leur crie de ne pas faire des yeux si romantiques ; car il le sait : dans leur intérêt ému envers son sort, ils seront ivres de générosité, ils sacrifieront des vies et voudront le voir aller à la mort.

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Personne ne sait ce qui se passe aujourd’hui parce que personne ne veut qu’il se passe quelque chose. En réalité, on ne sait jamais ce qui se passe, on sait simplement ce qu’on veut qu’il se passe. C’est comme ça que les choses arrivent. On dit ça que Lénine et ses camarades ne disaient pas : « nous allons faire la révolution. » Ils disaient: « toutes les conditions de la révolution sont réunies, la révolution est inéluctable. » On fait la révolution qui n’aurait jamais eu lieu s’ils ne l’avaient pas faite et qu’ils n’auraient pas faite s’ils n’avaient pas pensé qu’elle était inéluctable uniquement parce qu’ils la voulaient. Chaque fois que quelque chose a bougé dans ce monde, ça a toujours été pour le pire, voilà pourquoi personne ne bouge. Personne n’ose provoquer l’avenir. Faudrait être fou pour provoquer l’avenir. Faudrait être fou pour risquer de provoquer à nouveau 19, à nouveau 14, à nouveau 37.
- Oui mais alors il ne se passerait jamais plus rien !
- Mais si, parce qu’il y aura toujours des fous, et des cons pour les suivre, et des « sages » pour ne rien faire.

Jean-Luc Godard

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Informations pratiques

Théâtre du Nord

4, place du Général de Gaulle 59026 Lille

Accès handicapé (sous conditions) Bar Librairie/boutique Salle climatisée
Spectacle terminé depuis le samedi 24 mai 2003

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