Spectacle en italien, surtitré en français.
Créé en 1813 à la Fenice de Venise, l’ouvrage fit l’effet d’une « révolution » et consacra la réputation de son auteur dans toute l’Europe. 1813 fut une année faste pour Rossini, avec pas moins de trois ouvrages en quelques mois : Il signor Bruschino, Tancredi et L’Italienne à Alger. Mais c’est bel et bien avec Tancredi que Rossini bouscula irréversiblement les poncifs du genre seria, ce que salua avec enthousiasme Stendhal : « Avant Rossini, il y avait bien souvent de la langueur et de la lenteur dans les opera seria ; les morceaux admirables étaient clairsemés, souvent ils se trouvaient séparés par quinze ou vingt minutes de récitatif et d’ennui : Rossini venait de porter dans ce genre de composition le feu, la vivacité, la perfection de l’opera buffa [...] Il entreprit la besogne de porter la vie dans l’opera seria. »
Car en effet, s’il conserve la trame de l’opéra métastasien, les récitatifs, toujours secco, sont raccourcis, l’action privilégie les scènes d’ensemble par rapport à la succession des longs arias introspectifs des solistes, imprimant un rythme dramaturgique nouveau et enfin les ressources expressives de
l’orchestre sont ici utilisées comme rarement à cette époque. Ces nouveautés auront une influence considérable sur l’ensemble du théâtre lyrique italien pendant tout le XIXe siècle. En ce sens, Rossini fut tout autant un prodigieux précurseur qu’un pur produit de la tradition lyrique italienne du XVIIIe siècle qui, d’une certaine façon, disparaîtra avec lui.
Nouvelle production.
Avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France et le Chœur du Théâtre des Champs-Elysées.
L’action se situe à Syracuse, en Sicile, au début du XIe siècle. Tandis que la Sicile est partagée entre les Byzantins et les Musulmans, dont le chef est Solamir, la ville Syracuse est en proie aux luttes de deux factions, celle d’Argirio et celle d’Orbazzano. Pour mettre un terme à ces querelles intestines, Argirio décide de marier sa fille Aménaïde à Orbazzano. Mais Aménaïde aime Tancrède, un chevalier normand qu’elle a connu en exil à Byzance et qui reste banni de Syracuse. Elle lui envoie un message lui demandant de revenir au plus vite.
Le messager ayant été capturé dans le camp de Solamir, on pense que la lettre est destinée au chef des Musulmans, lui aussi amoureux de la jeune fille. Accusée de trahison, Aménaïde se tait pour protéger Tancrède et est condamnée à mort par son propre père. Bien que la croyant infidèle, Tancrède se présente en défenseur de la jeune fille et, après avoir provoqué Orbazzano, le tue au cours d’un duel. Croyant toujours Aménaïde coupable, Tancrède part combattre les Musulmans. Victorieux mais mortellement blessé, il expire en apprenant, de la bouche d’Argirio, l’innocence de celle qu’il aime toujours.
En 1760, Voltaire dédie sa nouvelle pièce Tancrède à Madame de Pompadour, alors que la guerre de Sept Ans fait trembler le monde de Louis XV. Voltaire profite alors de la légende du chevalier normand pour dénoncer la peine de mort, la justice expéditive, le mariage forcé et le pouvoir tyrannique. Un peu plus de 50 ans après, en 1813, alors que Napoléon redessine la carte de l’Europe, Rossini propose pour le carnaval de Venise son Tancredi où le chevalier n’est autre qu’un soldat de Bonaparte, symbole de gloire, de justice et de liberté, transposé dans la Sicile du XIe siècle.
Mais que faire aujourd’hui de cette histoire d’un chevalier normand enamouré d’une princesse sicilienne dont une lettre mal adressée suffit pour dynamiter une alliance politique et mener Tancrède au trépas ? Le pouvoir tyrannique et la peine de mort appartiennent sinon au passé, du moins à un monde de plus en plus éloigné de l’Europe de nos jours, et les mariages arrangés n’y ont plus cours même dans les familles royales.
Un fil pourtant relie ces trois mondes. Le monde politique, tel qu’il apparaît chez Voltaire et Rossini, est un univers presque exclusivement masculin où les femmes sont exclues tant des négociations d’une alliance que de la compréhension même de leurs enjeux.
Parmi les spectateurs d’aujourd’hui, quiconque a déjà assisté à une réception d’ambassade ou à un débat parlementaire ne serait guère dépaysé par le monde du début du XIe siècle où se déroule l’action de Tancredi. C’est donc dans l’univers politique contemporain que Jacques Osinski a choisi d’ancrer sa mise en scène.
Les rapports entre l’amour, la politique et la guerre se libèrent ainsi du poids de l’époque pour venir s’inscrire à l’intérieur d’un palais opulent que l’on devine remplir les fonctions d’ambassade dans un pays en guerre. Cette ambassade est un lieu de résidence, mais avant tout un lieu de décision : deux factions s’y retrouvent pour sceller leur entente et sécuriser l’autonomie de la cité. Le prix : le mariage d’Aménaïde, qui ignore tout de ces tractations, avec Orbazzano.
Point de rivages, de montagnes ou de bords de mer de la Sicile, mais un espace clos d’architecture contemporaine qui propose, suivant le livret, un lieu nouveau à chaque scène. Un labyrinthe aux murs mobiles fait apparaître salles d’apparat et antichambres, bureaux officieux, salles d’interrogatoire et pièces cachées où la vie intime des héros se déroule loin des regards, jusqu’à l’espace fantasmé qui accueille la mort de Tancrède.
Règlement de conflits internationaux, soupçons évoquant une taupe, rebondissements en tout genre, histoire d’amour... sans se comparer au haletant Argo de Ben Affleck, Tancredi n’en sera pas moins riche en moments forts.
15, avenue Montaigne 75008 Paris