Les coulisses du pouvoir, un président et la première dame reçoivent à la résidence, un investisseur étranger. A cette occasion, un groupe de jeunes artistes est invité au palais afin d’égayer la soirée de leurs chants. Très rapidement cette rencontre va dégénérer.
C’est par le biais de la farce politico-économique que les travers et dérives du monde seront exposés. L’Afrique et ses maux (dette, corruption, prostitution, ajustement structurel, projets culturels de façade…) nous révèlent de façon criante les dérives du monde contemporain. Rions ensemble pour mieux comprendre et s’insurger.
L’été 2001, quelques mois avant de prendre la direction du Théâtre Nanterre- Amandiers, j’effectue mon premier séjour au Burkina Faso. J’étais alors parti, accompagné de Guillaume Delaveau, avec sous le bras des textes de deux auteurs : Max Rouquette et Bernard-Marie Koltès. Il s’agissait de répondre à la demande d’un homme de théâtre de Bobo-Dioulasso que je ne connaissais encore pas : Moussa Sanou, lequel avait adressé une demande de « formation » auprès de l’Institut Français, alors dénommé AFAA.
Aujourd’hui, quelques semaines après avoir quitté la direction des Amandiers, c’est à Ouagadougou que je vais retourner pour remettre en chantier ce qui sera mon dernier spectacle à Nanterre : Une nuit à la présidence. Ainsi, ces douze années auront été bornées par deux Voyages en Afrique, titre d’un autre spectacle réalisé notamment à partir du texte de Jacques Jouet : Mitterrand et Sankara.
Peu à peu, pas à pas, une aventure s’est développée, des rencontres se sont faites et c’est bien cette continuité, cette approche mutuelle et durable qui nous a permis d’aborder ensemble, comme seules des compagnies permanentes, troupes ou bandes peuvent le faire, la création d’Une nuit à la présidence. Ainsi, c’est avec Moussa Sanou, auteur, acteur, animateur de la Compagnie Traces-Théâtre, Odile Sankara qui fut la Médée de Max Rouquette et le « Théâtre simple » de Jacques Jouet, Ray Léma, ici accompagné de son « fils » Bil Aka Kora, qui a composé les musiques des chants de Médée, dont Blandine Yameogo était la chef des choeurs, et Nongodo Ouedraogo, le second Jason, que s’est recomposée l’équipe de ce spectacle.
Dès juin 2012, à l’occasion du Festival Sya Ben qui s’est déroulé à Bobo- Dioulasso, j’ai pu animer un stage qui regroupait une dizaine d’acteurs et chanteurs. Au cours de ces quinze jours, j’ai tenté, assisté de Florence Bosson, de mettre en espace une partie du film Bamako d’Abderrahmane Sissako. Puis très vite, après de nombreuses discussions, nous avons décidé d’écrire notre vrai-faux procès du capitalisme financier. Après ce stage, dont on peut voir des images sur le site du Théâtre, Malou, Wendy et Urbain ont rejoint l’équipe.
Ainsi, ce projet est-il l’aboutissement, sans pour autant, bien sûr, signifier la fin de mon travail en Afrique, de ces douze années de rencontres régulières. Et ce sont bien les rapports de confiance, qui peu à peu ont pu s’instaurer, qui nous permettent d’aborder par le biais de l’improvisation, dans un premier temps, les questions des rapports de notre histoire commune, et ce sans complaisance de part et d’autre. Il fut beaucoup question dans un passé proche de la Françafrique, de la décolonisation… Mais au fur et à mesure des discussions et dans le sillage du film Bamako puis des lectures et conversations avec Aminata Traoré, il nous est apparu que les problèmes qui se posent à l’Afrique aujourd’hui ont franchi un nouveau cap.
Certes, l’héritage de la colonisation n’est pas à évacuer, les préjugés mutuels à faire passer aux oubliettes, mais à l’heure de la mondialisation, l’Afrique apparaît comme un véritable révélateur de ce que le capitalisme financier est à même de mettre en oeuvre de plus terrible et de plus cynique sur notre planète. Ainsi donc, Une nuit à la présidence se révèle, lors des premières ébauches, telle une farce brechtienne, un cabaret politique ayant pour toile de fond un palais présidentiel africain dans lequel se joue le devenir de millions de personnes exclues de tout processus de décision.
Depuis le centre de l’Afrique, nous appelons à un autre état du monde ici en France et en Europe. Oui, le Burkina Faso est aujourd’hui voisin de la Grèce. La marche du monde, son organisation économique, nous englobe. A maints égards, ce peut être une chance, si nous savons nous regarder. Les exclus d’Europe le sont pour les mêmes raisons que ceux d’Afrique qui viennent souvent grossir les rangs des premiers.
Qu’y peut le Théâtre ? Me dira-t-on. Pas grand-chose peut-être. Mais si. Dire, parler, énoncer, faire fiction, faire se lever la rue et les chants du monde non pour l’apaiser mais le traverser plus libres. Car il s’agit bien toujours et encore, quel que soit le sujet abordé, de questionner le théâtre. D’aucuns voudraient nous faire croire qu’à force de trop nous préoccuper du monde ou de la politique, nous nous éloignerons de l’Art et de ses plus nobles préoccupations formelles et esthétiques.
Bien au contraire, qu’en serait-il de l’interrogation sur l’homme placé hors du monde. L’intime et le pulsionnel sont profondément agités par les conditions de l’existence, par le politique donc, et n’est-ce pas Racine d’ailleurs, qui nous le dit chaque fois ! Quel rôle faire échoir à l’artiste et à l’Art ? Ici ou au Burkina Faso ? C’est aussi cette question qui est abondée dans Une nuit à la présidence. Cette question qui, douze années durant, m’aura animé à la tête de ce théâtre, à savoir comment tisser un lien entre ici maintenant, hier et ailleurs. Ces allers-retours africains ont, je le crois, nourris notre imaginaire commun, notre réflexion et peut être modifié, transformé notre regard, ouvert nos oreilles.
Jean-Louis Martinelli, Janvier 2014
Le Président : Pour venir à bout de notre misère, je me suis fixé deux objectifs : d’abord, c’est de développer et moderniser l’agriculture. Mais avec quels moyens ? Avec quels moyens ? C’est cette réflexion qui m’a amené à prospecter le sous-sol. Et nous avons découvert que, en réalité, nous mourons de faim, mais au-dessus de l’or ! Ce n’est pas admissible ! Comment peux-tu comprendre que ce peuple, pour qui le repas quotidien est une équation à plusieurs degrés à résoudre, se lève, marche, dort sur de l’or ?
Monsieur Nick : Il faut que tu descendes vers l’or, c’est simple, on va faire deux ans d’exploration, si nous commençons tout de suite, la mine fonctionnera dans deux ans.
Le Président : Deux ans ?
Monsieur Nick : Et dès la troisième année, tu dégageras des bénéfices substantiels.
Le Président : Combien d’années ? ? ?
Monsieur Nick (il s’excuse presque) : Deux ans, il me faut deux ans pour la mise en route.
Le Président : Non mais deux ans c’est trop !
Monsieur Nick : Je crois que tu ne te rends pas compte du travail à accomplir et des investissements qu’il faudra faire.
Le Président : Oui, mais attends, attends, c’est pour ça que je te parlais de la réalité d’ici, en deux ans ce sera…
Monsieur Nick : Ecoute papa, mon papa, moi je veux bien, mais je t’ai dit deux ans, il me faut deux ans…
Le Président : Non, non, deux ans, ça tombe pile poil sur l’année de mes élections ici.
Monsieur Nick : Mais tu l’as toujours su non ? Et toutes les avances que je t’ai faites ?
Le Président : La raison simple que je peux t’avancer, c’est que l’argent là, de l’or là, tu me l’as donné d’abord, mais je l’ai déjà dépensé, c’est planifié dans… dans… dans… dans… dans… dans… heu… (il continue à bredouiller) et je vais pas ouvrir les mines et que quelqu’un me batte aux prochaines élections et profite de tout ça…
Monsieur Nick : Attends, attends, si j’ai bien compris, tu me demandes d’accélérer le pas, moi, pour être sûr que tu sois réélu ? Tu as peur ?
Le Président : Tout est lié. Pour que je sois réélu il faut que l’or soit extrait.
Monsieur Nick (il pose vraiment la question) : Non, mais tu as peur de ne pas être réélu ?
Le Président : Exactement, il me faut des moyens…Il me faut des moyens pour tromper le peuple.
(…)
Monsieur Nick : Que se passe-t-il si aujourd’hui nos Etats coupent le robinet de l’Afrique ?
La Ministre de la Culture : Vous coupez le robinet alors vous serez asphyxiés. Vous avez besoin de nos matières premières. Le cobalt, l’uranium, l’or, le diamant, le café, le cacao, le thé, le zinc, le magnésium, le cuivre, le bois, le pétrole, le coltan, le coton. Et la main d’oeuvre aussi !
Monsieur Nick : Bla bla bla… Prenons l’exemple de la dette. N’a-t-elle pas été allégée à plusieurs reprises puis finalement annulée ?
La Ministre de la Culture : Oui, parlons-en de vos faux allègements de dette. Les allégements, voire les annulations de dette, s’obtiennent au prix de nouveaux ajustements structurels, avec plus d’ouverture au marché afin de favoriser les intérêts des créanciers.
Monsieur Nick : Récemment encore l’Union Européenne n’est-elle pas intervenue pour débloquer des aides en faveur du redressement démocratique, au Mali par exemple ? 3.25 milliards d’euros.
La Ministre de la Culture : En guise de prime à la guerre ! Ah ! Non me direz vous, cette aide est destinée à organiser des élections démocratiques, mais avez-vous oublié que jusqu’alors les élections n’ont secrété que des démocrates milliardaires au service de leurs parrains ? Ainsi une nouvelle fois les parrains vont pouvoir choisir leur personnel politique.
Monsieur le Président : Décidément, vous êtes Madame je sais tout. Qu’est-ce que vous préconisez pour sortir de la crise ? Prendre le pouvoir à la place de Monsieur le Président ?
La Ministre de la Culture : Quand bien même je serai tentée de briguer la fonction présidentielle, il me manquerait le soutien des puissances financières. Croyez vous que je bénéficierais de l’appui dont profitent certains « opposants » fabriqués de toutes pièces et qui ont par exemple des postes importants à l’OMC, chez Areva ou diverses institutions et entreprises, liées aux intérêts occidentaux ? Quant à vous, il conviendrait peut-être que vous êtes pris dans la même tourmente. Alors balayez devant votre porte avant de venir nous donner des leçons ! La corruption par exemple, est-elle simplement le lot de l’Afrique ? Dois je vous citer des noms ? Regardez plutôt l’Afrique avec attention et demandez vous si elle n’a pas été le laboratoire de ce que les puissances financières essayent aujourd’hui d’imposer à l’Europe et au monde. C’est l’ensemble du système qui va dans le mur et les peuples d’Afrique et d’Europe ont les mêmes ennemies. Regardez la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la France même…
(…)
7, av. Pablo Picasso 92000 Nanterre
Voiture : Accès par la RN 13, place de la Boule, puis itinéraire fléché.
Accès par la A 86, direction La Défense, sortie Nanterre Centre, puis itinéraire fléché.
Depuis Paris Porte Maillot, prendre l'avenue Charles-de-Gaulle jusqu'au pont de Neuilly, après le pont, prendre à droite le boulevard circulaire direction Nanterre, suivre Nanterre Centre, puis itinéraire fléché.